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Voler en hiver

Article paru dans ULMiste n°20, août 2015

 

Voler en hiver ? Quelle idée…

 

Voilà un article qui arrive un peu tard dans la saison. J’en conviens. J’aurai préférer vous le coller au mois d’octobre, avec l’arrivée de l’automne. Pardon donc pour ce petit retard. Celui-ci est inhérent à ma volonté. C’est que, voyez-vous,  j’avais besoin d’accumuler un peu d’expérience hivernale avant de vous faire part de toutes mes conclusions. Maintenant, si par le plus grand des hasards ou par inadvertance, vous estimiez que mon article arrive un peu tardivement, rien ne vous empêche de le classifier. Vous pourrez ainsi le ressortir avant l’hiver prochain et le lire au coin du feu.

 

Arnaud Campredon

 

Reconnaissons d’abord que l’hiver et dans une moindre mesure l’automne, ne sont pas des saisons favorables à la pratique de notre activité. Alors, pour beaucoup d’entre nous, c’est l’abstinence. Et pourquoi pas entrer dans les ordres, pendant qu’on y est ? Mais non, je vous rassure. Sachez que  je suis là pour vous encourager à voler, mais dans tous les cas, sortez couverts…

Certes, les paysages peuvent s’avérer sublimes en automne, quand la forêt troque son manteau vert contre des couleurs chatoyantes, rouge ou ocre. Certes, une campagne enneigée peut nous sembler féerique, mais à condition d’avoir une piste praticable et surtout ne pas se perdre dans le désert blanc.

Malheureusement et bien trop souvent l’automne et surtout l’hiver riment avec des brouillards tenaces, des plafonds bas, pire même, des temps pluvieux et perturbés. Pas toujours agréable de sortir l’appareil du hangar, lorsque les températures sont glaciales et que la structure colle à la peau. Encore moins de ne pouvoir démarrer le moteur, qui n’a qu’une envie : hiberner. Outre ces conditions météo souvent désastreuses, quelques précautions s’imposent. D’abord, vérifier que la piste soit praticable au décollage comme à l’atterrissage. Bien noter les longueurs des pistes utilisées normalement et prendre des marges, car tant au décollage (accélération) qu’à l’atterrissage (freinage), une piste contaminée (boue, herbe glissante, flaques d’eau, neige fondue) augmente sensiblement les distances dans le manuel de vol. Si dans le pire des cas, celle-ci est gorgée d’eau, c’est le plantage assuré. Veillez à procéder aux essais moteurs sur le parking en dur. Dans tous les cas, évitez de faire cela sur l’herbe, au risque de s’embourber. Prévoir le temps de nettoyer l’appareil après le vol, afin de lui retirer son camouflage naturel. Vérifier qu’il n’y a pas eu de boue séchée dans les carénages de roues. Des sorties de pistes on déjà eu lieu pour cette raison.

 

Au démarrage, bien vérifier que les surfaces portantes sont bien sèches, car une cellule une fois en vol pourra passer à des températures négatives, sous le zéro degré. Après, c’est le givrage cellule qui altère les conditions de vol.

Attention aussi au givrage carbu. Au point fixe, vérifier que le système de réchauffage carbu fonctionne (si votre appareil en est doté bien sur). C’est un système préventif qui fonctionne sur le principe du tout ou rien.  Quand vous l’appliquez, si vous perdez des tours moteurs, c’est que vous ne givrer pas, car l’air chaud moins dense qui entre dans le carbu fait diminuer la puissance du moteur. Par contre si vous givrez, vous allez reprendre de la puissance en appliquant  la réchauffe.

 

Question timing, évitez une arrivée trop proche de la tombée de la nuit, car il y a toujours un risque de formation de brouillard ou de fines couches de stratus pouvant empêcher ou gêner l’atterrissage.

Bien noter l’écart entre la température et la température du point de rosée. Plus cet écart est faible pus le risque de brouillard et de givrage sont importants. 

Attention au givrage cellule en hiver, la glace peut se déposer sur les bords d’attaque de l’aile ainsi que des gouvernes. Une fine couche de glace sur un profil peut justifier d’augmenter la vitesse d’approche de 20 %. Dans ce cas, vérifier la longueur de piste, car la distance d’atterrissage risque d’être beaucoup plus longue, surtout avec un freinage moins efficace.  

