A deux, c'est bien mieux !
Article paru dans ULMiste n°22, janvier 2016
A deux, c’est bien mieux !
Souvenez-vous votre jeune temps : vous venez de passer avec succès l’examen du permis de conduire. Votre examinateur vous remet alors avec indifférence un papier rose griffonné à la main puis lance un « suivant ! » d’un ton blasé.
Pierre-Jean le Camus
Vous n’aviez jamais eu à bord d’autre occupant que votre moniteur, et jamais roulé seul à bord. Personne ne vous a appris à naviguer, ni à faire le plein d’essence ; on vous aura éventuellement indiqué la marche à suivre pour changer une roue crevée, mais certainement pas la conduite à tenir au moment où, à 50, 80 ou 130 km/h, la dite roue crève ! Vous voilà pourtant soudain en droit de conduire une automobile de moins de 3,5 tonnes, ayant jusqu’à neuf occupants à bord, aussi loin que vous le voulez, pendant aussi longtemps que vous le souhaitez, dans un flux de circulation très dense si ça vous chante, de jour comme de nuit, qu’il pleuve ou qu’il vente, sans autre moyen d’éviter vos congénères que vos yeux.
Reportez-vous maintenant au brevet de pilote d’ULM. Votre instructeur vous a remis, autour d’une coupe de bon Champagne (pas forcément bon, d’ailleurs, mais c’est toi qui l’a apporté, alors, tu te tais !), sous les applaudissements des « anciens », dans la joie, la bonne humeur et l’allégresse, un beau papier vert avec votre photo du dimanche dessus, attestant du fait que vous êtes apte à piloter un ULM.
Cela signifie, outre que vous savez conduire la machine, que vous êtes également capable de gérer une panne moteur et le posé en campagne qui suit, que vous pouvez aller d’un point A à un point B sans vous perdre, en tenant compte de votre consommation, du vent, des prévisions météo, des consignes particulières du terrain de destination. Vous êtes aussi à même de décoller la machine sur une distance très courte si besoin, de la poser dans les mêmes circonstances, de virer « sur la tranche » pour éviter l’inopportun qui arrive en face, de lire une carte et ses compléments, et éventuellement de causer par les ondes avec le monsieur ou la madame du contrôle !
Et pourtant ! Pourtant, le jour où ce papier vous est remis, vous avez déjà volé seul. Pourtant, avec ce papier, vous ne volerez que seul ! Dans un premier temps. Plus tard, lorsque vous aurez une expérience jugée suffisante par votre instructeur, vous pourrez, après un solide examen en vol, emporter un passager.
Il se trouve des gens, même et y compris dans nos instances représentatives, qui prétendent qu’il nous faut davantage de réglementation, plus de formation, de contrôles, etc. Invitons-les donc à relire les textes, observer la réalité, puis transmettre à leurs élèves, membres du club, pilotes de passage, l’esprit de la loi, mais aussi, voire surtout, la réalité des faits. Si le parallèle qui précède avec le permis de conduire pourrait amener la question de savoir qui réglemente trop ou pas assez, il se trouve qu’en fait la relative dureté des faits vient du fait qu’emporter un innocent dans les airs est loin d’être aussi anodin que de le promener dans son auto. Voilà des milliers d’années que l’homme sait marcher, qu’il sait nager, faire flotter des bateaux, faire tourner une roue, gravir les montagnes, se déplacer sur la neige… mais voilà à peine 100 ans que l’homme sait voler, et ça, dans « l’inconscient collectif », c’est profondément imprimé. Il n’est aucune raison objective de considérer qu’en termes de responsabilités le degré soit plus ou moins élevé selon que l’on fasse voler ou rouler son prochain, mais il se trouve que, subjectivement, tel est bien le cas. Voici quelques conseils qui permettront à vos passagers de conserver un bon souvenir de leur premier vol, car ils se seront sentis en sécurité.
