Sylviane Chamu
Article paru dans ULMiste n°1, mai 2010
Sylviane Chamu
Maîtresse d’école fraîchement retraitée, mère de famille et grand-mère, Sylviane pourrait être la madame tout le monde à qui l’on entend chaque jour le maraîcher lancer un “bonjour ma’âme Chamu”, ici trempé d’accent picard. Mais une fois dans la rue, ses emplettes sous le bras, c’est vers le ciel que le regard de “Maya” petit nom qu’elle se donne, se tourne. Monte alors en elle cette poussée que nous connaissons tous : ça vole aujourd’hui ! Car sous un vernis d’apparente banalité se cache (pas tant que ça) une pilote de pendulaire qui aime l’ULM d’un amour d’autant plus intense qu’il fut longtemps retenu par les obligations de la vie...
ULMiste : Comment es-tu arrivée à l’ULM ?
Sylviane Chamu : Il y a bien plus de vingt ans, mais je suis incapable de resituer l’évènement avec exactitude dans le temps, j’ai fait un baptême, sur un ULM pendulaire assez spartiate, à Abbeville. En quittant la sellette minimaliste sur laquelle j’étais assise, j’ai dit : c’est ça que je veux faire !
Et la vie en a décidé autrement ! Une trentaine d’années se sont écoulées, pendant lesquelles j’ai élevé deux enfants, mené ma vie de femme, d’épouse, de maîtresse d’école… avec bonheur et enthousiasme. Les ULM tournaient dans le ciel, passant au-dessus de mon toit, (ma maison était située sur la route Abbeville Baie de Somme), et je fis encore un ou deux vols en passagère en rêvant pendant ces années-là.
En janvier 2007, la vie me gifle en me prenant mon époux.
Mes enfants qui connaissent ce rêve enfoui en mon cœur, m’offrent pour mon anniversaire le 14 février, et avec la complicité de tous mes amis, une heure de vol et une enveloppe contenant de l’argent, pour commencer à apprendre à voler !
L’aventure commença fin octobre 07, je fus brevetée le 1er juillet 08.
Je ne sais si cela m’a sauvée du désastre, mais je suis persuadée que le pendulaire m’a tenu la tête hors de l’eau pendant des mois : le rêve osé de voler, devenant peu à peu accessible, m’a mobilisée toute entière pour devenir réalité, engendrant d’autres rêves… qui à leur tour…
Je ne suis qu’au début du début du début…je l’espère en tout cas !
ULMiste : Quels rêves ?
Sylviane Chamu : Au début, je fantasmais sur le simple fait d’ouvrir le hangar très tôt le matin quand il n’y a encore personne et de voir la lumière inonder les machines, puis de m’envoler toute seule ivre de liberté et de plaisir ou de rentrer la dernière le soir, quand chacun a regagné son toit, et de m’offrir des radadas sur la longue piste de notre aérodrome !
Puis l’idée d’aller ailleurs me tarauda et je m’aventurai seule sur d’autres terrains, attendue par des amis ou accompagnée par l’un d’eux sur sa machine !
Mais la passion qui m’anima de plus en plus fut celle du voyage : je fis changer le réservoir 38 litres de mon Twin XP 12 et le fis remplacer par un 60 litres, passai ma qualif radio et après une navigation chaperonnée par Fred (ensemble sur son pendulaire), au Rassemblement des Femmes Pilotes à Dreux, puis par Michel (mais cette fois seule sur ma machine) à Vitry en Artois, je partis pour le rassemblement des femmes à La Réole (9 h de vol aller et autant au retour). Il était là aussi sur son DTA, son épouse suivant généreusement avec un camping car ! Sans eux je serais encore à tourner au-dessus de ma région, je pense. Le rêve était là mais aussi les doutes, la peur, et j’avais besoin qu’on me tienne la main et qu’on me dise : “tu peux le faire”.
J’ai eu la chance de rencontrer des amis qui ont su me le dire alors…je le fais !
Je voyage toujours seule sur ma machine depuis Vitry. J’enchaînai avec le Tour de Bretagne, emmenée par Air Flash (Eric Lefebvre), où je fus encore chaperonnée par un pilote merveilleux de patience et de gentillesse : Hervé, et encadrée par l’équipe organisatrice de main de maître.
Mes rêves actuels :
- Voler en montagne. La météo m’empêcha de prendre plus d’une heure de vol l’an dernier avec Franck Toussaint et j’entends bien continuer d’apprendre à voler avec une machine à patinettes !!! Avant de passer à la montagne l’été.
- Partir loin, avec des amis et bivouaquer, dormir dans un hangar, sous mon aile, dans une tente… partager des moments d’amitié sous un ciel étoilé ou une pluie battante.
- Asseoir et bien “ficeler” mes enfants et mes petits enfants derrière moi et aller leur montrer la vallée, la maison, la mer, les phoques de la baie de Somme en se disant des bêtises dans l’intercom entre les moments d’émerveillement, puis les emmener au-dessus des nuages pour plonger dans les grandes trouées bleues et voir notre ombre se refléter, toute auréolée des couleurs de l’arc en ciel.
