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Ultra Léger Mensonger

Marcel Burneplate, depuis tout petit, rêve de voler. Il a passé la cinquantaine, a fini de payer sa maison, ses enfants, ses divorces. Le voici décidé à enfin s’amuser un peu. Marcel n’est grand ni petit, ni gros ni maigre, il est moyen. Un français moyen du XXIe siècle : tout habillé, il affiche donc ses 85 kg réglementaires sur la balance.

 

Depuis le temps qu’il en rêve, Marcel a bien étudié la question et établi son cahier des charges. Il veut pouvoir voler en biplace avec ses copains moyens comme lui et rayonner dans sa région, aller déjeuner ici ou là ou voir du ciel l’autre côté de la colline. Il a ainsi établi qu’il veut pouvoir voler trois heures sur une journée. Partir une journée, c’est emporter avec soi son téléphone, son chargeur, un appareil photo décent, une veste, des papiers et autres babioles. Il estime ce surplus à 5 kg par personne, ce qui est un minimum.

L’ULM offre un cadre réglementaire plus adapté à l’aviation de loisir, d’après ce que notre homme a compris. Il regarde donc de ce côté. Il a bien vu qu’il en existe plusieurs sortes, des à l’air libre pour les ploucs, des sortes de Fantacoptère et aussi des vrais, des qui ressemblent à des avions. C’est bien évidemment ce truc sérieux qui le branche, Marcel.

 

Il sort sa calculette. En 2021, un ULM peut peser 525 kg maximum au décollage, si le constructeur le permet. Avec parachute, ce que Marcel n’envisage pas d’exclure.

525 kg – 3 h de carburant d’une densité de 0,7 à 15 litres par heure, soit 31,5 kg – 85 kg x 2 – 10 kg de merdier divers = 313,5 kg.

Pour pouvoir parcourir environ 500 km en emportant deux individus moyens et le strict minimum, un ULM ne peut pas peser plus de 313,5 kg à vide.

 

Marcel parcourt la toile. Mis à part les trucs de ploucs susmentionnés et quelques autres qui ne font pas bien sérieux, il ne trouve rien. Rien en dessous de 337,5 kg, qui est la limite réglementaire d’un ULM biplace avec parachute. En effet, l’anthropométrie étatique, qui inclut les adolescents, conclut que le français moyen pèse 78 kg tout nu et l’Etat a décidé que les ULMistes devront voler à poil.

Il s’imagine donc ce qu’il va pouvoir faire avec ça.  Les 45 litres (31,5 kg) de carburant font partie du pack réglementaire, restons donc sur cette idée.

525 kg – 337,5 kg - 31,5 kg = 156 kg. Marcel s’assoit dedans, avec son petit merdier : 156 kg – 90 kg = 66 kg.

Avec la quasi-totalité des ULM du marché, Marcel, pour voler trois heures, ne pourra prendre avec lui que ses petits-enfants ou Philippe Croizon…

 

Il a vu que la règle avait changé et qu’avant les masses étaient plus faibles. Il comprend d’ailleurs qu’à peu près tout ce qui se trouve en seconde main est dans ce cadre.

472,5 kg (ancienne règle) – 31,5 kg (carburant pour trois heures) – 90 x 2 = 271 kg.

Pour assouvir ses rêves sans prétention, Marcel doit trouver un ULM multiaxes biplace « ancien régime » qui pèse 271 kg au maximum. Renseignements pris, ça n’existe pas. Ou alors, des vieux machins qui ressemblent aux trucs de ploucs mais dont la masse max au décollage est limitée à 400 kg par le constructeur, ce qui ne fait donc que décaler le problème…

 

Marcel lit des essais, voit des vidéos, se rend sur les terrains, échange avec des usagers. Il constate qu’avec ces machins, de beaux bébés traversent la France avec les pleins. Il ressort la calculette. L’une des machines qui l’intéresserait peut emporter 100 litres. Soit 70 kg. 525 kg – 337,5 kg – 70 kg – 90 kg = 27,5 kg. En biplace, voyons voir : 525 kg – 70 kg – 337,5 kg = 117,5 kg de viande. 117,5 kg / 2 = 58,75 kg. Ces ULM sont donc destinés à des jockeys et avec son poids moyen de français moyen abonné au gaz et à jour de ses cotisations et impôts, Marcel est exclu du jeu. Ou devra se contenter des trucs de ploucs.

 

Et c’est ici que Marcel nage en plein mystère. Nulle part, ni auprès de la fédération, ni dans aucune vidéo, presse ou forum, il ne trouve la moindre interrogation à ce sujet. Il semble que ce milieu soit habité d’autruches.

 

Mais Marcel veut comprendre. Il retourne sur les terrains et interroge les usagers, professionnels notamment, ceux qui seraient amenés à le former et lui vendre l’une de ces machines à rêver. Un large sourire aux lèvres, on lui explique qu’il n’y a rien à craindre, que l’administration sait mais ne dit rien, que l’assurance ne tient pas compte de ce point et que, du reste, la plupart des appareils ne font même pas le poids indiqué sur la paperasse mais plus ou moins largement plus…

« Oui, mais tout de même, je dois bien la peser, cette machine, au moment où je l’achète, puis plus tard à chaque fois que j’ajoute un accessoire, puis encore tous les deux ans pour déclarer son aptitude au vol ? ». On lui répond que théoriquement oui, mais qu’il suffira de signer la pesée originelle et le tour est joué !

 

Marcel est dépité. Ultra Léger Mensonger, voilà ce que veut dire cet acronyme. L’Etat ment en posant un cadre réglementaire inapplicable, les usagers mentent en ne l’appliquant pas, la fédé ment en regardant ailleurs et ces machines sont bien des autruches, oiseaux qui ne peuvent voler.

 

Ne reste donc à Marcel qu’à s’adonner à ces machins de ploucs qui sont les seuls à respecter la loi, ou s’orienter vers le certifié. Là, l’Etat n’accorde aucune confiance et surveille tout, certes, mais force est de constater qu’une majorité de ceux à qui il accorde sa confiance ne la méritent pas.

 

Albert

 

 

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