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Escapade dans le Lot

Article paru dans ULMiste n° 13, décembre 2012

 

Escapade dans le Lot

 

Gilles Plançon

 

Il est 9h00 lorsque les roues de nos quatre pendulaires décollent enfin de la base de Pizay (près de Belleville-sur-Saône) avec à leur bord cinq irréductibles prêts à en découdre avec les conditions météo idylliques prévues en ce beau weekend de septembre 2011. Malgré le ciel bleu, les premières heures ont déjà réservé quelques surprises.

L’aventure a commencé une bonne semaine plus tôt, lorsque je reçois un SMS sibyllin : « une idée me traverse la tête, et si on allait à Cahors ce weekend, signé Christophe ». Voyons, ce que j’ai à faire : peinture, travaux dans la maison, arroser le jardin, peigner la girafe... que des trucs importants, donc à faire plus tard. Le message a trouvé preneur chez deux autres aventuriers, Patrick et Jean-Paul, ainsi qu’une aventurière passagère et aussi pilote pendulaire à ses heures, Marie-Hélène, qui prendra place derrière Christophe.

Samedi 7 heures, levé du pied droit, j’inspecte le ciel avant de partir à la base. Le soleil pointe juste le bout de son nez, avec un cache col de brume. Au-dessus, c’est du bleu limpide. Comme l’ULM est basé à Pizay, je ne suis pas inquiet pour la brume, qui en général reste sagement en fond de vallée de Saône. En revanche, le problème pourrait bien se poser à Crottet, base située plus bas, près de Macon, d’où doit décoller le reste de l’équipe.

 

8 heures : tout plein fait, le carénage chargé du nécessaire pour camper, le téléphone sonne. Bingo, c’est Christophe qui est dans le brouillard avec Patrick, cloué au sol. Jean-Paul, lui, a décollé de sa base, elle aussi embrumée mais raisonnablement. Il tourne au-dessus de Crottet sans pouvoir se poser. Avec le soleil, le voile commence à se désagréger et il est 8h45 à Pizay lorsque nous nous penchons tous sur la carte pour voir l’ampleur de ce qui nous attend.

Première destination : Saint Chamond. Les monts de l’Arbresle sont un régal avec ses petits villages resserrés dans un décor verdoyant vallonné. Nous cherchons un vent favorable en altitude puis survolons le magnifique aérodrome de Saint Chamond dont curieusement le tour de piste est au-dessus de la ville. L’accueil de l’ULMiste local est fort sympathique et ce malgré le fait qu’il lui a été demandé de pratiquer l’ULM ailleurs …

Prochaine étape prévue, les Vastres, en plein Ardèche, non loin de la source de la Loire. Nous contournons Saint Chamond et nous élevons en souplesse au-dessus des monts qui l’encloisonnent. Le paysage devient plus sauvage mais avec des cultures, donc des vaches à foison. En montant il fait carrément plus frais et le ciel commence à se voiler en altitude.

Les Vastres : la piste n’est pas très grande, mais avec un vent quasi de face, elle ne pose aucune difficulté. Deux G.O. de la base nous accueillent chaleureusement dans leur hangar et nous en profitons pour casser une graine. A cinq, nous ne disposons que d’un saucisson, un camembert avec quelques tranches de pain et des barres de céréales. C’est notre côté amateur. Il va falloir se rationner. L’air d’altitude et les belles images nourrissent spirituellement mais un peu de carburant dans l’estomac ne gâche rien à la fête. Dans le hangar, les surfs aménagés pour les roues de pendulaire nous intriguent. « vous voyez le site sous le soleil d’été, mais ici, l’hiver, il y a un mètre de neige et un vent permanent ». On le comprend aisément, compte tenu du vent ambiant alors que la journée est annoncée calme sur la France. Christophe téléphone à notre prochaine étape, la base de Saint Félix, une altisurface un peu « délicate » comme l’explique longuement son propriétaire. Les conseils en la matière sont d’autant plus utiles que pour Patrick et moi c’est notre première.

