Aviation de loisirs, qu'ils disaient...
« Voler, le plus vieux rêve de l’homme… » S’il faut ici comprendre que voler serait le plus vieux rêve de tous les hommes, il n’est pas déraisonnable d’en douter. Car s’il l’on observe qu’une large majorité de l’humanité actuelle est terrorisée à l’idée de s’élever dans les airs, on peut ranger la susdite affirmation au rayon poésie.
Certains humains, seulement, ont voulu voler. En ont-ils toujours rêvé ? Il n’en existe guère d’archives. La mythologie grecque nous enseigne que ce ne serait pas une bonne idée, bien plus tard Baudelaire ou Vinci ont sublimement raconté leurs rêves…
Sans réviser toute l’histoire, il fallut attendre les Montgolfier pour que l’humain puisse d’élever dans les airs, puis, bien plus tard arriva le plus lourd que l’air.
Très vite, dès le début, dès avant même le début, on chercha à cette aviation balbutiante une fonction utilitaire. La raison la plus pragmatiquement acceptable est qu’il fallait bien des financements, donc du retour sur investissement. Les montgolfières furent ainsi employées à des vols de mesures scientifiques, voire militaires pour fuir Paris prise par les Prussiens.
Les plus lourds que l’air furent eux aussi nourris dès l’origine par des visées fonctionnelles : militaires, puis, une fois que la paix éclata, de transport épistolaire et commercial.
Dans les mêmes temps, l’ère industrielle apporta les loisirs. Littré nous enseigne que le loisir est « l’état dans lequel il est permis de faire ce qu'on veut ».
Certes, l’humain, sans doute le seul être vivant capable de ne rien foutre pour le plaisir ou au contraire de se fatiguer sans autre finalité que sa satisfaction, avait toujours concouru à sa propre perte en perdant du temps. Mais voici que les loisirs s’organisent et deviennent individuels.
Cette expansion du loisir venant avec le congé payé, tout était réuni pour que le bon peuple, content de travailler et s’amuser, devienne tout à fait gouvernable.
Certes, bien avant cela, l’autorité montra son nez ; Louis XVI, qui décidemment en manqua cruellement, tenta déjà d’interdire la montgolfière.
Puis, à mesure que les choses volantes se développaient et au bénéfice des quelques moments de paix, les machines volantes et surtout leur fabricants, oisifs après les défaites des Fokker et Bf 109, durent se reconvertir. L’aviation commerciale de transport naissait, les plus nantis, dans un premier temps, pouvant ainsi aller constater que les plages sont partout les mêmes.
L’autorité mondiale fit son office et codifia tout ceci en des normes strictes et rigoureuses auxquelles les valeureux guerriers du ciel qui, chacun dans leur camp, avaient concouru à la gloire de leur pays, n’auraient pas satisfait.
Nous voyons qu’il n’est ici pas question d’aviation de loisir. Il n’en fut guère question. Les aéroclubs, vol à voile ou vol moteur, furent et sont toujours subventionnés, mais jamais pour visées généreuses d’amusement. Toujours à des fins de formation, à tout le moins initiation, des futurs conducteurs de machines volantes guerrières ou balnéaires. Les quelques-uns qui voleront pour leur seule joie ne le feront que par dépit ou une fois la carrière terminée, dans un cadre strictement identique à celui qui aurait été ou fut le leur.
Certes, quelques-uns voleront pour leur seul loisir, dans l’hélicoptère, le vol à voile ou en voltige, mais à des tarifs inaccessibles au congé payé et moyennant la soumission, parfois bien volontaire, aux mêmes normes et rites imposés à l’aviation la plus sérieuse, celle à qui ils veulent ressembler. Volant ainsi avec l’Etat dans le cockpit, qui leur ordonne où aller, à quelle heure gonfler la roue ou voir le médecin.
Un certain Henri Mignet avait bien tenté d’initier une forme d’aviation de loisir pour tous, concevant une machine volante à construire facilement et sans sacrifice, mais le pauvre homme fut raillé et l’est encore, par ceux qui ne concevaient l’aviation que comme une chose sérieuse pour grandes personnes à galons. Son disciple Délémontez ne fut admis dans la cour des grands que parce-que, de son idée originelle d’avion de loisirs on put extrapoler un truc sérieux à barrettes. Quelques autres laisseront bien une trace, mais davantage auprès de menuisiers amateurs que de volatiles.
Puis vint le vent de liberté suivant le mitan du XXe siècle. La religion dominant l’Europe s’est sabordée, les étudiants ont gagné le droit d’aller au dortoir des filles et de se laisser pousser les cheveux, les idéaux de la gauche historique, républicaine, se sont imposés à tous ou presque, l’appellation « droite » ne désignant plus l’oppressive rigueur morale mais seulement le goût du lucre.
C’est dans cette brèche que se glisse l’ULM. Les années 1980 voient arriver une gauche assumée, les riches attendent les chars à étoile rouge et les pauvres se sentent enfin le droit de jouir… la vie et la gouvernance ne sont qu’affaire d’illusion.
Un certain André Henry, obscur instit syndicaliste, est bombardé « ministre du temps libre », c’est dire si s’amuser pour rien devient enfin une réalité sociale !
Très vite, l’ULM se développe, chaotiquement bien sûr. Une aviation accessible à tous dans laquelle l’Etat ne met son nez que pour protéger les tiers.
Ainsi, l’ULM ne réinventait pas l’aviation, mais il donnait corps à cette aviation de loisir que le capital méprisait jusqu’alors : une aviation purement récréative accessible au plus grand nombre.
Il n’y est pas question de carrière, sinon en vase clos : on y gagne bien sa vie dans le commerce des jouets et accessoires, mal dans l’instruction et ni bien ni pas trop mal dans le « promène-couillon ». Il n’existe aucun statut professionnel, ni pour l’aéronautique ni pour la patente et les quelques dizaines de lucratifs qui gravitent dans cet univers n’ont jamais su se fédérer. Individualisme assumé, la modernité la plus crue !
Le cadre réglementaire est simple : le brevet-licence est acquis à vie, les machines ne sont pas certifiées et doivent peser en biplace moins de 175 kg à vide pour une charge alaire à vide de 10 kg/m² et les beatniks adeptes doivent voler en dehors des espaces contrôlés et des aérodromes estampillés. Point.
On pouvait donc décoller de son jardin et découvrir la France vue du ciel, les seules rares CTR et zones P contraignant au contournement. Aucun entretien n’était imposé et la porte grande ouverte aux inventeurs de tous poils.
« Lassée d’une liberté dont elle a fait mauvais usage, l’âme humaine songe à se contraindre de toutes parts, » résumait Bossuet. Voici que cette trop grande liberté en lassa quelques-uns. Ils voulurent ainsi aller sur les aérodromes et payer des taxes, parler dans la radio, voler plus lourd, exiger de l’entretien, aller plus vite… Ils demandaient davantage d’Etat.
Et les voici, ces adeptes des singeries oaciques qui s’étonnent désormais que l’Etat s’en vienne quand on l’appelle et découvrent que cette aviation assistée est bien moins amusante.
« La folie, c'est de faire toujours la même chose et de s'attendre à un résultat différent. »
Albert Einstein
Albert