Tour des Pyrénées en paramoteur
Article paru dans ULMiste n°14, mars 2013
Tour des Pyrénées en paramoteur
Départ
Le réveil sonne à 5 h. Tout est prêt sur la chaise devant mon lit. Je n’ai qu’à m’habiller et chausser mes baskets. Petit déjeuner fonctionnel et expéditif… Remplissage du bol de croquettes du chat… que je m’apprête à abandonner non sans une certaine culpabilité pour au moins huit jours… Je récupère mon téléphone chargé à bloc et ferme la porte du mas. C’est parti pour 45 minutes de marche… Hier soir j’ai caché mon moteur et mon aile dans les taillis en bordure d’une prairie de luzerne pas loin de chez moi… moins de 4 km. Je rejoins donc mon premier décollage avant même les lueurs de l’aube. Les 12 litres de mon Miniplane m’autorisent plus de trois heures de vol. Je sais que je fatiguerai avant la panne sèche mais je veux que mon premier bond soit significatif pour amorcer cette aventure dans de bonnes conditions psychologiques. Sur le chemin de terre, ma marche est rapide et légère. Devant moi, au loin, la ligne bleue de la Méditerranée commence à se détacher sur l’horizon. Elle sera la première cardinale de mon parcours.
Arrivé sur le terrain je n’ai qu’à étaler mon aile, mettre mon casque et attacher mon petit cockpit qui contient mes cinq uniques et précieux kilos de bagages. Je sens l’air axé sur mon visage… bascule avant… course… le bruit du moteur rompt brutalement le silence alentour… je suis en l’air… Je suis en route ! Je viens de faire mon dernier pas en France.
Retour sur le projet et les préparatifs
Le Tour des Pyrénées en vol bivouac paramoteur solo sans assistance. Voilà le projet ! L’idée est de décrire un cercle autour de la totalité du massif, en bord de relief, en joignant la Méditerranée à l’Atlantique puis retour. Habitant les premiers contreforts de la plaine du Roussillon je suis déjà sur ma trace. Inutile de prendre un train ou une voiture. Je vais décoller et me poser à mon retour directement chez moi. C’est très pratique et très économique ! Même si j’ai toujours dit - je continue à le penser - que le vol bivouac est idéalement réalisé à deux, une fois n’est pas coutume, c’est seul que je prendrai l’air ! C’est aussi l’occasion de tester un nouveau concept de vol bivouac. Fort de plusieurs expériences de ce type de vols j’ai envie d’essayer de partir avec… rien ! Ou presque ! L’année dernière pour traverser la France, Laurent et moi avions pris de gros sacs frontaux et près de 14 kg de matériel chacun (voir ULMiste n°8). De ce fait, nous avions de gros moteurs (Vittorazi Moster 185 cm3) et j’avoue que je ne m’étais pas retrouvé dans la partie «vol». Depuis, j’ai envie de légèreté, de simplicité. Je sais maintenant, qu’avec un paramoteur et un soupçon d’audace on peut se débrouiller presque partout. Je fais donc un virage à 180° en termes d’équipement. Je pars avec un Miniplane équipé d’un moteur Top 80 (le plus petit et le plus léger du marché)… et 5 kg de matériel seulement. Je partirai avec quelques espèces, ma carte bleue et surtout mon i-Phone. A la fois téléphone, appareil photo, carte, GPS ou encore bloc-notes, ce petit appareil qui sait tout faire va m’aider à gagner du poids. Pour tenir 10 jours au maximum (c’est le temps dont je dispose) je sais que je n’ai pas besoin de grand chose. Une mini trousse de toilette, un drap de soie, une bâche, une mini trousse à outils… deux caméras type Go Pro pour les souvenirs. Tout va passer dans les poches de ma sellette et un cockpit ventral. Pas de radio, pas de tente, pas de duvet (la voile et un sac à viande en soie feront l’affaire), pas de réchaud, pas de nourriture lyophilisée… J’ai aussi compris qu’il était inutile de trop planifier sur un vol aussi long. La météo, la casse, les rencontres… autant de paramètres qui font que, paradoxalement, moins l’on prévoit, plus les opportunités sont nombreuses. Souvent la maxime « un mal pour un bien » prend pleinement son sens : les rencontres pallient fréquemment les mauvaises fortunes.
Tout est prêt ! 115 kg sur la balance. Tout nu j’en pèse 76.
Les préparatifs sont limités. Matériellement, le fait de rassembler mon paquetage ne nécessite que quelques heures. En revanche synthétiser les informations cartographiques et aéronautiques me prend plus de temps. J’étale ce travail sur plusieurs soirées. J’enregistre dans mon téléphone les « éclatés » moteurs du site MECA FLY afin de pouvoir identifier les pièces si je casse quelque chose. Je commande une hélice bois en secours, que je conditionne, prête à être envoyée en Express n’importe où en France ou en Espagne. Idem avec un lanceur… Côté alimentation… juste une gourde souple d’un demi-litre d’eau et 8 barres de céréales !
