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Quel avenir pour nos machines basiques ?

Article paru dans ULMiste n° 12, octobre 2012

 

Le prix de nos jouets - quel avenir pour les ULM basiques ?

 

Bien souvent, il nous est demandé des essais de machines basiques. Tentons une définition simple : une machine dite « basique » est, dans l’esprit de ceux qui nous les réclament, avant tout une machine peu chère. Raisonnablement, disons un biplace aux alentours de 30 000 € maximum sans fioriture, puisqu’en-dessous de ce prix, il n’en existe pas prêt à voler. A ce prix-là, l’ULM est nécessairement basique, à savoir simple de conception, de fabrication et de modeste performance. Nous vous proposons ici une réflexion sur ce segment : pourquoi il n’en existe que peu, voire pas du tout. Donc, pourquoi les constructeurs n’en proposent guère mais aussi, comment il se fait que les ULMistes ne les achètent pas. Par effet ricochet, ce travail permet d’y voir clair dans ce qui fait le prix final de nos ULM.

Pierre-Jean le Camus

 

Au-delà de l’aspect « égo-participation » qui est relativement subjectif bien qu’il englobe des caractéristiques universelles, c’est sous l’aspect purement économique qu’il convient de commencer d’étudier la question. Côté constructeurs, puis vu du pilote en quête de sa prochaine monture, pour enfin tenter une synthèse de ces deux facettes du problème.

 

Côté constructeurs

 

Matière première

 

Dans un ULM biplace, quel qu’il soit, il y a entre 3 000 € et 6 000 € de matière première brute. Qu’il s’agisse de bois et toile (le moins cher), de tube et toile, de tôles d’aluminium, de verre ou de carbone (le plus cher) ou bien encore d’un mélange de tout ceci, en y englobant les accastillages et les éléments d’acier que l’on retrouve toujours, tels que bâtis-moteur, etc.

Pour simplifier, établissons une moyenne à 4 500 €. C’est donc ce que coûte le « lot matière » d’un biplace une fois livré chez le constructeur, quelle que soit la technologie donc les outillages nécessaires à la transformation de cette matière.

 

Eléments finis

 

On ajoute maintenant les éléments minimaux que les constructeurs doivent se procurer finis, à chacun son métier : moteur, instruments, roues, freinages, etc. Ici, la facture peut varier considérablement selon les éléments retenus à la conception. Au prix d’achat d’un constructeur, à partir de 8 000 € pour une machine propulsée par un moteur deux-temps type 582 avec l’hélice, les instruments et roues nécessaires et suffisants en bas de gamme, jusqu’à 30 000 € pour un moteur quatre-temps type 912 à injection avec hélice à pas variable, instruments électroniques et freinage haut de gamme. Etablissons, ici aussi, la moyenne : 19 000 €, incluant l’hélice.

 

Nous voyons donc qu’un constructeur, lorsqu’un client signe une commande, doit débourser en moyenne 4 500 + 19 000 € = 23 500 € pour simplement voir les éléments constitutifs du futur jouet dans son atelier, avant même de les déballer. Le bas de la fourchette étant de 3 000 € (matière première) + 8 000 € (moteur, etc.) = 11 000 €. Le haut, lui, se situant à 6 000 € (matière première) + 30 000 € (moteur, etc.) = 36 000 €. Et encore, en ces matières, est-il toujours possible d’alourdir la note, mais, hélas, difficile de la baisser. On voit déjà que, sur une machine « basique », le plus gros poste de dépenses initiales est le moteur, dans l’état actuel des choses.

Résumons les dépenses initiales :

11 000 € pour une machine « basique »,

36 000 € pour une machine « haut de gamme ».

Entre les deux ou au-delà, tout est possible.

 

Le local et les outillages

 

Local

 

Pour fabriquer cette machine, il va bien falloir un local. Pour le moment, partons sur du locatif, moyen le plus simple de se faire une idée de ce que cela coûte. Une recherche approfondie et largement recoupée fait apparaître qu’un budget mensuel de 1 500 € constitue la moyenne pour un local de 750 m² en province française et à proximité d’axes routiers importants, soit 18 000 € par année. Ajoutons les charges, ressources énergétiques, etc. et arrondissons à 23 000 €/an.