En route donc pour Saint Félix. Nos hôtes nous préconisent de passer au vent du mont Gerbier de Jonc pour éviter les turbulences. Nous nous dirigeons dans un premier temps vers Langogne et son lac, avant de bifurquer à l’ouest, vers la Lozère. Les verts pâturages sont progressivement remplacés par un paysage de plus en plus aride. Au niveau du Gévaudan il n’est pas simple de trouver une zone dégagée en cas de vache. Quelle beauté nue. Le vent est globalement favorable. A force de monter, le froid s’invite (11 °). Certaines zones ressemblent à un petit désert. Puis vient le temps des retrouvailles avec la verdure qui tapisse avantageusement de petits vallons. J’arrive en pole position pour le terrain de Saint Félix avec 20 bonnes minutes d’avance sur le groupe. Diantre, mais où donc se cache ce bon sang de terrain ? Les coordonnées GPS sont formelles, il devrait être là, mais je ne parviens pas à le localiser. Je sillonne en tous sens la zone, rien. 5 minutes, 10 minutes passent et je ne trouve pas. Christophe m’indique ses coordonnées GPS, toujours rien. C’est d’autant plus frustrant que Christophe et Jean-Paul tombent dessus du premier coup, à 1 bon kilomètre de ma zone de recherche. Il faut dire que le terrain est assez étroit et pentu. L’affaire semble délicate, mais après tout, si elle existe cette piste, c’est que l’on peut s’y poser. Christophe arrive à belle vitesse et se pose sans encombre. A mon tour les joies d’une altisurface. De la vitesse et un peu de moteur, qu’ils disent… pas faux ! Au final, ça va tout seul jusqu’au plateau. Patrick fait un petit bond au touché de roues et Jean-Paul règle l’affaire en connaisseur. Avec ses quarante heures de vol environ, Patrick montre une belle performance sur toute la ligne depuis le début. Le propriétaire des lieux nous accueille à bras ouverts et nous explique les secrets de sa piste à pente variable. Pilote visiblement passionné, il nous fait partager son enthousiasme pour l’hélico (avec un 582 !) et les trois-axes (constructeur d’une magnifique machine) autour d’une petite table en pleine verdure qu’il a sympathiquement garnie de boissons bienvenues. Elle n’est pas belle la vie ?

Intrigué par la difficulté à localiser l’endroit précis du terrain avec mon GPS, je pars à la découverte du système de coordonnées du bidule et finis par trouver l’erreur (en degré, minute, seconde c’est mieux). Nous nous préparons pour la dernière étape du jour, Vers, près d’un des lacets du Lot, non loin de Cahors. Pour décoller, à peine besoin de mettre les gaz que la pente nous propulse en l’air. Le paysage, tout de vert vêtu, est des plus attractifs. Après la ville de Decazeville, nous nous laissons conduire par le Lot qui va nous mener tranquillement au travers de ses méandres enchanteurs jusqu’à destination. Malgré une lumière un poil terne, l’endroit est de toute beauté. Christophe et Marie-Hélène sont les premiers à craquer et nous ne pouvons résister à descendre un peu plus bas que le niveau des falaises pour serpenter au-dessus de l’eau et admirer belles demeures, châteaux et petits villages coincés entre les falaises. Le pied total ! Le charme saisissant et tranquille du lieu ne pourrait laisser de marbre qu’un ULMiste aveugle, ce qui, convenons-en, n’est pas si fréquent. Côté vaches, me direz-vous ? La rivière a pensé à tout : entre les villages, les abords des rives sont visiblement très fertiles et les cultures se sont installées partout. Jean-Paul, Christophe et Marie-Hélène iront jusqu’à essayer de se voir dans le miroir de l’eau. Seul, en vue panoramique imprenable, Patrick n’en perd pas une miette.