L’avant vol
Prendre le temps de causer un peu avec le condamné – le client, pardon - afin de savoir quelles sont ses expériences en matière de « sports extrêmes », puisque pour lui l’ULM en est un. Une personne qui annonce « j’ai déjà fait du saut à l’élastique », ce qui est souvent entendu, sera a priori plus détendue que la mamie qui n’a jamais fait de vélo. En revanche, une prime expérience de l’aéronautique de loisirs ne sera pas forcément signe que tout va bien se passer. Expliquer ensuite, et autant que possible devant témoins, ce qu’est l’ULM, et sa différence, en matière de certification, d’avec l’avion. Une plaque explicative apposée sur la machine serait du meilleur effet. Cette étape est très importante, car elle laisse au candidat le loisir de renoncer à voler en ULM, si la formule ne lui convient pas. Expliquer ce que l’on peut faire en ULM, en termes de voyages etc. mais en général les questions viennent seules : « ça vole à quelle hauteur, et si on tombe en panne, et s’il pleut ? » Un brin d’humour ne fait jamais de mal, bien sûr, et serait même recommandé, toujours pour détendre l’atmosphère.
La préparation du vol
Si la prévol n’a pas encore été faite, il vaudra mieux l'effectuer hors des regards du futur passager. Assister à cette scène pourrait le stresser, lui se dit "oulà, tout ça peut tomber en panne !". Plus le temps sera long entre le moment où l’appareil est sorti du hangar et le décollage, plus le client sera stressé. Au moment d’installer le passager, lui donner les consignes s’il ne sent pas bien : « si vous ne vous sentez pas bien dites-le moi, nous reviendrons nous poser rapidement. Je ne dirai pas que vous n’alliez pas bien, j’inventerai une autre histoire. Respirez profondément, regardez l’horizon, au loin. Ne fermez pas les yeux, et ne regardez pas sous vos pieds. » Bien sûr, indiquer où mettre les mains et où ne pas les mettre. Le temps entre l’installation du passager et la mise en route du moteur doit être le plus court possible. Par exemple, prendre un appel téléphonique qui dure, alors que le candidat est sur son siège à vous attendre, outre que c’est fort malpoli, va considérablement stresser votre passager. Sur les appareils à l’air libre, s’assurer que le passager n’aura pas trop froid, vérifier que ses poches sont fermées, attacher son appareil photo ou caméscope à son poignet, lui retirer son écharpe s’il en a une, faire attention aux « chouchous » dans les cheveux des jeunes filles, etc. Si la mise en route du moteur est manuelle, prendre toutes les précautions d’usage. Au roulage, parler au passager. Lui expliquer ce qui va se passer, taxiway, point d’arrêt, alignement, décollage. Il faut impérativement qu’il maîtrise le moment du décollage. S’il est surpris car ne s’y attendant pas, ça risque de mal se passer…
Le vol
Si vous n’avez pas l’habitude de voler à deux, n’oubliez pas que le comportement de votre appareil va changer : distance de roulage plus importante, pente de montée plus faible, vitesse de décrochage plus élevée, commandes plus lourdes etc. Après avoir annoncé « décollage », gaz ! Après la rotation, regarder le passager dans les yeux et lui demander si tout va bien. Dans l’immense majorité des cas, un « oui » enthousiaste répondra, dans un large sourire. Dans le cas, fort rare, où ça se passerait mal, parler calmement, et revenir se poser rapidement, tout en évitant des virages trop serrés. De manière générale, un baptême de l’air dure entre 15 et 20 minutes. Souvent, le client souhaite faire un tour au-dessus de sa maison ou du camping. Il est important de respecter les minima, en expliquant que vous ne pouvez pas, réglementairement, descendre plus bas. Dans le cas où il s’agit d’une série de baptêmes (famille, bande de potes, comité d’entreprise ou autre), éviter de suivre toujours le même parcours, par respect du voisinage. Si une panne moteur survient, suivre la procédure habituelle en rassurant le passager. En ce qui concerne le débit de la conversation, éviter de prendre trop d’initiatives. Les contemplatifs béats apprécieront de ne pas être dérangés dans leur voyage, tandis que d’autres poseront mille questions, parfois même en en oubliant de regarder au-dehors. C’est donc au cas par cas. Dans le cas où le passager trouve la chose un peu soporifique et réclame des acrobaties, lui expliquer que l’ULM n’est pas fait pour ça. Eventuellement, une légère ressource suivie d’un petit piqué suffira à lui donner l’impression d’avoir tourné une boucle.