 

Outillages

 

Selon la technologie nécessaire à l’assemblage du futur aéronef, la facture varie énormément ! Le moins cher étant les appareils tube et toile ou bois et toile, qui ne requièrent, sommairement, qu’une perceuse à colonne, une scie circulaire, une dégauchisseuse-raboteuse, un compresseur, un poste à souder, une caisse à outils standard et éventuellement une machine à coudre s’il s’agit de toile cousue. Bien entendu, en fonction du nombre d’unités prévues, ces outils peuvent être dupliqués, mais leur tarif unitaire reste modeste. Posons un investissement de 50 000 € pour du matériel performant de facture correcte, amortissable sur 10 ans, entretient compris, soit 5 000 € par an.

Pour les appareils en tôles, l’affaire se corse. Si l’on veut pouvoir rationnaliser la production, il va falloir investir au minimum dans une machine à découpes numériques. Ici, la facture peut très vite se compter en dizaines, voire en centaines de milliers d’euros, selon que l’on considère du matériel neuf ou d’occasion.

La fabrication en série de machines en matériaux composites, pour peu que l’on veuille pouvoir construire à la fois léger et solide, ce qui est le propre d’un ULM bien né, est sans conteste celle qui revient le plus cher en outillages : entre les moules et les équipements requis pour permettre de polymériser sous vide ou en autoclave, la notion de millions d’euros n’est pas très loin.

Dans tous les cas, pour limiter les investissements immédiats et maîtriser les coûts, de nombreuses petites pièces sont sous-traitées.

 

La main d’œuvre et frais de gestion

 

Enfin, une fois que l’on a la matière première, le local et les outillages, il faut des travailleurs. Pour le moment, nous sommes toujours en France. Le SMIC est actuellement à 1 425,67 € bruts par mois, soit 17 108,04 € bruts par an. Ce SMIC est basé sur un taux horaire. Selon la technologie retenue, le prix de revient en main d’œuvre d’une machine peut donc varier considérablement selon qu’il s’agit de percer et visser des tubes, découper et coller du bois ou travailler des composites.

Dans les frais de gestion, on va mettre les assurances, les frais administratifs (comptabilité, etc.), charges diverses et variées, etc. Posons 20 000 € par an, ce qui constitue un strict minimum pour une microstructure.

 

Recherche et développement

 

Les coûts de la recherche et développement sont difficiles à compter et pas toujours vraiment pris en compte par les petites structures. On travaille à temps « perdu » ou en amont du projet, sans réel calcul de retour sur investissement. Une fois la structure en place, cela fait partie intégrante de la masse salariale.

 

La commercialisation

 

Un constructeur sérieux doit dès le départ intégrer à son prix de revient les frais inhérents à la commercialisation des ULM qu’il produit : marge des revendeurs, garanties, service après-vente, documentations techniques, frais d’homologations, salons, publicités diverses, tournées promotionnelles, etc. Comme pour tout bien de consommation, c’est le client final qui paie, tout comme c’est lui qui devra s’acquitter de la TVA (19,60% en France métropolitaine).

 

L’addition s’il vous plaît

 

Les variables listées ci-dessus montrent qu’il n’y a guère que trois postes sur lesquels un constructeur peut limiter de façon importante les dépenses, donc éventuellement contenir le prix de vente (nous sommes toujours en France) : la matière première, les outillages (donc la technologie retenue) et ce que nous avons nommé les « éléments finis ».

 

Imaginons un constructeur qui envisage de vendre 20 machines par an. Pour contenir le prix au maximum, il opte pour une technologie peu chère en matière première, simple à mettre en œuvre : le tube et toile, avec un 582 et des équipements minimaux et économiques.

