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La sécurité dans les bulles !

Article paru dans ULMiste n°1, mai 2010

 

Bullons !

 

Le degré de risque d’un vol, donc son niveau de sécurité, ne dépendent pas que de constantes. Parmi les éléments qui amènent à l’accident, il y a un nombre virtuellement infini de paramètres, qu’il appartient à chacun d’identifier et quantifier. Voici une petite méthode pour nous y aider.

 

Pierre-Jean le Camus

 

Le BEA considère que 100% des accidents sont d’origine humaine. Si l’on songe qu’il a bien fallu qu’un humain construise la machine et qu’un autre l’entretienne, que c’est un humain qui pilote ici et en face, puis un autre qui n’a pas décelé la faiblesse cardiaque ou la fêlure du crâne, c’est incontestable. On peut ainsi considérer que toutes les morts sont causées par la naissance et que 100% des divorces sont imputables au mariage.

 

Ce qui reste certain, c’est que la prévention des accidents, elle, ne peut être opérée que par l’humain. Un seul : celui qui pilote ou s’apprête à le faire.

 

Seule une parfaite conscience de l’état du pilote, de la machine et de toutes conditions extérieures peut permettre d’aborder un vol en mettant toutes les “chances” de son côté. Si l’on croit à la chance, ce qui en aviation n’est pas forcément recommandable. Disons donc que ce n’est qu’à partir d’un cadre idéal ou supposé tel, que l’on pourra envisager d’initier un vol et éventuellement se permettre d’altérer un paramètre, en fonction de ses besoins et de ses ambitions. La conscience est à entendre ici dans son sens cognitif et surtout pas dans le sens de la morale chrétienne, car comme disait Victor Hugo, dont le propos est ici transposable : “c’est une chose étrange à quel point la sécurité de la conscience donne la sécurité du reste.”

Ainsi, les pilotes que l’on a pu nommer parfois des “têtes brûlées” sont-ils, dans le cadre de leurs manœuvres extrêmes, tout le contraire de ce que cette épithète subodore. Ils ont parfaite conscience de ce qu’ils font, parce que, toutes les bulles étant au vert, ils savent qu’ils peuvent se permettre d’altérer la coloration de l’une ou l’autre sans compromettre la sécurité globale du vol. Ceux d’entre eux qui finissent au tas n’avaient simplement pas conscience qu’au moins une autre bulle était au rouge… parce que non, les “bubulles” qui illustrent cet exposé ne sortent pas gratuitement de la souris de l’infographiste en mal d’inspiration. Elles ont un sens.

Regarde

 

L’ULM est une activité à risques. Quiconque dit le contraire se trompe ou nous trompe. Une confusion est assez généralement répandue entre risque et danger. Posons donc des définitions. Risque : ce contre quoi on peut se prémunir, moyennant le respect de quelques règles. Danger : ce contre quoi on ne peut pas se prémunir. Les risques inhérents à la pratique de toute activité aérienne sont parfaitement maîtrisables. A chacun, en fonction de son expérience et de ses ambitions, de mesurer son propre degré de risque, sachant que l’emport d’un passager interdit de dépasser le strict cadre illustré ci-dessus : tous les paramètres sont au vert. Et y restent autant que possible.

 

Parmi les éléments que nous avons retenus, nous distinguons la visibilité de la météo, car ces deux notions peuvent être dissociées. On peut ainsi jouir d’une météo CAVOK mais voler face au soleil couchant ou levant, ce qui de fait réduit la visibilité. A l’inverse, on peut se trouver en conditions météo marginales mais avec une très bonne visibilité. Avec un passager à bord, on ne peut s’autoriser à sortir un tant soit peu du cadre idéal que s’il est parfaitement informé et consentant.

 

Nous pouvons observer que les bulles disposent d’un espace suffisant entre elles. Si elles se rencontrent, au moins l’une d’entre elles peut exploser et le risque est augmenté. Aucune constante n’est ici définie car les contextes sont si divers qu’il faudrait un ouvrage entier pour approfondir le sujet. Que chacun, en “conscience”, reprenne cette méthode à son compte. Lorsque tous les paramètres sont au vert, l’espace entre les bulles représente la marge de manœuvre. Plus cette marge de manœuvre est vaste, plus les possibilités de se sortir d’une situation critique (éventuellement volontaire) sont grandes.