- Mes rêves plus “techniques” : ne plus subir les turbulences et apprendre à les déjouer, à ne plus avoir “les boyaux à l’envers” quand le vent commence à me secouer alors que mes compagnons de voyage ne semblent pas perturbés.
- Et le plus difficile : être AUTONOME !! Je pourrais m’étendre pendant des pages sur cette autonomie que je ne fais que toucher du doigt et qui ne représente encore qu’un millième de ce que je dois maîtriser pour être «grande».
- Enfin je rêve d’aller du nord au sud, d’est en ouest, de visiter tous les penduleux et penduleuses qui font de nos petits “torchons à moteur” de fantastiques vaisseaux de la solidarité, de la convivialité, de la simplicité, parce que si les paysages sont saisissants de beauté, c’est bien un sourire humain qui nous accueille sur le bord de la piste et nous invite à la pause.
ULMiste : Wow ! Voilà qui anticipe un tas de questions, voire y répond d’avance ! Il apparaît assez clairement que la convivialité et l’amitié que l’on rencontre dans l’ULM sont à tes yeux aussi importants ou presque que l’exaltation du vol. Lorsque tu évoques l’autonomie, le fait d’être une femme est-il à tes yeux un frein dans ta pratique déjà intense du pendulaire ? Question subsidiaire, quels moyens te donnes-tu pour accéder à cette autonomie ?
Sylviane Chamu : Le fait d’être une femme est pour moi en tout cas, un frein à l’autonomie en ce qui concerne la pratique du pendulaire.
J’ai tout d’abord réfréné mon envie de voler pendant très longtemps, tout simplement parce que cette activité nécessite de la disponibilité, des longs temps de pratique, bien plus difficiles à caser qu’une heure de piscine par exemple ! Et je ne parle pas des longues balades à plusieurs qui peuvent très bien être prolongées loin de la maison pour des raisons météorologiques ! La maman a des obligations plus “serrées” dirais-je auprès de sa famille. Ce fut une des raisons de mon renoncement quand j’étais plus jeune.
Maintenant, d’autres facteurs (peut-être non ressentis par les autres femmes pilotes de pendulaire, je ne sais pas) me gênent terriblement dans cet accès à l’autonomie :
– Le fait d’être au niveau zéro en mécanique : je me soigne en apprenant sur des livres, le BE A BA, en questionnant mes instructeurs, en écoutant dans les hangars, en lisant dans les forums, en assistant un maximum aux petits entretiens réalisés par les uns et les autres. Cette ignorance fait que je m’en remets totalement à Laurent et Pierre qui m’ont appris à voler, vendu la machine et en assurent l’entretien. J’ai aussi la chance d’avoir sur mon forum fétiche, “Air Delta, la passion du pendulaire”, un mécano qui veut bien nous organiser des moments de formation lors de rassemblements ou chez lui dans son garage personnel et j’espère que cela va se mettre en place rapidement. Je n’ai pas la prétention de faire mon entretien, mais je veux tout d’abord comprendre comment ça fonctionne, et surtout avoir l’œil juste lors de mes prévols en sachant ce que je dois regarder et comment je dois le regarder. On m’a déjà appris un peu, mais je veux aller plus loin, pour le plaisir.
– Le manque de force physique également me rappelle cruellement à l’ordre dans de nombreuses occasions: sortir le torpédo de son encoche pour poser l’aile au sol par exemple m’est totalement impossible, les pilotes hommes m’ayant aidée l’ont eux-mêmes constaté d’ailleurs, tout comme sortir la machine d’un hangar au sol caillouteux, ou manipuler d’autres machines un peu lourdes pour accéder à la mienne !
Je dois donc être là dans des créneaux horaires où je suis sûre de trouver quelqu’un, ou je dois m’assurer lors des périodes volables, que ma machine sera bien tout devant, au ras de la porte du hangar pour pouvoir voler très tôt le matin !
Quant à voyager seule, je veux dire sans autre pendulaire avec moi, cela compliquerait bien le voyage, si un méchant coup de vent ou une panne m’obligeaient à me poser au milieu de nulle part et que poser l’aile devienne indispensable par exemple. Je ne parle pas non plus des moments de grande solitude, dans les claques que je reçois parfois en vol, et que mon aile part violemment d’un côté ou de l’autre, ne me laissant que le choix de laisser faire et freiner !! “freiner”, tu parles !! comme si je pouvais le faire !
Et ce n’est pas en vol que je souffre le plus en fait, parce que d’ici à ce que ma machine se mette les jambes en l’air, il y a du chemin, mais c’est quand j’arrive au ras du sol et que c’est encore turbulent par exemple sur une piste en dur ayant emmagasiné de la chaleur ou lorsque le vent de travers prend l’aile et me rend l’atterrissage physique, ainsi que le roulage ! Dans le cas du roulage, il me suffit de renoncer, mais quand je dois atterrir, pas le choix !