Pour 20 machines par an, le coût de revient est donc :

Matière première : 4 000 €

Eléments finis : 8 000 €

Local : 23 000 € / 20 machines = 1 150 €

Outillages : 5 000 € / 20 machines = 250 €

Main d’œuvre* : (17 108,04 € x 3) / 20 machines = 2 566,20 €

Frais de gestion : 20 000 € / 20 machines = 1 000 €

Total sortie d’usine : 16 966,20 €

* pour 20 machines par an, compter 3 travailleurs au strict minimum.

 

A ce prix-là, personne ne gagne sa vie, sauf l’ouvrier. Il faut bien que « le salaud de patron » se paie et, surtout, qu’il puisse vendre sa machine : il faut donc calculer le prix de vente en intégrant les frais de commercialisation. Restons désormais sur cette machine qui est revenue à 16 966,20 € en sortie d’usine, ce qui est un très beau score et constitue le strict minimum.

Pour qu’un éventuel revendeur puisse travailler et assurer un service après vente pendant des années, il va falloir lui verser au minimum 2 000 €. Nous sommes donc à 16 966,20 € + 2000 € = 18 966,20 €.

Pour que les prospects puissent connaître l’appareil, il faut prévoir des publicités, des tournées, des salons, des essais dans la presse. Posons 20 000 € par an, soit 1 000 € par machine. D’autant qu’il va falloir prévoir d’immobiliser une machine en permanence pour la faire essayer aux prospects, qui sera bien sûr revendue à moindre prix avec quelques dizaines d’heures de vol, ce qui a également un coût.

Nous sommes donc à 19 966,20 €.

A ce prix-là, le constructeur ne prend aucune marge, or il lui en faut une, pour gagner sa croûte, amortir les frais de développement passés et à venir, investir, bref, gagner de l’argent, ce qui est le but de toute entreprise. Posons 20% de marge :

19 966,20 € + 20% = 23 959,44 €. Voilà le prix final d’un ULM dit « basique », tubes et toile, Rotax 582, instrumentation minimale et sans aucune option.

Mais l’Etat veut aussi sa part : 19,60% !

Le montant du chèque que devra établir l’ULMiste pour acquérir un ULM biplace départ de gamme produit en France est donc de 23 959,44 €HT, soit 28 655,50 €TTC !

Vérifions :

Aéro Services Guêpe 582 : 27 300 €TTC

Air Création Skypper 582 NuviX : 28 524,60 €TTC

Skyranger 582 prêt à voler, monté à Montpezat : 32 420,50 €TTC

 

Mais on constate qu’à ce prix, personne ne s’enrichit : on paie les charges, on honore les factures fournisseurs, l’entreprise dégage une marge infime pour ses futurs investissements et le patron se verse un salaire de cadre inférieur…

Une petite structure qui veut produire des ULM basiques à raison d’une vingtaine d’unités par an et veut pouvoir dégager suffisamment de marge est donc condamnée à rogner sur les coûts tout en maintenant son prix, ou éventuellement faire le pari de baisser le prix client pour espérer vendre davantage d’unités produites, donc abaisser encore plus les coûts.

 

Comment réduire les coûts ?

 

Et c’est ce que l’on observe dans les faits. Soit les locaux et outillages sont déjà à disposition d’une autre activité, comme c’est le cas par exemple chez CBB, dont les ULM sont produits au sein même de la carrosserie, métier de base de l’entreprise. Soit ces équipements sont déjà amortis par d’autres machines, comme c’est le cas chez Air Création ou encore Aéro Services. Auquel cas, bien évidemment, la même logique prévaut pour la masse salariale et les frais de gestion.

Ou bien encore, des éléments de l’appareil basique sont communs à des appareils situés plus haut dans la gamme et dont les coûts de production sont déjà amortis. Ainsi, par exemple, les ailes et empennages de la Guêpe sont ceux du Guépy. Les ailes et empennages du Wallaby de Fly Synthesis en Italie sont repris du Storch. Chez les fabricants de pendulaire, c’est encore plus flagrant, un appareil basique est tout simplement un appareil plus évolué auquel on a retiré tout un tas d’équipements. Par exemple, chez Air Création, le Twin était-il simplement un GTE sans « matière grasse ». En revanche, chez DTA, le Combo est en bonne partie un nouveau concept par rapport aux productions antérieures, pari plus risqué mais semble-t-il réussi, tout comme le Skypper par rapport au Tanarg chez Air Création. Enfin, chez Cosmos il y a une dizaine d’années, on n’a pas hésité à ressortir un concept vieux de 20 ans, le Bidulm, qui, repeint en jaune et surmonté d’une aile contemporaine, a donné le Bison !