Si le pilote décide d’altérer l’un de ces paramètres ou que cela survient sans qu’il le souhaite, la bulle grossit et vire à l’orange, puis éventuellement au rouge. La marge de manœuvre se réduit et pour que le pilote puisse assurer le coup, il est d’autant plus important que tous les autres paramètres restent au vert. Tous les accidents sont générés au départ par une bulle qui grossit, puis une autre et encore une troisième, par cascade. Le point de vue du piéton autorise toujours à croire que tel accident aurait pu être évité et c’est toujours vrai. Pour peu que toutes les autres bulles demeurassent à leur taille et place, 100% des accidents seraient évités.

Néanmoins, la réalité n’est pas si simple et l’on peut même considérer assez raisonnablement que le contexte ci-dessus, tous les paramètres au vert, est si peu fréquent que nous ne volerions presque jamais s’il fallait toujours l’attendre. Or, qui vole peu manque d’expérience et de réflexes, ce qui du coup altère la bulle “compétences”.

 

Nous avons donc imaginé que le vol se déroule avec un degré de risque mesuré que nous réduisons au maximum. Si l’un quelconque des paramètres définis vient à s’altérer, que ce soit dans le temps ou dans le déroulé d’un vol précis, ce degré de risque augmente. Par capillarité, la bulle “machine” toute entière vire à l’orange et par conséquent toute l’enveloppe du vol. Toutefois, dans le postulat ici proposé, nous ne sommes pas encore en situation critique.

 

Arbitrairement, altérons le poste “machine – état général”. Comme chacun des paramètres listés, cet item peut se trouver au rouge dès avant même le vol, mais imaginons une situation a minima. Un état général altéré peut se rencontrer par exemple sur une machine dont l’entretien n’est pas optimal (mais pas encore d’une insuffisance rédhibitoire). Mais également sur un ULM qui au cours d’un vol rencontre un aléa qui peut avoir entraîné une défaillance potentielle. Par exemple, la collision avec un oiseau de petite taille sur un bord d’attaque, sans conséquence immédiatement perceptible, doit imposer une grande prudence dans les manœuvres qui vont suivre et doivent amener à un posé pour vérification.

 

Nous percevons d’ores et déjà que dans une telle configuration il est d’autant plus important que tous les autres paramètres soient au vert, notamment le poste “pilote”. Ses compétences doivent permettre la gestion de la situation, ce qui suppose donc que son état physique et mental soient également d’un beau vert éclatant.

Le poste “passager” est barré dès l’instant qu’un paramètre n’est plus au vert. Ceci signifie que si avant un vol, nous avons connaissance que la machine présente une défaillance quelconque, aussi minime fut-elle, nous ne devrions pas prendre de passager. Nous avons encore, et c’est heureux, le droit d’assumer nos propres risques, mais seul. “Oui, mais dans l’histoire de l’oiseau, je fais quoi, je jette le passager par-dessus bord ?” En règle générale comme de façon absolue, cette option est à éviter, bien sûr ! En revanche, il est important de songer au passager lorsqu’un problème survient. Il devient la priorité. Si le ramener sur terre en bon état est le seul but à atteindre, l’informer scrupuleusement de ce qu’il se passe n’est pas forcément une obligation. S’il est informé mais qu’il panique, nous aurons un paramètre orange de plus à prendre en compte. On peut donc mentir, au moins par omission, c’est pour la bonne cause !

 

Nous avons volontairement retenu un paramètre critique pour cet exposé, mais le pilote un tant soit peu expérimenté aura observé qu’il est bien rare de décoller sans qu’au moins un paramètre ne soit pas d’un beau vert éclatant, à défaut d’être clairement à l’orange. Les conditions météo, par exemple, sont si rarement au vert que s’il fallait attendre qu’elles soient idéales, nous resterions bien souvent au bar… et ce sont ici les compétences qui prendront le relais.

 

Un paramètre est au rouge : danger !

 fut posé que nous ne pouvons nous prémunir contre le danger. Entreprendre un vol avec un paramètre au rouge n’entraîne pas forcément l’accident, mais s’il ne survient pas, ce sera ce que nous nommons communément la “chance” qui aura joué. Si, malgré ce qui fut dit, ce facteur chance peut intervenir pour éviter l’accident, le pilote ne doit surtout pas spéculer dessus, ce serait jouer à la roulette russe.

