Drôle de panne !
Article paru dans ULMiste n°14, mars 2013
Panne moteur bizarre
Pour la deuxième fois, le « Baron Rouge » est abattu au-dessus du territoire français, mais cette fois-ci par un ennemi inconnu…
Pilote, Wim van Oers (1942). Néerlandais, domicilié en France depuis 1991, brevet ULM en 1996. ULM : Wheedhopper JC24 (mono) « Red Baron ». Moteur Rotax 447.
C’était une belle et chaude journée d’août en Dordogne, il y a quelques mois déjà . La journée parfaite pour un petit vol avec mon Weed le « Red Baron ». Ici, il vaut mieux y aller tôt le matin ou dans la soirée, à cause des désagréables turbulences qui se manifestent l’après-midi, lors de fortes chaleurs. C’est ainsi que je m’activais déjà , à neuf heures du matin, à sortir mon ULM de son hangar, à faire le plein et à effectuer la prévol. Un quart d’heure plus tard, un vol d’une quinzaine de minutes m’amena chez un ami ULMiste, qui, le veinard a, à côté de sa maison, un pré tout à fait adéquat comme piste ; j’y avais déjà atterri plusieurs fois et connaissais donc bien les alentours.
Après quelques cafés pris tout en échangeant force idées pour créer l’ULM idéal et refaire le monde, en particulier la France, il était temps pour moi de redécoller, avant que la chaleur ne s’installe.
Prévol, filtre toujours plein d’essence, moteur encore chaud au toucher, un coup sec au démarreur manuel et, comme d’hab, le 447 se met à ronronner à 2000 tours/minute, au ralenti. Après avoir pris congé, mis casque, lunettes de soleil et bouclé la ceinture, me voilà prêt à décoller du pré, environ 400 m de long sur 100 m de large.
Assez d’espace et de longueur pour atteindre la vitesse max (90 km/h) à quelques mètres du sol et ensuite m’élancer vers « l’outer space », dessinant une courbe en S la plus raide possible… chouette pour moi et pour le public dans les tribunes !
Mais, hélas, rien ne se passa comme prévu !
Je devais avoir environ 90 km/h au badin et étais sur le point d’entamer mon « arrondi vers le haut », lorsque tout à coup le moteur se mit à crachoter pour s’arrêter deux secondes plus tard. Contrairement à mon cœur, qui au moment crucial avait cessé de battre, mais s’était heureusement remis en route après deux secondes ! Et c’était bien nécessaire, car le bout de la piste, là où le pré se transformait en bois de sapins avec des troncs d’environ 40 cm de diamètre, approchait à la vitesse de 22 m/sec ! Continuer tout droit avec une déviation max de 30° de part et d’autre, comme il est préconisé en cas de panne moteur au décollage, n’était pas une option ; à gauche, une profonde vallée parsemée d’arbustes et de buissons, pas non plus la solution ! Par contre, à environ 50 m à droite, poussent des jeunes châtaigniers, dont les belles branches bien droites sont utilisées par les ostréiculteurs du bassin d’Arcachon pour délimiter leurs parcelles : en Dordogne, un tel bois se taille environ tous les quinze ans, lorsque les branches ont atteint une quinzaine de mètres de haut : bref, la rampe de protection idéale, vu les circonstances !
Au moment fatidique, je volais donc à +/- 90 km/h, vitesse suffisante pour entamer un virage de 90° vers la droite, à +/- 5 m AGL ; à environ 10 mètres avant l’impact, manche en arrière toute, afin d’arriver le plus haut possible dans ou sur les branchages, à la vitesse de décrochage, ce qui réussit assez bien. Le Weed s’enfonça quelques 8 mètres dans le bois et resta en suspens dans les branches à environ 6 mètres du sol.
Passée la première frayeur, je me laissai glisser vers le sol, le long d’un tronc, comme un vrai Tarzan et fis une rapide évaluation des dégâts. Pas trop de mal ! J’étais moi-même indemne et, à ma grande surprise, le Baron n’avait pas l’air fort endommagé, vu ce qui s’était passé.
