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L'avion pour de vrai !

Article paru dans ULMiste n°1, mai 2010

 

L’avion pour de vrai !

 

Jean-Christophe Verdié

 

Mais quelle idée ?

 

Pilote ulm breveté paramoteur et 3 axes en 1998, j’ai délaissé le manche à partir de 2001 au profit du trapèze des pendulaires. Après quelques centaines d’heures à voler sans me soucier de la bille, des palonniers, les quelques dizaines d’heures pilotées en trois-axes, il y a 8 à 10 ans, ne pèsent plus bien lourd. L’idée est de se remettre à niveau sur le pilotage au manche ainsi que sur les différentes manières de naviguer. Mon théorique ULM est bien loin, et depuis j’ai privilégié de manière quasi exclusive la navigation en mode “j’ai la carte scotchée sur le genou et je regarde par terre pour voir si ça ressemble”. Et puis la radio ! J’avoue y être passablement réfractaire, mais une fois que je saurai faire, j’aurai toute latitude de m’en servir si nécessaire, et le cas échéant, de décider si cela sert à quelque chose ou non.

 

Contact

 

Avec surprise, je déniche de l’instruction avion moins chère que de l’instruction ULM sur un trois axes haut de gamme. Parfait, c’est l’occasion de découvrir une autre pratique aérienne. Cela se passera à Lognes, l’une des plate-formes non commerciales les plus actives d’Europe, avec Atis, contôle sol, contrôle tour, point d’entrée et trafic à volonté. Moi qui fuis les espaces contrôlés comme la peste, je vais déguster.

Le nouveau jouet, c’est un HR200 de 1972, un biplace ailes basses tout métal dessiné par Chris Heintz en 1971 pour Robin (d’ou le H et le R). Les amateurs de Zenair reconnaitront ce nom : en effet Chris Heintz fut par la suite le papa des CH601, CH 701, Zenith étant l’anagramme de Heintz dans le nom de la société Zenith Aircraft, dont la contraction donne Zen Air. Le HR200 a donc un air de CH601 qui pèserait plus d’une demie tonne à vide.

Prise de contact : là-dedans, tout est gros, lourd et vieux, de gros instruments à aiguilles plus y’en a, mieux c’est, jusque dans les moindres recoins, un équipement radio nav imposant, avec de gros boutons et de gros boîtiers en métal bien massifs. Les commandes, les sièges et tous les éléments mobiles portent l’usure et la patine des générations d’élèves-pilotes qui ont usé leurs mains dessus en y déversant leur stress et leur sueur. Combien de centaines de lâchés cet appareil a-t-il consacré ? Combien de milliers d’atterrissages approximatifs a-t-il encaissé sans broncher ? J’apporte malgré moi ma contribution, que j’espère modeste, à la brutalisation de ce vaillant ancêtre. C’est peut-être pour cela que ces trucs sont lourds, ils sont faits pour tenir le coup 40 ans…

Le pilote d’avion, plus encore que l’écolier, ne peux survivre sans son cartable. Entre les carnets de route, de vol, cartes VAC, checklists et manuels, cartes aux différentes échelles, attestations diverses et variées, voilà, le cartable est trop petit.

L’avion c’est plein de paperasse : VRAI. Les avionistes aiment la paperasse : FAUX, cela les crispe autant que les ULMistes, mais ils y sont obligés...à méditer sur ce qui pourrait nous pendre au nez si on n’y prend pas garde. En tout état de cause, je crois que personne n’aime la paperasse... Mais si vous en croisez un qui aime vraiment ça, jetez lui des cailloux !

 

Volons !

 

L’essentiel est là : un siège, un manche, des palonniers, une commande de gaz, un badin, un altimètre, un compas, le reste, on verra plus tard. En fait, non, c’est tout de suite : la première checklist vient de jaillir du cartable. Il y en a des pages à dérouler avant même de rouler 3 cm. Il faut causer dans le poste pour demander le droit de rouler, mais avant, il faut avoir écouté et noté l’Atis, pour pouvoir dire dans le poste qu’on l’a bien écouté le truc et après on raconte ce qu’on a l’intention de faire. Des checklists après avoir commencé à rouler, au point d’arrêt, une fois aligné, pendant le décollage, et bien sûr aux différentes phases du vol. Cela consiste à première vue à tripoter tous les boutons, disjoncteurs, manettes, commandes et instruments pour voir s’ils racontent bien ce qui est prévu dans le manuel. Le pire c’est qu’il faut les apprendre... aarghh… il y en a 17 pages...