Il existe une autre solution pour produire moins cher tout en maintenant un prix « bas », notion bien sûr relative : délocaliser la production, directement ou indirectement. Directement en sous-traitant tout ou partie de la production, indirectement en important du matériel venu de pays où « la vie est moins chère », quitte à endosser la responsabilité administrative de la construction, donc à être, officiellement, constructeur.

C’est ainsi le cas de Bestoff, fabricant français du SkyRanger et dérivés. La production du kit structure est assurée en Ukraine, chez Aeros. Ou bien encore la gamme X’Air, construite en Inde mais dirigée par un Français. Dans ces contrées, la masse salariale peut être divisée par dix par rapport au SMIC français, selon les barèmes officiels que nous avons consultés. Et encore, à ces prix-là, on emploie des ouvriers qualifiés 60 heures par semaine quand chez nous il faut prévoir de les former et les faire bosser 35 heures, pauses et rhumes du gamin non compris. Même si on a vu plus haut que la masse salariale, pour une machine simple de conception et de fabrication, n’est pas le plus gros poste, ça compte. Les frais immobiliers suivent la même courbe, en revanche, la matière première et les outillages auront toujours le même prix, s’agissant de marché mondial. Il faut, bien entendu, ajouter des frais de transport et les taux de change. Mais ce ne sont pas les seuls salaires bas qui motivent de telles stratégies. Opter pour un sous-traitant, où qu’il soit, permet de s’affranchir des lourds investissements en locaux, outillages et compétences, donc en prise de risque, ce qui est énorme.

 

Dernier (et souvent premier) point sur lequel le constructeur doit faire des concessions : les frais de commercialisation. Pas de pub, très peu de tournées promotionnelles, des marges revendeurs moins consistantes (alors qu’elles ne l’étaient déjà guère), absence des salons, etc. On se trouve donc dans cette situation paradoxale où les machines basiques sont les plus difficiles à promouvoir parce que ce sont celles qui génèrent le moins de marge…

 

Et nous avons la réponse à la question que des lecteurs nous posent et qui fut rappelée en introduction : pourquoi pas d’essais de machines basiques ?

Tout d’abord, ULMiste, qui est au service du lecteur avant tout, a pris le parti d’essayer en priorité les machines disponibles sur le marché. Celles que les ULMistes peuvent essayer en vol à leur tour et qui bénéficient d’un dossier technique auprès de la DGAC. Les machines basiques produites en France bénéficient de l’effet de groupe des actions de promotion de leurs constructeurs, par ailleurs toujours producteurs de machines plus élevées en gamme.

Mais pour celles qui sont importées ou distribuées (il n’y a plus à proprement parler d’importateurs entre pays membres de la l’Union européenne), nous nous heurtons à ce souci de promotion. Gemilis Aéro à Bourg-en-Bresse, distributeur du Tucano de l’italien Flylab, n’a pas de machine (pourtant disponible contre 19 990 €TTC prête à voler en version Rotax 503). Le Firefox, toujours italien, distribué par ALP Valence, vendu 29 500 €TTC prêt à voler en version Rotax 582, n’est pas non plus disponible à l’essai. La gamme Quiksilver, importée des Etats-Unis par Espace Aérien à Montélimar, est simplement absente du site internet de l’entreprise et de son hangar (mais l’importateur nous assure que ça va changer bientôt)… il en va de même du Wallaby de Fly Synthesis, etc. Nous avons pu essayer le Challenger II, importé par Champrod ULM à Argenton-sur-Creuse (ULMiste n°10), machine disponible uniquement en kit. C’est, à ce jour et sans doute pour un moment, le seul ULM « basique » que nous avons pu tester en vol, en catégorie trois-axes. En pendulaire, où les machines sont disponibles puisqu’issues de productions plus élaborées, nos essais se poursuivent, bien que les ventes, comme pour les trois-axes, ne suivent guère.