Entretemps, mon ami avait parcouru les 300 mètres entre le seuil de piste et l’endroit du sinistre à la vitesse grand V et m’avoua plus tard qu’il avait été tout aussi affolé que moi, lorsque les 40 cv rugissants à 6 700 t/min se turent soudain. Il comprit aussitôt qu’il ne s’agissait pas d’un exercice de « touch and go », ce qui fut confirmé par la disparition du Weed dans les bois, allant de pair avec le fracas de l’appareil s’écrasant dans les branches, lui fit craindre le pire.
Mais je me trouvais déjà sur le sol, avec, je suppose, l’expression un peu niaise de quelqu’un qui ne sait pas quelle contenance se donner.
« Tu n’avais pas ouvert le robinet d’essence ou quoi ? » fut son premier commentaire. Non, en effet, je ne l’avais pas fait, pour la bonne raison que mon Weed n’en a pas, de robinet d’essence ! Mais alors, quelle était la cause de l’incident ? Ce ne pouvait qu’une panne d’essence, nous étions bien d’accord sur ce point.
Avec précaution, nous nous sommes mis à scier les branches une par une, pour dégager le Baron et le descendre de son perchoir à l’aide de cordages et, par la suite, nous avons pu constater que le filtre transparent et la cuve du carburateur étaient vides !
« C’est donc la pompe à essence ! » fut notre avis unanime, ce qui semblait alors une conclusion logique. Mais elle s’avéra fausse, plus tard. Nous avons démonté les ailes pour délivrer le Baron des bois qui l’enserraient et casé le moteur dans le coffre, pour pouvoir examiner ses entrailles à l’aise, chez moi.
Mais, rien de rien ! 100% en ordre ! Pas de grippage et la pompe OK. Donc, le circuit d’essence entre le filtre et le réservoir devait être bouché… mais souffler dans le conduit de 1,5 m de long n’offrit aucune résistance et les bulles dansaient joyeusement à la surface, ce qui se voyait (et s’entendait), dans le réservoir semi-transparent. Sur le Weed, le réservoir se trouve derrière le siège pilote, fixé à celui-ci par des lanières, avec le bouchon juste derrière le repose-tête, de sorte qu’on ne peut regarder dedans sans un petit miroir.
« Putain de bordel de merde ! » est à peu près ce que j’ai du dire ou penser, exprimant ainsi ma stupéfaction et le fait qu’après 20 ans en France, j’avais acquis quelques élémentaires de la langue française !
Dans ce que renvoyait mon miroir, je découvris 6 billes noires sur le fond du réservoir ! Je n’en croyais pas yeux ! J’ai dégagé et vidé le réservoir et les voilà , les billes : environ 1 cm de diamètre, qui, vues de près, ressemblaient fort à des guêpes mortes enroulées sur elles-mêmes (plus tard déterminées comme frelons asiatiques par un connaisseur).
Mais il restait un mystère à élucider : comment est-ce que ces saloperies de bestioles s’étaient retrouvées dans le réservoir ?
Comme je l’ai signalé plus haut, le réservoir est installé de telle sorte qu’il est impossible de jeter un regard direct dedans, par conséquent pas facile non plus à remplir. Je me sers donc d’un entonnoir à double coude, auquel j’ai raccordé un bout de tuyau d’arrosage d’environ 30 cm. Au remplissage, je fixe l’entonnoir entre les câbles de retour des ailerons, de sorte que j’ai les mains libres pour remplir aisément le réservoir avec le bidon de 20 litres, sans risquer de verser le précieux liquide dans mes baskets, si l’entonnoir s’échappait du réservoir !
Et, bien entendu, avant remplissage : vérifier qu’il n’y a pas de saletés sur le tamis de l’entonnoir et si oui, le détacher, le secouer ou souffler dessus. C’est le rituel que j’avais suivi ce matin-là , ne pouvant me douter que six SDF avaient squatté le tuyau d’arrosage ou l’orifice de l’entonnoir et l’ont payé de leur vie lorsque le premier jet d’essence les a projetés dans le réservoir. Manifestement, en danger de mort, ces bestioles s’enroulent sur elles-mêmes pour former de parfaites billes, qui ont effectué le vol aller flottant sur l’essence…
Et, pendant l’heure que j’ai passée à prendre le café, elles se sont gorgées de liquide et sont tombées sur le fond, où l’une a dû se coincer dans le tuyau direction moteur et ainsi bloquer l’alimentation. En fait, comme un bouchon de liège bouche le goulot d’un Bordeaux grand cru…
Avec les conséquences relatées plus haut…
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