Tout cela peut paraître du détail, mais c’est important et cela rogne mon autonomie, m’agace un peu, et me fait envier les bras plus costauds des hommes ou des jeunes femmes sportives dépassant mon mètre cinquante neuf ! J’en ai pris mon parti et me dis que j’ai de la chance tout de même, de pouvoir faire ce que je fais, sans friction familiale (mes enfants cautionnant totalement mon activité) et sans souci professionnel (je suis en retraite depuis septembre dernier !).
Bien sûr le rêve serait une machine plus facile à manipuler, avec une aile plus légère à baisser, ou à déposer, mais là… je sèche pour les solutions, pardon ! Je suis dans le domaine de la fiction… pour l’instant !! (sourire un peu désabusé quand même)… j’imagine le bonheur : une machine pour femme de petit gabarit !
ULMiste : En définitive tu es en train de suggérer que le pendulaire actuel n’est pas adapté aux personnes de petit gabarit (soyons politiquement corrects…) As-tu jamais songé au trois-axes, a priori moins “physique” ?
Sylviane Chamu : En ce qui concerne mon gabarit il a en effet fallu ruser pour trouver une position correcte et relativement efficace sur la machine : la roue a été rapprochée au maximum proposé par le constructeur, j’ai ajouté une grosse galette grippée entre mon dossier et le sac (sur mon Twin le siège arrière est transformable en sac) et une autre sous mon siège. Ces ajouts ne suffisant pas encore pour que mes pieds soient bien posés sur les pédales, Laurent a ajouté des tubes sur le haut des dites pédales pour redresser la pointe de mes pieds. Ce n’est pas le nirvana mais je fais avec !
Bien sûr je pense que j’ai moins de débattement en tirant la barre vers moi, que si j’avais les jambes plus longues ! Et de ce fait, elle arrive vite sur ma cage thoracique, j’en ai déjà ressenti les effets lors d’un vol fort turbulent au retour de La Réole, mais ma sécurité reste maximale.
Les personnes de petite taille doivent “bidouiller” pour s’installer, et là je pense qu’il y a vraiment quelque chose à faire pour élargir l’éventail des possibilités sur les machines.
Maintenant, le trois axes !!!
Question très sensible pour moi : tout d’abord, le même problème se pose pour la position du palonnier (j’ai testé, il est très loin pour moi donc… bidouillage encore ?) mais il est vrai qu’il serait une solution à la question de la force physique !
MAIS : je ne chevaucherais plus mon engin volant, je ne ressentirais plus le plaisir intense de regarder le paysage entre mes pieds, d’être suspendue dans le vide, d’être fouettée par le vent, d’avoir mon corps directement en contact avec les éléments, de n’être enfermée dans rien d’autre que le ciel… et je ne suis pas prête à renoncer à tout cela ! Je n’en ai pas encore assez profité ! Je n’ai que 90 heures de vol en solo, cela ne fait pas beaucoup, j’ai encore beaucoup à vivre sur cette machine que j’aime tendrement, oserais-je dire, pour les merveilleux moments de plaisir, de détente, de découverte, de partage, de frayeur aussi (c’est arrivé), qu’elle m’a offerts.
Je me donne encore quelques temps pour réfléchir au trois axes.
Cette année je vais à la Pentecôte à Pont sur Yonne, rejoindre les amis de notre forum, puis ce sera avec Michel et Françoise (elle aussi sur sa machine en principe cette année, bravo les filles !) un grand voyage de vacances de trois semaines en juillet, avec passage à Egletons (Rassemblement des Femmes Pilotes d’ULM), puis l’été, un tour de la région parisienne, et une semaine de navigation en solo, en autonomie absolue (je dois le faire). J’ai aussi prévu une grande navigation en Belgique avec d’autres pilotes belges, pourvu que l’été soit long !!!
Y’a du vol dans l’air !!
ULMiste : Une vie d’ULMiste bien remplie ! Aurais-tu, pour terminer, un avis général quelconque à donner sur le monde de l’ULM, ou bien encore tout autre genre de message, annonce, appel ou souhait que tu voudrais formuler ?
Sylviane Chamu : Nouvelle venue dans ce “monde de l’ULM”, je n’ai qu’une vision un peu floue et très subjective de certains de ses aspects. Cependant, si je devais formuler quelques vœux, ils seraient les suivants :
- que la règlementation ne s’alourdisse pas, ne limite pas notre activité, continue d’accorder, par le système déclaratif, la confiance que la très grande majorité des pilotes mérite,
- que la passion, le partage et le respect restent les moteurs de nos vols,
- que nos petites machines demeurent accessibles financièrement et juridiquement aux générations futures animées du rêve de voir le ciel de plus près,
- et mon souhait le plus cher : que toutes celles et ceux qui volent, quelle que soit la machine utilisée, se rapprochent, pour protéger, qui un sport, qui un jeu, qui un métier, qui un rêve sans cesse renouvelé, et s’unissent, continuent de se fédérer, en n’oubliant jamais que plus de cent ans avant nous, des rêveurs aventuriers, ont consacré et sacrifié leur vie à la réalisation de machines volantes diverses, ancêtres des nôtres, afin qu’aujourd’hui nous puissions nous prendre parfois pour des oiseaux !
Soyons leurs dignes héritiers, et soyons solidaires et respectueux les uns des autres.
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