 

Qui en veut ?

 

Car là est bien le fond du problème : ces machines ne trouvent pas d’acquéreurs, ou très peu. Le Challenger a été vendu à 10 exemplaires en 5 ans (en kit) et c’est, en trois-axes basiques, le plus beau score à notre connaissance. A titre de comparaison et nous y revenons plus bas, un distributeur d’appareils haut de gamme, vendus autour de 80 000 €TTC, peut en écouler 50 (voire bien plus) dans la même période si le produit plaît et qu’il fait son travail…

Au-delà de la fortune personnelle de chacun et de la propension des êtres humains (qui ne dérange que ceux qui n’y ont pas accès), à s’équiper de jouets qui flattent davantage l’égo qu’ils ne satisfont un besoin, il convient, pour rester dans « l’accessible », d’observer la question sur un marché concurrentiel, à budget égal. Or, en concurrence avec le neuf de départ de gamme, on trouve du neuf en kit (vu qu’on oublie de compter le temps passé à le monter) et le marché de l’occasion. Si en pendulaire le kit n’est pas vraiment accessible à part chez quelques constructeurs comme Cosmos ou Aquilair, en trois-axes en revanche, l’offre est large. Avec un budget de 30 000 € (puisque c’est celui que nous observons pour du « basique »), on peut s’équiper d’un kit complet d’appareil plus élevé en gamme et équipement, ou, mieux, chercher en occasion. On trouve ainsi des Savannah 912 totalisant moins de 300 heures pour le prix d’une Guêpe ou d’un X’Air.

 

Mais on peut également observer, objectivement, les machines en elles-mêmes, leurs qualités et leurs défauts. Reprenons notre Guêpe : tandem, à l’air libre, moteur deux-temps propulsif et train classique. D’un strict point de vue « marketing », c’est une prouesse, en ce sens que cet ULM réussit à concentrer en un lot à peu près tout ce dont les « trois-axeux » ne veulent pas ! Ont-ils tort ou non, cela ne se discute guère, mais c’est un fait. Alors pourtant que cet appareil rencontre un énorme succès d’estime quand il est exposé au salon ULM de Blois et que tous ceux qui ont volé dessus ont connu une joie immense ! Mais, quand il s’agit de débourser 30 000 €, l’appareil métallique à cabine fermée et moteur quatre-temps, qui ressemble à un vrai avion, comptant moins de 300 heures et mis en vente sur l’internet, est bien tentant ! Il en va de même du pendulaire : en face d’une machine neuve à moteur deux-temps, non carénée et sustentée par une aile relativement modeste, on peut mettre un appareil certes plus ancien et de seconde main, mais qui était au top il y a cinq ans et l’est toujours.

 

Et le « drame » de l’ULM est que le marché de l’occasion peut parfaitement être mis en face du neuf, contrairement par exemple à l’automobile. Une auto haut de gamme de forte cylindrée de dix ans d’âge, même faiblement kilométrée, se négocie au prix d’une citadine 5 portes de « ménagère de moins de 50 ans » neuve. Mais les frais d’utilisation, eux, n’auront pas varié : la grosse bagnole de « kéké » va toujours avaler ses 18 litres aux 100 km, accusera pour toujours ses 15 chevaux fiscaux et coûtera plus cher à l’assurance, en pneumatiques, etc. Quand la citadine boira comme un chameau et coûtera dix fois moins à assurer. C’est pourquoi l’occasion et le neuf s’affrontent moins directement dans l’automobile, en plus du fait que les crédits proposés par les constructeurs n’ont pas d’équivalent en occasion entre particuliers. Sommairement et à moins d’une passion pour l’automobile, on achète une auto d’occasion quand on n’a pas les moyens d’acheter du neuf. Car l’auto est un outil avant tout.