 

Vers

 

La piste de Vers est atteinte au détour d’une volute de la rivière. Encore une altisurface, mais le truc étant maintenant démystifié, l’ULM se laisse conduire gentiment jusqu’à destination. Didier, le propriétaire des lieux, Sandrine et ses enfants nous attendent en bout de piste pour un apéro de bienvenue. Quel accueil, quelle gentillesse et quelle journée ! Des images plein la tête, un peu saoulés par le bol d’air d’altitude et le ronron du moteur, nous arrimons nos machines et préparons le couchage pour la nuit dans le hangar. La maison de Didier est un petit paradis logé au fin fond de la verdure au-dessus des falaises du Lot. Nous enchaînons par un restau local de bonne chair accompagné par nos hôtes qui décidemment savent recevoir. Dire que l’on était pas un peu cuit de fatigue serait mentir, mais la soirée fut joyeuse. 

7h30, Christophe sonne le lever. Comme prévu, il fait grand bleu mais la brume, comme la veille, s’est invitée. Didier nous amène en ville faire le plein pour nos gouffres à essence. Le temps de préparer nos machines, puis de prendre un petit déjeuner enchanteur en plein air devant le panorama, accompagné d’un bon café et de chocolatines (pains au chocolat local), il est près de 11h00 au moment du décollage. Côté brume, il est clair que tout est dégagé. Un grand merci à Didier et toute sa famille pour ce bel accueil. Il a poussé le détail jusqu’à nous préparer un petit antigel en cas de froid des altitudes (un petit ratafia maison goûtu). Nous nous élevons en direction de la base de Terrasson, près de Brive, via Sarlat pour Patrick, Christophe et Marie-Hélène et Souillac pour les autres. Les villages sont magnifiques au milieu de vallons verdoyants. Nous nous suivons avec Jean-Paul et dépassons le niveau des nuages pour goûter la tranquillité d’un air tiède et placide.

La base de Terrasson possède une belle piste, simple à trouver et de belle facture (fraichement tondue, elle aurait été parfaite). Club a priori plein d’entrain, il offre une infrastructure sérieuse, multisports, dont l’ULM. Intéressante démarche qui a priori permet à la base d’être dynamique toute l’année. Nous complétons les niveaux d’essence de nos machines, puis filons sur Egletons.

Le temps est compté pour finir avant la nuit. Les  patatoïdes bourgeonnantes des cumulus commencent à envahir le ciel, ce qui nous permet de sillonner entre ces immeubles de coton blanc. Quelle beauté ! Nous passons à côté de la CTR de Brive puis nous atteignons la coquette ville d’Egletons et son bel aérodrome, dont l’activité en ce beau dimanche est plutôt anémique. Le déjeuner ayant été oublié dans la voiture de Didier en rentrant de l’essence, nous finissons sur les restes de la veille : un morceau de camembert, un reste de pain et un bout de saucisson, pour cinq…

