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Hélice calée ou libre ?

Article paru dans ULMiste n°10, juin 2012

 

Hélice calée ou libre, qui traîne le plus ?

 

Voilà une question à laquelle chacun pense avoir une réponse évidente. Certains diront que c’est l’hélice tournant librement sous l’effet de vent relatif qui traîne moins, d’autres défendront le contraire…  et ils auront probablement tous raison, suivant le modèle auquel ils se réfèrent. L’enjeu de la question est double : une hélice peut constituer un frein avantageux pour l’atterrissage ou au contraire gênant pour une phase de plané.

Frank Aguerre

 

Si on cherche un peu sur le net, avec comme mot-clé « windmilling drag » (littéralement : traînée de moulin à vent), on tombe rapidement sur ce type de graphique :

Le décodage est relativement simple : à chaque pas étudié (précisément une incidence géométrique du profil d’hélice) correspond une traînée d’hélice bloquée et une traînée équivalente (précisément une force dirigée vers l’arrière) d’hélice tournante sous l’action du vent (windmilling). La comparaison entre ces deux configurations montre que l’hélice tournant librement traîne sensiblement plus que l’hélice bloquée si son pas est faible, puis à partir d’un certain pas c’est le contraire.

Le point de transition se situe environ à une vingtaine de degrés, ce qui permet de déterminer assez facilement une loi empirique de traînée moteur coupé.

Sachant que l’on considère le pas nominal à 70% du diamètre de l’hélice, un rapide calcul géométrique nous donne :

- si pas < 70% diamètre : l’hélice libre freine plus que l’hélice bloquée

- si pas > 70% diamètre : l’hélice libre freine moins que l’hélice bloquée

 

Mais au fait, d’où cela vient-il ? Un petit croquis de décomposition des vitesses puis des forces rend les choses limpides pour le vol moteur actif.

Tout est une question d’incidence locale du profil d’hélice, comme pour une aile d’avion. La projection de la résultante aérodynamique sur le plan de rotation de l’hélice donne le couple que doit fournir le moteur, tandis que la projection sur l’axe de rotation donne la traction d’hélice.

 

Appliquons le même formaliste à l’hélice libre.

La résultante des forces est dirigée vers l’arrière et est assimilable à une traînée une fois intégrée sur l’hélice complète. A noter que la notion de traînée de « disque balayé » par l’hélice souvent évoquée n’existe pas… les forces ne s’exercent que sur la surface de l’hélice, exactement comme sur une aile.

 

Souffle hélicoïdal d’hélice, mythe ou réalité ?

 

Une étude géométrique similaire à celle des forces s’exerçant sur l’hélice permet d’estimer la giration (appelée communément souffle hélicoïdal) de l’air en aval de l’hélice. On prête souvent à ce souffle des effets importants en lacet et en roulis, à cause d’une mauvaise interprétation de photos de vortex visibles en bout d’hélice sur certains avions. La forme de ce vortex est en effet particulièrement hélicoïdale. Pourtant, cette trace dans la masse d’air ne traduit directement pas la forme du souffle d’hélice mais ne fait que matérialiser le pas de l’hélice. Dans le repère de l’avion, la valeur de la giration n’est en réalité que de quelques degrés et son influence est généralement assez peu significative. Cela est d’ailleurs matérialisé sur d’autres photos toutes aussi faciles à trouver sur le net (par exemple sur le site interaction.free.fr) par des fils de laine accrochés au fuselage… fils de laine désespérément dans l’axe de l’avion au lieu d’être inclinés par le « souffle » de l’hélice. Pour finir d’achever ce mythe, il faut aussi retenir que la giration diminue proportionnellement à la vitesse de vol et à la distance de l’hélice à laquelle on la mesure, exactement comme pour la déflexion de sillage. La giration d’hélice est d’ailleurs la déflexion de sillage de l’hélice qu’on mesure dans le repère fixe de l’avion.

 

Pour en savoir un peu plus, la lecture de la note technique NACA n°1146 est très intéressante. Les graphiques les plus parlants sont à mon avis les fig. 14, 15 et 16 « concluded », qui synthétisent les résultats sous la forme de courbes montrant l’incidence de dérive dans le vent relatif pour divers angles de dérapage en lacet imposé à l’avion, cela pour trois pas d’hélice et trois empennages plus ou moins proches de l’hélice. L’angle d’incidence de la dérive mesuré à un angle nul de dérapage en lacet permet donc d’avoir un bon ordre d’idée de la valeur de la giration locale au niveau de la dérive.

 

En voici une rapide synthèse :

- à une incidence de lacet de 0° correspond une incidence de dérive de 0° à environ 2° pour le cas le plus extrême (pas d’hélice de 35° et empennage le plus proche de l’hélice).

- la giration d’hélice introduit une non-linéarité très marquée dans la réponse en lacet autour du neutre, avec une courbe à faible pente sur environ +/-10° (0.25° d’incidence de dérive pour 1° de lacet alors que le reste de la courbe est plutôt à 1° pour 1°). Cette non-linéairité traduit probablement l’effet du contournement de l’air autour du fuselage lorsque celui-ci est mis en dérapage dans le vent relatif.

 

Ceci dit, que les effets en jeux soient négligeables à très faibles ne dispense pas de les identifier. Ils existent sous trois formes :

- axe de roulis : l’action de la giration sur toutes les surfaces de l’avion donne un moment autour de l’axe de vol de l’avion et dans le même sens que celui de la rotation de l’hélice. Mais comme ce moment est en sens inverse du couple moteur quand ce dernier est réducté, il tend à le compenser (un peu) et l’on finit généralement de contrer au trim d’aileron.

- axe de lacet : les dérives de nos avions étant rarement symétriques par rapport au plan horizontal, l’action de la giration sur la dérive va générer un effort dans le sens de la giration, donc un moment de lacet. Sur un modèle réduit, équipé classiquement d’une hélice tournant en sens horaire vue de l’arrière, ce moment tend à faire pivoter l’avion vers la gauche. Cette tendance est surtout détectable au sol ou en fin de montée verticale (cela facilite le renversement… dans un sens seulement) et peut, si besoin, être compensée par une correction à la dérive ou, plus classiquement, l’angle d’anticouple du moteur. A noter que cette appellation est assez impropre, mais elle est maintenant tellement usitée qu’il va être difficile de la requalifier.

- qualités de vol : au-delà des efforts parasites existe aussi un effet pervers purement aérodynamique. En effet, les quelques degrés de la giration s’additionnent localement à l’incidence d’une aile et peuvent favoriser un décrochage asymétrique quand l’appareil vole au moteur à forte incidence. Ce phénomène est surtout sensible sur certaines warbirds dotés d’hélice de taille parfois énorme proportionnellement à celle de l’aile.

 

La mise en évidence de la nature des effets et des moyens de les contrer confirme bien leur faible importance. Sur la majorité des appareils bien construits et normalement motorisés, le décrochage au moteur est généralement symétrique tandis que les corrections d’anticouple moteur et de trim d’aileron sont souvent minimes, voire inexistantes.

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