Tandis qu’en ULM, objet de passion qui n’empêche pas de savoir compter, à budget fixe, on achète de l’occasion alors qu’on pourrait acheter du neuf, pour la simple raison que l’occasion peut être plus intéressante que le neuf ! Côté équipements et standard, nous l’avons vu, mais aussi à l’usage !

Neuf ou d’occasion, haut de gamme ou bas de gamme, les frais de hangar sont les mêmes (dans un hangar donné) ; l’assurance ne varie pas, la RC est fixe quel que soit le type d’ULM et en casse on assure une valeur ; consommation… on met un deux-temps face à un quatre-temps plus puissant, donc à vitesse égale on consomme moins avec l’occasion. On a un tube et toile onéreux en entretien et remplacements périodiques face à un appareil métallique qui peut vivre des années dehors. On a un moteur qu’il faut ouvrir toutes les 300 heures face à un autre qui en donnera 2000… le Savannah 912 coûte (beaucoup) moins cher à l’usage que le X’Air 582… aussi, quand on a l’opportunité d’y consacrer le même budget à l’achat, on oublie vite que le second totalise 300 heures (environ 15% de son potentiel) et qu’un autre a posé sa main moite sur le manche (qui est lavable !). Surtout quand le premier n’avait aucune option (à ce prix-là) cependant que le second peut offrir le parachute, GPS, intercom, radio, etc. La coupe est pleine !

 

On oublie tout aussi vite, hélas, ce qui devrait être le plus important : en « basique », on a un vrai biplace, quand en plus évolué on a un 1+1 : monoplace de voyage et biplace de tours de piste. En tous cas en trois-axes, les pendulaires parvenant encore à offrir une charge utile à peu près raisonnable, même en haut de gamme.

 

La boucle est bouclée…

 

Ainsi, ceux qui construisent, mais aussi les ULMistes qui achètent encore des machines basiques sont des militants. A moins qu’ils ne soient à cheval sur le respect de la réglementation, tendance qui, selon des marchands d’ULM haut de gamme, semble s’accentuer. A prix égal et coûts d’entretiens moindres, ils pourraient avoir beaucoup mieux, en toute objectivité.

 

Par ailleurs, nous comprenons que les fabricants ont tout intérêt à vendre du haut de gamme. Pour ce que nous nommons « l’égo-participation », mais aussi selon des éléments objectifs parmi lesquels le fait que l’ULM n’est plus depuis longtemps l’aviation du pauvre mais une aviation qui se suffit à elle-même sans critère pécuniaire. La cruelle évidence des faits montre que plus un ULM est cher et équipé, mieux il se vend. Les appareils instrumentés comme des avions de ligne, faisant appel à des technologies modernes et au design d’auto de course se vendent « comme des petits pains », en tous cas par rapport au basique. Au niveau européen, des centaines d’unités par an pour les premiers contre une vingtaine pour les seconds… c’est ainsi.

Or, on comprend bien que des économies d’échelle apparaissent vite dans tout ce que nous avons listé au début de cette étude : matières premières, amortissement des outillages et locaux, frais de gestion, personnel, etc. A quoi s’ajoute le fait que la multiplication des éléments finis montés sur la machine accroît la rentabilité. Quand le constructeur marge 20% sur l’EFIS, le parachute, les freins, le pilote automatique, le GPS, train rentrant, pas variable, siège chauffant et même climatisation de bord (si, ça existe !), etc., il a tout intérêt à ce qu’il y en ait le plus possible. Ça tombe bien, c’est ce que veut le client, quitte à se retrouver avec une machine de plus de 400 kg à vide (si, ça existe aussi !), mais c’est un autre sujet, encore une fois…

En fin de cycle, le revendeur, lui, marge donc bien plus. Il prend toujours ses 10 à 15%, mais sur une machine facturée 80 000 €, contre une autre proposée 30 000 €, sur laquelle l’usine ne peut concéder qu’une marge inférieure en pourcentage…

Or, moyennant une commission de 10 000 €, un revendeur peut travailler, surtout quand il peut escompter en vendre 20 unités en France, les belles années : investir dans des locaux commerciaux présentables, immobiliser une machine de démonstration, proposer des stands sur les salons en adéquation avec le produit de luxe qu’il vend, inviter son client au restaurant, à l’hôtel, etc., assurer un vrai service après vente pendant des années et tout ce qui justifie sa commission, qui ne constitue bien sûr pas son bénéfice, loin de là.