Jouons
Certains passagers s’impliquent dans le vol, et cherchent à savoir où ils sont, veulent reconnaître tel village, tel château, tandis que d’autres se contentent de « faire le sac de sable ». Selon l’aisance du passager, voici une idée de jeu fort amusant : au milieu du vol, feindre de chercher sa route en regardant à droite à gauche, puis demander « vous voyez le terrain ? » Croyant à un quiz, il cherchera. « Non, parce que vous savez, je suis nouveau dans ce club, je ne connais pas trop les environs, et en fait, je suis perdu ! Mais bon, ça va, nous avons trois heures d’autonomie, et le terrain se trouve à moins de dix minutes, pas de panique, on va s’en sortir » Trois réactions sont possibles : la panique immédiate (plutôt rare si le sujet est bien amené), auquel cas il faut bien sûr immédiatement désigner le terrain et expliquer que c’était une mauvaise blague. La résignation autoritaire : « ah bon, ben vous allez nous le retrouver, ce terrain, n’est-ce-pas ? » pas drôle, celui-là. Puis enfin l’implication immédiate : le gars se sent investi d’une mission, car lui, il le connaît, son bled. Les enfants sont les plus impliqués, en général. « Ah oui, alors attends, on vient de passer la maison de tonton Roger, donc ça, c’est la route de Chimou sur Seuldre, donc il suffit de prendre là, de tourner à droite, puis à gauche eeeh, monsieur, il est là, l’aérodrome ! » Fier qu’il sera, le gamin, au retour « eh, M’man, P’pa, le type s’est perdu, et c’est moi que je nous ai ramenés ! » Un sourire discret rassurera les parents, qui vous foudroient déjà du regard.
Bons vols à deux !
Ces conseils valent aussi bien pour un baptême payant que le tour d’ULM offert au beau-frère. Il ne doit y avoir aucune différence de traitement selon que l’on connaît ou pas le sujet. Nous pourrions même suggérer d’augmenter son attention et de restreindre ses envies de facéties lorsque l’on transporte un proche, car, paradoxalement, on se sent moins responsable.
Encadré 1 : réglementation
Il convient de distinguer deux cas de figure : les vols gratuits et les vols payants. Réglementairement, la qualification « emport passager » suffit à prendre un passager. L’ULM n’étant pas habilité faire du transport aérien public, les points de décollage et d’atterrissages doivent être confondus dans le cas de vols payants et il n'est pas permis de se poser ailleurs, même en "escale". Dans le cas de vols payants : d’un point de vue fiscal, soit la rémunération est versée à une association loi 1901, soit vous devrez vous mettre en règle, dans le cas d’une activité professionnelle. Le vol ne doit pas dépasser un rayon de quarante kilomètres autour du terrain. Contrairement à l’avion, il n’y pas de limitation de durée.
Assurances : pour les vols payants, les compagnies d’assurances exigent que le pilote soit instructeur, ou, à défaut, habilité par un instructeur ou le président du club pour lequel le vol est entrepris.
Encadré 2 : peut-on faire voler n’importe qui ?
Question difficile. A priori, tout être en bonne santé et, surtout, en pleine faculté de ses moyens, peut faire son petit tour en ULM. En ce qui concerne l’âge, les enfants en dessous de sept ans ne comprennent généralement pas ce qui leur arrive, ainsi que les vieillards séniles. Pour les cas de déficients mentaux, qui de toute manière ne viennent pas seuls, un avis médical peut être utile, mais les éducateurs qui les accompagnent connaissent les pathologies de leurs amis et leurs limites. Les sourds et les aveugles peuvent tout à fait voler, puisqu’ils parviennent même à piloter ! Le cas le plus délicat à gérer, c’est le sur-pondéré… pas facile du tout d’annoncer « toi tu voles pas t’es trop gros ! » Ceci dit, en général, il s’assume, et prend les devants « je pèse 130 kilos, ça le fait ? » mais ça ne facilite pas tellement la réponse...