En nav, bien préparer et repérer son itinéraire, car une couverture neigeuse pourra changer la perception d’un paysage bien connu. De plus, un ciel brumeux peut limiter la visibilité générale ou faire subir une visibilité frontale très moyenne, imposant un suivi de navigation par vision latérale.

Voilà, tout ceci n’est que du bon sens et n’empêche nullement de réaliser de beaux vols en période hivernale. Il faut juste être conscient que l’approche n’est pas la même qu’en été, avec certains points particuliers à surveiller pour éviter toute surprise. Un pilote averti en vaut deux.

 

Après les recommandations d’usage, nous allons passer en revue les différents types de temps (si « temps » est qu’il puisse y en avoir) ainsi que les outils mis à votre disposition pour préparer et organiser votre vol.

 

Le média de base, incontournable, c’est AÉROWEB, site entièrement gratuit, sans pub, avec une version anglaise. La version mobile existe aussi. Le site est réservé aux usagers aéronautiques, mais vous pouvez sans problèmes vous en servir pour organiser le barbecue du club. Pour s’inscrire, c’est très simple : un numéro de licence aéronautique, un nom d’utilisateur, un mot de passe et une adresse électronique. Moi-même, avec mon intelligence limitée, j’y suis arrivé du premier coup, c’est pour dire.

 

Je vous propose ci-joint ma méthode, dans plusieurs études successives, celle-ci est loin d’être universelle, j’en conviens.

 

1er cas : conditions anticycloniques en flux de nord-est  en basses couches, les 9 et 10 février 2015. Le premier élément dans la démarche, la compréhension de la situation initiale. Car, si on ne sait pas où l’on est, on ne peut savoir où l’on va. Pour cela, on procède avec méthode et dans l’ordre que je vous propose, mais vous êtes aussi libre d’inverser.

D’abord on consulte la carte du temps significatif (Temsi) valable du sol, jusqu’au niveau 150 (5000 m, mais vous n’êtes pas obligé de monter aussi haut) (image1).

Image 1 : Temsi France, avec un ciel bâché sur le nord du pays.

 

On constate que le ciel est bâché sur tout le nord de la France en stratus bas, avec parfois aussi des visibilités exécrables et de la brume. Au centre de la France, le ciel est dégagé. C’est dans cette région que l’on peut envisager de voler en toute sécurité, même si les visibilités horizontales ne sont pas terribles (V8). Plus au nord, les plafonds sont trop bas.

Après, on passe à la photo satellite, qui confirme le Temsi. L’image la plus parlante, c’est le canal visible. Plus les nuages sont épais, plus ils sont blancs, mais on peut aussi les confondre avec la neige (image 2).

Image 2 : L’image visible confirme le Temsi. Notez le relief des Alpes et du massif central, bien découpé par la neige au sol.

 

Attention donc. Autre inconvénient et de taille : aucune image n’est disponible la nuit et pour cause, on n’y voit rien dans la noirceur. En fin de nuit ou début de matinée, il faut donc se rabattre sur l’image infrarouge. Dans ce cas, plus les nuages sont blancs, plus ils sont froids.  L’inconvénient : difficile de différencier les stratus du sol, si leurs sommets sont à une température proche de celle de la terre ferme.

Ensuite, on regarde la carte des fronts (image 3). L’air tourne dans le sens des aiguilles d’une montre autour des anticyclones, en suivant les lignes d’égale pression, les isobares. Plus celles-ci sont proches, plus le vent est fort. Sur la carte, on remarque un anticyclone centré sur l’Irlande. Il dirige sur la France un air froid et humide par endroit. On peut suivre l’évolution prévue toutes les 12h, jusqu’à 24 h d’échéance, puis jusqu’à 60 h ensuite.

Image 3 : Carte des fronts du 9 février. L’anticyclone rejette les fronts sur l’atlantique ouest. 