Gaz ! Enfin ! Si ça bruite gras et fort, l’accélération est bien désespérante, je repense soudainement au Solex en échappement libre de mes 15 ans, beaucoup de bruit pour pas grand chose... Au bout d’un temps certain, le badin daigne sortir légèrement du coma, les commandes commencent à se découvrir un peu d’efficacité, et le bout de la piste, qui fait pourtant 700 m, se rapproche rapidement. 100 km/h, on soulage l’avant, un bon 110, ca décolle, mais le vario reste endormi. Ce n’est pas mon Cosmos 503 et ses 7 m/s. Pas question d’afficher une assiette de montée digne de ce nom ULMistement parlant. Le badin proteste immédiatement en s’effondrant, donc on rend la main sagement. Au bout de la piste, une autoroute, derrière l’autoroute, une forêt, après la forêt, des maisons et des bâtiments bien tassés, et je suis 100 m au-dessus des arbres, sans aucun terrain vachable pour de longues minutes, avec un vario fainéant malgré l’aiguille du compte tour qui chatouille la zone rouge. Les voyants d’alarme de mon pédigrée ULMique virent au rouge eux aussi : la panne, je connais, j’en ai vécu une paire ou quatre en trois-axes et en pendulaire, et je sais bien que dans ce genre de configuration que je m’évertue normalement à éviter, si le moteur tousse, il n’y a pas de porte de sortie. Ah, oui, c’est vrai, ici, c’est de l’avion, il faut avoir confiance dans la mécanique abondamment certifiée. Cela doit être à ça que sert toute la paperasse dans les cartables. Je suis moyennement convaincu.

 

Pilotage

 

Pilotage, c’est plutôt facile, la machine, moins sensible qu’un ULM, semble avancer sur des rails, que ce soit en vol rectiligne ou en virage, la bille s’obstine à rester à sa place, l’usage des pieds est quasi superflu. Nous quittons le circuit de Lognes et filons à 180 Km/h. L’instructeur commence à machiner le VOR et d’autres outils mystérieux, moi, je regarde en bas, je trouve l’autoroute et le relais de télévision que je cherchais, et je lui montre fièrement avec le doigt “c’est par là !” Mais bon, c’est dans la culture, il y a des instruments, il faut que ça serve, donc il faut les régler et puis regarder les aiguilles régulièrement, même si pendant ce temps-là on ne regarde pas dehors. En avion, je verrai par la suite que les instruments de navigation priment et qu’on ne sort la carte de temps en temps que pour confirmer.

Tours de piste, j’avoue que je peine un peu dans la procédure pour préparer l’appareil, pré-afficher les paramètres, réchauffe carburateur, pompe sur «on», un cran de volets, paramètres, causer dans le poste, étape de base, causer dans le poste, paramètres, finale, 2eme cran de volets, re-paramètres.... Pas beaucoup plus compliqué que sur un 3 axes, mais j’ai un peu oublié toutes ces procédures grâce à quelques centaines d’heures en pendulaire. Ici, il faut tout bien préparer très en avance, 15 km/h trop vite sur la branche vent arrière, ça se paye en général avec un arrondi ondulatoire qui n’en finit pas, un bout de piste qui arrive trop vite et un palpitant qui emplafonne la VNE. La finale me surprend un peu, j’ai bien de la misère à tenir correctement le plan descente avion que je trouve très plat. De plus j’avais appris à régler la vitesse avec le manche, et le taux de descente ou de montée avec les gaz, mais ici, on me dit de faire exactement le contraire : bloquer l’assiette de descente, et ajuster la vitesse seulement aux gaz. Vu que je m’obstine avec ma manière et que le badin et le vario font du yoyo, Jacques me fait lâcher le manche, mais ne le reprend pas, et ajuste uniquement avec les gaz, les aiguilles rejoignent toutes leur place tel que décrit dans le manuel, et elles y restent, même punition pour les pieds : ne touche plus à rien ! Mon ego en prend un coup. A priori, un avion, il ne faut pas trop le solliciter mais plutôt afficher les paramètres et les maintenir par de petits ajustements. L’attero est assez facile, à condition d’arriver pile poil à la bonne vitesse, mais en prenant une finale d’au moins un kilometre, on a le temps de peaufiner, puis, au seuil de piste, tu réduis tout, tu laisses faire en refusant doucement le sol, quand ça tangente, tu bloques, tu attends et ça pose presque sans y toucher. On est très loin de mes souvenirs d’atterros en trois axes (un CH 701) quelques années auparavant, avec parfois, voire souvent le palonnier presque en bout de débattement, le manche quasi en butée arrière, le coup de gaz pour souffler la dérive, bref une machine qui se pilote activement, et qui invite à en faire à peu près ce qu’on en veut.