 

Alors, quel avenir ?

 

Dans un tel schéma, les machines basiques n’ont donc pas d’avenir, pour la simple raison qu’elles n’ont même pas de présent… elles ont un passé, y compris sur le marché de l’occasion, où elles vieillissent, faute de flux en neuf, comme nous le constatons. Même en occasion, il y a et aura de moins en moins de « basique ». Comment expliquer que ces appareils simples étaient sollicités il y a encore 15 ans alors qu’ils ne le sont plus aujourd’hui ? Par l’évolution de la réglementation.

Faisons un parallèle avec les cyclomoteurs de moins de 50 cm3 : on peut les conduire, sans permis, dès l’âge de 14 ans. Les machines ont évolué, passant de notre bonne vieille Motobécane à pédales au scooter à injection directe et tableau de bord électronique, mais on reste sur un moteur de 50 cm3. Imaginons qu’en 1998 la loi ait changé, donnant les mêmes droits jusqu’à 125 cm3. Qui est assez malin pour dire quelle proportion d’amateurs de 50 cm3 il resterait ?

Cette évolution, nous l’avons connue : jusqu’en 1998, un ULM était nécessairement « basique » par obligation de respect de l’arrêté de 1986, qui limitait la masse à vide à 175 kg pour un biplace et la charge alaire à vide à 10 kg par mètre carré. Ainsi, un ULM de 175 kg devait-il offrir une surface alaire de 17,5 m². Proposant nécessairement des performances modestes, il pouvait se contenter de 500 cm3. En ces temps-là, même un Skyranger 503 avait du mal à justifier son ULMitude ! Désormais, nous avons droit à 495 kg au décollage (avec flotteurs) et voyons des machines suréquipées tirées par des moteurs de 3 litres et 100 cv… la demande a donc nécessairement suivi l’offre et inversement. Revenons à notre Guêpe, qui attend tristement, dans son hangar aveyronnais, qu’un client veuille bien se laisser piquer : les très semblables Hurricane, Mustang et autres Moto Du Ciel se sont vendus par dizaines quand la réglementation ne permettait rien d’autre. Idem en pendulaire : qui, en 2012, achèterait un Bidulm 503 surmonté d’une aile de 18 m² ?

 

Faut-il lutter ?

 

Le marché de l’ULM basique, c’est-à-dire, pour reprendre le début, peu cher, est, quand il existe, une porte sur l’ULM. Les débutants, surtout les jeunes désargentés, y trouvent un moyen d’accéder à l’aviation sans renoncer à toutes les autres activités qui leur sont offertes. Mais aussi aux personnes de condition plus modeste de voler, ce qui était bien le but de l’ULM au départ. Plus les machines seront chères, que ce soit en neuf ou en occasion, plus l’activité deviendra élitiste, avec le paradoxe d’appareils de plus en plus exigeants en pilotage confiés à des utilisateurs nécessairement plus âgés donc moins alertes. Ne prend pas la mouche, cher lecteur, on n’est pas si loin derrière !

A l’inverse, les appareils simples aux performances modestes offrent une plus grande sécurité passive, l’observation des accidents le montre : on se blesse moins quand on se crashe à 60 km/h, y compris dans des arbres, qu’à 100 km/h, y compris sur du plat… voire même à 60 km/h pour 250 kg contre 60 km/h pour 450 kg !