Vécu : il y a quelques années, un copain a eu la frayeur de sa vie en voyant la guibole de son passager se faire la malle ! Il s’agissait d’une prothèse, et le gars a pu la rattraper au vol avant qu’elle ne passe dans l’hélice… on ne peut tout de même pas leur demander, avant de voler, si tout est d’origine !
Encadré 3 : le matériel
Normalement, tout le monde vole sur du matériel en état, conformément à la loi. Néanmoins, pour la bonne image de marque de l’ULM, les baptêmes de l’air se feront de préférence sur du matériel récent qui respire la santé. Dans le cas d’une alternative entre le pendulaire et le trois-axes, les gens plébiscitent le pendulaire, l’autre, « ça fait avion ». Quant à l’autogire, « ça vole ça ? » S’il n’est pas très raisonnable de voler sans parachute, le biplace le rend moralement obligatoire, s’agissant surtout d’innocents. Un système de communication entre les occupants est indispensable. Dans le cas de machines à l’air libre, vous devriez être en mesure de proposer tout l’équipement de protection thermique requis, ainsi que le casque.
Encadré 4 : météo
En plein mois de juillet à 15 heures, il fait grand beau, le vent est nul. Voilà les conditions idéales, pour le piéton. Pas pour nous. Dans le cas d’une prise de rendez-vous, expliquer qu’il sera préférable, pour le confort, de venir en matinée ou en fin de journée. Si le client arrive à l’improviste à l’heure idéale pour lui, lui expliquer que ça va brasser, et ajourner son vol, éventuellement.
Et la qualif ?
Les règlements en vigueur n'imposent aucun cadre officiel pour la délivrance de la qualification d'emport de passager. La seule particularité de l'ULM est que, contrairement à l'automobile ou l'avion, le brevet ne permet de voler que seul à bord, une qualification, non codifiée, vient en plus. La FFPlUM, du temps où elle s'occupait sérieusement de formation, a rédigé un programme spécifique assez consistant, que nombre d'école suivent. En gros, l'instructeur pose comme condition la question suivante : "pourrais-je confier mon enfant à ce pilote ?"
Mais il existe aussi, de plus en plus, des instructeurs qui délivrent l'emport passager en même temps que le brevet. C'est leur droit le plus strict.
Nous avons récemment au le privilège d'assister à un "stage emport" chez ULM Découverte à Pizay. Dans cette école d'excellence, les candidats sont pilotes solo depuis au moins un ans, ont cumulé une grande expérience pouvant aller jusqu'à la participation à des compétitions nationales, son totalement autonomes avec leur propre machine et sont donc de très bons pilotes. Pendant les deux jours, l'instructeur passera en revue tous les aspects ayant un rapport proche ou lointain avec la responsabilité que constitue le fait de ne plus voler seul à bord. Questionnaire poussé sur la façon dont le candidat voit la chose, étude de cas d'accidents sur la base de rapports du BEA, visites prévols commentées et piégées, démontage et remontage d'une aile, cours théoriques poussés. Une navigation, sur plusieurs branches, est organisée, l'instructeur changeant de siège arrière sur chaque étape afin de voler avec chacun des aspirants, pannes moteurs et déroutements étant bien sûr au programme.
A l'issue de ces deux journées, le candidat est invité à continuer de voler seul pour perfectionner les éventuelles lacunes décelées, puis il se présentera à l'examen dans les semaines ou mois qui suivent, lorsqu'il se sentira prêt.
Un pilote ayant obtenu sa qualification emport de cette façon mérite une totale confiance et gérera son passager de la meilleures des façons !
A chacun de voir s'il veut simplement un coup de tampon ou une réelle compétence.
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