 

Comme pour toute la présente réflexion, nous pouvons choisir l’un ou l’autre des paramètres, mais restons sur le poste “machine – état général”, c’est à dire sur la question de l’entretien ou d’un quelconque problème qui surviendrait en vol. Sachant qu’une défaillance en vol provient le plus souvent d’un défaut d’entretien.

 

Il peut se présenter que l’un des paramètres proposés, s’il venait à virer au rouge, ait de moindres conséquences qu’un autre. Mais là aussi, il y a tant de cas particuliers que par économie de place nous ne pouvons développer. Par exemple, si le moteur vient à tomber en panne, l’ULMiste sait qu’il n’est en danger que si au moins un autre élément n’est pas clair : son cône de sécurité, que nous pourrions ici indexer sur son niveau de compétences.

 

Si au contraire un autre paramètre vire au rouge, l’importance du danger immédiat peut être augmentée. Dans le cas où la météo par exemple vient à se dégrader de telle sorte que la poursuite du vol soit compromise, l’enveloppe globale du vol commencerait à virer au rouge. Ceci résulterait d’une mauvaise préparation du vol, élément que nous pourrions par exemple ajouter à la présente liste.

 

On notera et c’est important, que quoi qu’il advienne du paramètre qui évolue, tous les autres restent au vert. Ce n’est pas forcément une constante et même rarement, dans la mesure ou, par exemple, l’état mental du pilote peut être altéré à la rencontre d’un problème. C’est bien souvent le cas et ceci entraîne, par effets en cascade, l’accident. “Je ne comprends pas, tout allait bien jusqu’à ce que”, dit souvent le pilote accidenté. Il a raison : tout allait bien. Et, parfois, tout aurait pu continuer d’aller pas si mal s’il avait su conserver la belle coloration verte de tous les autres paramètres.

 

L’enquêteur ne l’ignore pas, dont le travail consiste précisément à explorer chacun de ces paramètres afin de comprendre le déroulé du gag et le facteur originel.

Ce facteur originel n’est pas toujours la cause. Une panne moteur en ULM peut être un facteur originel d’accident sans être forcément l’élément causal.

C’est la mauvaise gestion de la panne, par altération de l’état mental du pilote ou défaut de compétences, qui causera le plus souvent l’accident.

 

Il existe donc une hiérarchie dans les paramètres dont la liste, insistons, n’est pas exhaustive.

 

Proposons que chacun prenne le temps d’enrichir cette méthode en l’adaptant à son cas particulier.

 

 

Au moins deux paramètres sont au rouge : accident !

Il n’y aurait pas besoin de cracher de la ligne sur la présente illustration, tout le monde a certainement bien compris l’idée. Toutefois l’œil attentif aura noté que nous avons ici coloré la mention “compétences” en rouge, ce qui déteint sur toute la bulle “pilote”.

 

Ce n’est pas gratuit ! Il est avéré par l’expérience d’un siècle d’aviation que la plupart des accidents sont causés par le fameux “facteur humain”. Nous plaçons ici le fondement de ce facteur humain dans les compétences, car ce sont bien elles qui font toute la différence. S’il peut sembler bien présomptueux ou à tout le moins désagréable de jeter la pierre à l’accidenté, prenons le chemin inverse. Le pilote d’A 320 qui pose son avion en panne dans le Hudson le 15 janvier 2009 sans que personne ne soit blessé ne doit la réussite de la manœuvre qu’à ses compétences. Bien d’autres pilotes, pourtant formés à la même école, auraient failli en de telles circonstances. Si son état mental a bien évidemment joué tout autant, Chesley B. Sullenberger n’a pu garder son calme que parce qu’il savait pouvoir se reposer sur son capital de compétences.

 

Ce pilote-là peut donc se permettre d’évoluer dans un cadre qui ne semblerait pas optimal au commun des hommes volants. Sans être une “tête brûlée”, pour reprendre le début de la présentation. Et c’est ici que nous pouvons enfin ajouter le paramètre le plus important, celui qui saura à coup quasiment sûr nous prémunir de l’accident et nous en sauver lorsque le contexte est avarié :  l’humilité.

 

Cette humilité dont l’absence ou l’insuffisance ne laissent pas place au vide, mais à la témérité, au moins passive…

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