 

Fort heureusement, le tableau est plus nuancé que les deux extrêmes ici passés en revue, l’essentiel du marché évoluant sur le milieu de gamme. Ce qui est plus confortable pour les constructeurs, d’ailleurs : ils gardent les investissements du basique pour produire des appareils aux équipements et performances qui justifient un prix supérieur au bas de gamme. Le Guépard, mais aussi le Tétras, sont dans ce schéma : des tubes et toiles de moyenne gamme produits en France avec de petits moyens, avec lesquels les constructeurs gagnent encore correctement leur vie en ne produisant que deux ou trois dizaines d’exemplaires par an, voire moins.

 

Aussi, s’il s’agit de lutter, encore faut-il savoir contre quoi et, surtout, comment ? La seule solution serait d’abaisser drastiquement les coûts des machines de départ de gamme, pour qu’elles soient moins directement en concurrence avec l’occasion. Si l’on nous proposait un appareil biplace volant de 60 km/h à 130 km/h (largement suffisant quand on a compris que l’ULM n’est pas un moyen de locomotion et qu’on ne confond pas vitesse et hâte de se poser), consommant 10 l/h, coûtant peu en entretien contre 10 000 € prêt à voler, nul doute que l’on ne regarderait plus l’occasion à 30 000 €, ni même à 20 000 €…

Hélas, l’apparition de cette machine ne serait possible que le jour où nous trouverions un investisseur fou qui imaginerait d’attendre des années avant un éventuel retour… c’est, dans un autre mesure, ce qui s’est produit chez ICP : le kit cellule complet proposé 10 000 € il y a 15 ans n’a été possible que parce-que l’investisseur avait établi un plan d’amortissement sur 1000 unités vendues ! Le chiffre a été atteint.

 

Il peut exister d’autres voies à creuser. A l’heure actuelle, chacun de la trentaine de fabricants européens achète sa matière première de son côté. Soit, en moyenne, environ 5 tonnes par an chacun, ce qui auprès des industriels de l’acier, de l’aluminium ou des matières composites, donne droit au tarif de détail à peine écorné… imaginons une centrale d’achat qui regrouperait ces 30 fabricants ; cette dernière achèterait alors 150 tonnes par an, ce qui permettrait de peser bien plus conséquemment sur le tarif final ! De nombreux fabricants d’équipements électroniques fonctionnent ainsi, pour notre plus grand bonheur.

Mais le gros point noir de l’ULM au niveau mondial reste le moteur ! A l’heure actuelle, quasiment 100 % des machines produites sont mues par le même propulseur ! Rotax aurait donc tort de ne pas en profiter pour vendre son moteur trois fois le prix qu’il vend son équivalent sur des marchés sur lesquels il se heurte à une solide concurrence ! Or, pour du basique, à l’heure actuelle, le moteur représente au minimum le tiers du prix final !

Au-delà du fait qu’il n’est pas raisonnable de ne reposer que sur un seul fournisseur du fait que l’ULM s’écroulerait si pour une raison quelconque ce dernier venait à cesser sa production, il est grand temps que nos fabricants cessent d’être frileux et s’intéressent aux alternatives, voir les fassent naître et que nous, clients, demandions autre chose que de nous faire fouetter par les Autrichiens (par ailleurs estimables) ! S’il n’y avait qu’un seul fabricant de GPS, pourrait-on imaginer trouver un portable pour moins de 100 € ? Nous avons une réponse du côté de nos radios : un seul modèle portable homologué : près de 700 €…  

 

Des matières premières achetées 30% moins cher, un moteur à la moitié du prix de l’actuel, un volume de production étendu par la moindre concurrence avec l’occasion, le biplace à 10 000 € n’est peut-être pas qu’une vue de l’esprit…

Le paramoteur l’a bien compris, qui n’est guère concerné par le présent article ! Et ce n’est pas seulement parce que les clients ont eu l’intelligence d’exiger autre chose que le monotype que leurs fabricants proposaient il y a 15 ans !

Et du coup, le marché de l’occasion serait ramené à un peu plus de réalisme. Pourquoi acheter une machine de 20 ans d’âge 8 000 € quand son équivalent en neuf vaut 2 000 de plus ? A l’heure actuelle, son équivalent en neuf vaut plus du triple…

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