Se reconnaitront ici les pilotes qui éprouvent l’immense satisfaction de faire corps avec leur ULM.

 

Et alors ?

 

Au bout d’une quarantaine d’heures d’instruction avion, si je commence à savoir gérer le vol et sa préparation rigoureuse, si je suis en mesure de voler solo, d’appliquer et contrôler les paramètres, je dois pourtant avouer que je ne me suis pas approprié la machine, je ne la ressens pas comme je ressens l’aile de mon pendulaire, je ne l’ai pas en mains comme il me semblait avoir en main ce CH701 avec lequel j’ai pourtant moins volé qu’en avion. Les différences dans le maniement des avions d’aéroclub et des ULM ne sont pas si grandes, il ne faut surtout pas s’imaginer qu’un avion est plus difficile à piloter qu’un ULM trois-axes, c’est plutôt le contraire, par contre, c’est la gestion du vol qui est complexe en avion. Cette gestion est complexe car on travaille plus proche des limites. Le rapport poids puissance beaucoup moins favorable qu’en ULM et des vitesses minimum plus élevées expliquent en partie ce besoin de rigueur : en avion, tout s’évalue, se calcule, longueur de piste nécessaire pour décoller en fonction de divers parametres reportés sur des abaques, etc… Les marges sont beaucoup plus réduites, un peu comme si toutes nos pistes mesuraient 250 m et que nos ULM n’avaient que des Rotax 447.

La formation avion est plutôt longue, 70 heures correspondent à une moyenne constatée pour le PPL. On y travaille une proportion de maniabilité pure assez modérée : le strict nécessaire, pas de glissade, le décrochage est juste effleuré, pas d’approche très lente, pas d’atterro en PTS avec le moteur coupé pour de vrai. L’accent est vraiment mis sur la rigueur de la préparation du vol et de sa gestion : dossier meteo, depôt de plan de vol, préparation de navigation, déroutement, devis de masse et de centrage, les différentes procédures normales et d’incidents ainsi que les nombreuses checklists afférentes. La charge de travail qui en découle lors de la gestion d’un vol laisse bien peu de place à l’improvisation, concept ô combien proscrit dans le “monde aéronautique”. On prévoit précisément ce qu’on va faire, et on se tient à ce qui est prévu. Les appareils d’aéroclub eux-mêmes semblent être conçus pour effacer, lisser, atténuer la partie sensitive du pilotage, un avion d’aéroclub semble être fait pour être conduit et son vol géré, plutôt que pour être manié : un bon avion, c’est apparement un avion qui n’a pratiquement pas besoin d’être piloté, pour que l’on puisse se consacrer intégralement à la gestion du vol. Bref on n’est pas tout à fait là pour jouer.

 

Bilan

 

Cependant, le plaisir qui en découle, il existe et je l’éprouve, est plus technique, intellectuel, et relève pour une bonne mesure du défi de réussir à “bien faire le job”. Le plaisir d’etre  simplement en l’air passe au second plan, voire est occulté tant la charge de travail sollicite le pilote. Il ne s’agit pas de rêvasser en contemplant le paysage et les nuages. Mon plaisir en vol avec un ULM simple léger et maniable est légèrement technique, peu intellectualisé, mais contemplatif et extrèmement viscéral : le sensitif, la proprioception prenant largement le pas sur les éventuels instruments.

La pratique avion nécessite un investissement personnel plus important, sur la théorie comme sur la pratique lors des vols. Je n’avais jamais eu le sentiment de devoir “travailler” lors de mes phases d’apprentissage de différentes classes d’ULM, pour l’avion, j’ai du fournir de réels efforts. La pratique doit être très régulière, on oublie beaucoup plus vite le cérébral que le sensitif ou les réflexes. Le prix à payer inclut également une réglementation et une gestion administrative contraignantes. La prorogation des licences : le droit voler en avion n’est jamais acquis, il est temporairement accordé. De plus, les visites médicales régulières, épées de Damoclès, peuvent soudainement couper les ailes de beaucoup de camarades. Tout acte même bénin sur l’avion est sous la responsabilité du mécano certifié et facturant. Le pilote n’est pas autorisé à ouvrir le capot ni à toucher à quoique ce soit d’autre, il peut uniquement contrôler et compléter le niveau d’huile par la trappe prévue à cet effet. Enfin, il faudra renoncer à toutes ces petites pistes sympathiques derrière la ferme des amis qu’elles soient permanentes ou plateformes temporaires, et se contenter des aérodromes ouverts à la CAP.