On affine enfin en regardant les radiosondages, prévus et observés. Cet enchevêtrement de courbes peut vous sembler inextricable aux premier abord. Mais vous allez vite comprendre l’intérêt d’un tel diagramme. Le radiosondage représente en fait la structure verticale de la masse d’air. Il permet surtout de saisir son évolution. Dans tous les cas, il faut prendre un sondage représentatif. On le prendra toujours au vent. On aura ainsi une bonne idée de la masse d’air qui nous arrive dessus. Regardons cela de plus prés. La courbe noire, que l’on appelle aussi la courbe d’état, représente l’évolution de la température en fonction de l’altitude (ou encore du niveau de pression, 850 hPa équivaut en gros à 1500m). Par commodité, l’axe des températures a été incliné à 45 degrés sur la droite. La courbe prend ainsi une dimension verticale, ceci dans le but de rendre le schéma plus lisible. La courbe bleue représente l’humidité. Plus les deux courbes sont éloignées, plus l’air est sec. Plus elles sont proches, plus l’air est humide. Quand les deux courbes sont confondues, l’air est saturé et nous sommes en présence de nuages ou de brouillards. On constate sur la courbe du Rs de Bourges à 00h00 UTC, (image 4) une zone saturée entre le sol et 950 hPa (à peu près 500m d’altitude). Ceci correspond au stratus et aux brouillards qui se sont formés durant la nuit. Entre 950 et 900 hPa  (500 et 1000m d’altitude), la température de l’air augmente. On appelle cela une inversion de température. Elle est due à la subsidence de l’anticyclone. Les hautes pressions se caractérisent par un affaissement de toute la masse d’air. Affaissement qui entraîne un réchauffement relatif et la création de cette inversion qui va fonctionner comme un couvercle.

Image4 : radiosondage de Bourges dans la nuit du 9 au 10 février. La tranche d’air saturée entre le sol et 950 hPa (à peu près 500m d’altitude) représente les stratus qui se forment durant la nuit. Notez à droite, la direction des vents dominants.

 

On peut suivre l’évolution de cette masse d’air en regardant le Rs prévu pour 12h UTC. Avec le réchauffement diurne, la courbe des températures s’est décalée sur la droite. Ce qui entraîne un assèchement de la masse d’air et la disparition  tardive des stratus. Les visibilités horizontales et surtout obliques ne sont pas sensationnelle pour autant, vu le faible écart entre les deux courbes. Lorsqu’on suit l’évolution du RS pour la nuit suivante, on constate que les stratus présents sur le nord de la France, vont descendre, pour recouvrir toute la région du Centre, rendant ainsi les vols impossibles. On appelle cela une advection.

En résumé, ces conditions anticycloniques d’hiver en flux de nord-est évoluent lentement mais sûrement. On veillera à ne pas se faire piéger par les descentes de stratus bas en provenance du nord-est, ainsi que la persistance des bancs de brouillards et nuages bas.

Image5 : Evolution du radiosondage en journée, avec le réchauffement diurne. La courbe d’état s’est décalée sur la droite et les stratus ont disparus.

Image6 : Même si les stratus ont disparu en plaine, la visibilité en basse couche est très mauvaise.

Image7, 8 et 9 : la visibilité horizontale et bien meilleure en montagne au-dessus de la couche d’inversion. 

                                                    

Petite variante pour comprendre le principe d’analyse avec l’évolution d’une situation en conditions anticycloniques, en flux de sud. Le centre de l’anticyclone s’est décalé sur l’Allemagne. Les hautes pressions génèrent sur la France un vent de sud, moins froid et plus sec.  C’est air plus chaud repousse les stratus sur le « grand nord » de la France.

Image 11 : Radiosondage de Bourges, le 11 février à 00h. Faible écart entre les deux courbes au niveau du sol, mais la couche est peu épaisse. Les brouillards seront vite dissipés.

Image 10 : l’anticyclone centré sur l’Allemagne génère sur le centre de la France, un flux de sud, moins froid et plus sec.

 

Quand on reprend le radiosondage du 11 février à 00h, on s’aperçoit que les inversions nocturnes et de subsidence existent toujours. Mais l’écart entre les deux courbes est beaucoup plus grand. Donc, des bancs de brouillards plus fins qui se dissipent plus vite et de bien meilleures visibilités en journée.

Image 12 : Radiosondage de Bourges, le 11 février à 12h.  Grâce au vent de sud, les températures en journée grimpent plus vite et la courbe d’état, se décale d’autant plus sur la droite. Même si l’inversion de subsidence est toujours présente, les visibilités sont meilleures, car l’écart entre les deux courbes est plus grand.

 

La prochaine fois, on verra les temps perturbés et les giboulées sous la traîne, ça va secouer….

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