Tout plein fait, notre prochaine étape est Saint-Gal-sur-Sioule en passant au-dessus du Puy de Dôme, une belle étape de plus d’une heure trente. Patrick a quelques appréhensions par rapport au cap que nous n’avons pas clairement établi. « Facile, en haut, rapidement tu dois voir le Puy-de-Dôme, il suffit de pointer dessus ». Parti en tête, il se trompe de « Puy » et pointe à 90° de la route. Après une longue poursuite, je parviens à passer devant et à le ramener dans le droit chemin. Il faut dire à sa décharge que le Puy-de-Dôme se distingue si on le connait, mais bien loin à l’horizon et entouré de nuages. Du coup, nous aurons le plaisir de faire la route ensemble. Et quelle route ! Les nuages inscrivent leur ombres sur le relief du massif central nous offrant des points de vue inoubliables avec ses lacs, ses belles vallées vertes, ses petits villages de pierre. Un orage se forme au niveau du Puy-de-Sancy et nous pouvons admirer sa structure gigantesque faite de draperie blanche et de dégradés de gris inquiétants. En tout cas, à une bonne vingtaine de kilomètres à l’ouest, à environ 6000 pieds, nous ne sommes pas plus perturbés que cela. L’arrivée sur le Puy-de-Dôme est toujours un grand moment. Entre ombre et soleil, nous saluons de haut les nombreux parapentistes qui se préparent au sommet, puis visitons les bouches béantes des autres volcans, figées pour une partie de l’éternité. Christophe ne résiste pas à une approche basse pour inspecter la partie haute des cratères, puis nous finissons notre course sur la petite altisurface de Saint Gal. Le temps d’échanger nos impressions sur ce que nous venons de vivre avec le propriétaire des lieux venu nous accueillir, nous préparons déjà la suite. Jean-Paul, à cours de carburant, s’est vaché près du Puy pour refueler. Nous nous donnons tous rendez-vous à la base de Maringues. Il est plus de 15h30, il faut activer la cadence sous peine de ne pas dormir dans nos lits ce soir.

Quelques minutes de vol sous la CTR de Clermont au-dessus des champs bien rangés aux nuances de vert multiples et nous arrivons sur Maringues. Là encore, nous sommes gratifiés d’un bel accueil sur cette petite base très bien aménagée, visiblement dynamique et parfaitement entretenue. Pendant que les uns échangent sur l’air du temps et surtout sur le temps en l’air, les autres vont chercher de l’essence, généreusement accompagnés par un de nos hôtes. La solidarité dans l’ULM n’est pas un mythe. Il est plus de 18h00 lorsque les machines et les hommes sont prêts. Nous gobons les dernières miettes des restes de barres de céréales qui feront office de 4 heures et nous décollons pour la dernière étape. La nuit aéronautique étant autour de 20h00, la marge va être très réduite pour atteindre nos bases respectives dans les temps.

Les cumulus se désagrègent au fil des minutes, rendant l’air moelleux. Nous nous élevons au-dessus des monts de la Madeleine, passons à la verticale d’un barrage, filons vers les monts du Beaujolais, malheureusement sans marquer l’arrêt à la base de Mably pour saluer Gilles et ses copains comme prévu initialement. Les moteurs ronronnent tranquillement, un peu plus sollicités quand-même qu’auparavant, pour compenser la barre tirée raisonnablement afin d’accélérer la cadence. Le soleil disparait dans la brume à l’horizon et la nuit commence à s’installer doucement. La fraîcheur qui apparait, à défaut de satisfaire les pilotes, refroidit d’autant mieux nos moulins. Arrivera ou n’arrivera pas à temps ? La base de Pizay est en vue, il est 19h55. Jean-Louis, l’instructeur pendulaire et Guy, un peu inquiets de ne pas voir toutes les machines au hangar à l’issue du weekend, sont là et Jean-Louis m’indique avec les phares de sa moto le sens de la piste. Il fait sombre, indéniablement, mais il reste assez de lumière pour se poser en douceur (il est vrai qu’au sol l’impression de nuit est franchement plus marquée). Merci Jean-Louis ! Quel voyage et aussi quel suspense sur la fin ! Un petit coup de téléphone à Christophe permet de m’assurer que tout le monde est bien rentré côté Crottet, ce qui est le cas.

 

Certes, nous n’avons pas fait le tour du monde, même pas le tour de France, mais en un weekend nous étions transportés ailleurs, loin de notre quotidien, planant au-dessus de la mêlée pour faire le plein d’évasion et de liberté, de belles images et de rencontres agréables et enrichissantes. Quel bel esprit d’accueil et d’entraide sur toutes les bases visitées. Bien sûr nous décernons une mention spéciale à Miss Météo qui a su rendre tous ces moments possibles. L’aventure, c’est simple comme une longue balade en vol avec une bande de copains. A peine posés, une seule envie nous trotte dans la tête : vivement que l’on recommence !

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