 

Pour qui donc ?

 

Pour le pilote qui vole quelques dizaines d’heures par an, le coût financier de la pratique avion est sensiblement équivalent, voire même inférieur à celui d’une pratique ULM sur des machines haut de gamme. Pas de lourd investissement dans une machine (combien pour un jouet qui dépasse les 200 km/h : 60 000 €, ou beaucoup plus ?), ni à entretenir, ni à assurer, pas d’érosion de capital du fait de la décote, pas de hangar à louer, pas de précieuse essence à payer, pas de dépense imprévue, le pilote qui loue un avion (c’est à dire l’immense majorité) est désengagé de tous ces investissements et responsabilités : tout est compris dans le prix de l’heure de vol de l’avion loué : un peu moins de 100 € pour un biplace, de l’ordre de 150 € pour un 4 places de voyage, et un peu plus si on veut un avion récent, plus puissant ou plus cossu.

 

En partant à 4 et en changeant de pilote aux étapes, chacun aura piloté une portion du voyage, aidé et suivi la nav sur les autres, pour un coût global de l’heure de vol inférieur à 40 € par personne, bagages compris. Voyager en avion peut être assez accessible. L’idée reçue selon laquelle l’ULM serait “l’aviation du pauvre” est donc en partie erronée, ce serait plutôt l’inverse, selon les conditions.

 

L’ULM décomplexé !

 

Enfin, Il faut éradiquer ce pseudo complexe d’infériorité du pilote d’ULM qui voudrait “faire comme les grands”. Si les pilotes d’avions sont indubitablement de plus rigoureux et performants gestionnaires de vol, les pilotes d’ULM sont dans l’ensemble de meilleurs manœuvriers dotés “d’un sens de l’air” largement développé par les heures de jeu libre. Hiérarchiser ces deux pratiques ainsi que leurs pilotes est une erreur très répandue mais si grossière qu’elle en est démentie de manière flagrante par les faits, ne serait-ce que par l’hémorragie régulière des rangs des pilotes avions qui viennent grossir les rangs des pilotes ULM. Qui se rétrograderait volontairement au sein d’une hiérarchie établie ? C’est donc que cette hiérarchie n’existe pas. A ces futurs ULMistes, j’ai envie de dire : viens faire de l’ULM mon ami, mais pas de l’avion avec un ULM, tu n’aurais rien à y gagner et peut-être beaucoup à y perdre. Bienvenue, prends ton ULM, et va jouer avec jusqu’à ce que tes ailes aient poussé au bout de tes doigts. Plonge tes mains dans la mécanique, ausculte, connais et prends soin de ta machine plus que de ton propre corps car tu en es désormais le seul garant et responsable. Apprends surtout à savoir te poser n’importe où avec le moteur coupé pour de vrai, car tu vivras une panne, ou plusieurs, et je ne peux que te souhaiter que ce dépucelage devienne ensuite un excellent souvenir. Cela fait partie du contrat, c’est ce qui définit l’ULM et le différencie de l’avion bien plus que les machines elles-mêmes : cette responsabilité et cette compétence manœuvrière sont notre prix à payer pour des contraintes réglementaires et administratives allégées. Il faut s’acquitter de ce prix sans hésiter et avec joie, ou se tourner vers une pratique certifiée et ses contraintes.

 

A ceux, ULMistes, qui pourraient ressentir un supposé manque de légitimité, et seraient tentés ainsi de singer l’avion et les captains de liners, je ne peux que leur suggérer, plutôt que de vouloir jouer à l’avion avec leur ULM, d’aller faire quelques d’heures d’avion pour de vrai, d’une part pour apaiser ce manque, et surtout pour prendre conscience de la richesse et mais aussi de la spécificité de chacune des deux pratiques. Au prix de quelques efforts, il en reviendra un pilote serein, perfectionné dans la gestion du vol, totalement débarrassé de toute frustration ou sentiment d’infériorité, et certainement pleinement conforté dans sa légitimité et sa pratique de l’ULM.

J’ai choisi mon camp : je prends les deux… Distinctement et sans commettre l’erreur de les confondre. Un hasardeux bricolage médian entre ces deux pratiques n’aboutirait qu’à un bien médiocre rejeton reniant mesquinement ses deux parents, sans avoir la capacité d’égaler aucun des deux.

 

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