Jour 1- Où le masque tombe pour les hommes d’église…
Je passe la frontière au-dessus du Fort du Perthus. L’accueil en Espagne est douloureux. Je survole une « terre brulée ». Il y a moins d’un mois, le feu a tout ravagé ici. Le sol n’est qu’une immense étendue noire. Passée La Jonquère, je tire vers l’ouest et rentre dans le lit du vent, je me fais pousser vers Olot. Je suis surpris par le relief et les forêts très denses. Je comprends rapidement que si je veux voler sereinement, je vais devoir m’éloigner du relief. Les vaches sont rares et l’ambiance boisée est plutôt « flippante » pour un pilote paramoteur qui n’est pas censé dépasser les 300 m/sol sur le territoire espagnol. Pour ce vol, je ferai une impasse volontaire sur ce paramètre tant je suis impressionné par les variations de reliefs. Je pose à Vic au bout de 2 h 20 de vol, le long d’une route en chantier. J’anticipe le refuel en faisant un passage bas à proximité d’ouvriers qui travaillent à la rénovation de la route. Je me pose juste à coté d’eux ! Le petit divertissement leur plait et un d’entre eux m’amène immédiatement en voiture à la station la plus proche ! Parfait ! Je redécolle en moins d’une demi-heure en prenant la direction de Manresa… Le paysage s’ouvre sur une plaine légèrement vallonnée. Au bout de 45 min, alors que l’aérologie commence à montrer des signes d’agitation, je remarque un immense et magnifique monastère roman. A proximité se trouvent un grand champ de blé fauché et un village. Tout cela semble parfait pour une première halte. Je prends le temps de reconnaitre le terrain. Il est très grand mais encaissé entre une rivière, des collines et une ligne électrique. Le vent est changeant en raison des premiers déclenchements thermiques. Je me pose, brasse ma voile et me déplace sur le parking du monastère. Je suis envahi par une sensation de chaleur. Je quitte ma veste immédiatement et range mon matériel sous des arbres. Je pars en direction du monastère. Le site de Saint-Benêt est magnifique. Il inspire calme, sérénité et respect. Je me vois déjà y dormir ! C’est avec enthousiasme et optimisme que je vais frapper à la grande porte dans l’idée de demander l’hospitalité pour la nuit. Un moine m’ouvre… et m’envoie paître !!! Il me repousse, non sans un certain agacement et sans faire l’effort d’ajuster son débit à ma trop faible compréhension de l’espagnol, vers un hôtel de luxe (à 120 € la nuit) qui appartient au grand complexe qui jouxte le monastère. Bon… après tout, ce n’est pas très grave, j’ai largement le temps de trouver une autre solution pour ce soir. En attendant je ne résiste pas à l’envie de visiter le monastère et fais le tour du bâtiment pour prendre un ticket côté « touristes ». La visite est passionnante et la guide me montre un petit ermitage sur la colline qui appartient au monastère. Elle me confirme que je peux y dormir. Je pars au village trouver de l’essence, quelques victuailles et boire un coca bien frais. La chaleur est écrasante… En début de soirée, je prends mon courage à deux mains et épaule le Miniplane pour gravir les quelques 50 m de dénivelée qui me sépare de mon futur bivouac. L’effort est récompensé car l’endroit est propre et adapté.
Je mets en place ma bâche, puis ma voile comme matelas. J’attends tranquillement la nuit, en étudiant la carte pour mes vols du lendemain. Je m’endors facilement protégé par le préau de ce petit édifice plein de charme… face à moi, la voie lactée touche au loin les reliefs éclairés par la lune.
Jour 2 – Dépaysement et rusticité…
Le soleil est à peine sur l’horizon lorsque je me réveille. J’engloutis deux barres de céréales, je redescends sans difficulté puis décolle aussitôt. Le paysage est maintenant bien ouvert et je vole en toute sécurité. Je me croirais en Arizona ou en Australie. La route est longue, droite et ses abords sont désertiques ; les champs de blé fauchés alternent avec quelques maïs qui dessinent des tâches vertes dans ce paysage aride. J’arrive à voler assez tard. Curieusement, à midi, l’air est toujours très stable. Je fais une pose à côté de Balaguer. Halte au marché pour quelques fruits. Je me surprends à très peu manger. La chaleur me coupe l’appétit. Je fais le plein à une petite station et retrouve mon moteur déposé sans autre formalité contre un amandier. Petite sieste, repérages sur les cartes, SMS aux amis… Le soleil, maintenant à son zénith, frappe sérieusement. Impossible de me mettre en l’air. Des cunimbs apparaissent sur les reliefs. A la faveur du soir, l’aérologie se calme et je reprends mon envol en profitant des tous derniers et faibles thermiques. Le vol est calme et facile… il suffit de garder le relief en main courante à droite. Doucement le soleil baisse et je joue à basse altitude avec mon ombre sur le sol. Il est temps de penser à la nuit. J’ai de quoi boire et manger. J’ai anticipé la situation car les habitations son rares par ci. J’ai prévu de bivouaquer à nouveau.
Une ruine se présente en bord de route. Petit tour de reconnaissance et je pose à 10 m du bâtiment à moitié effondré. Je m’installe dans l’unique pièce du rez-de-chaussée qui présente encore un plafond en état. Je mange sur le perron de la porte en imaginant la vie qu’il devait y avoir ici il y a peut être une cinquantaine d’années. Il est triste de voir un si bel endroit aujourd’hui à l’abandon. Pas un bruit. A la frontale je cumule les vols réalisés : aujourd’hui environ 115 km. Je m’endors facilement. Paradoxalement ce lieu isolé me procure un profond sentiment de sécurité.
Jour 3 – Sauvé par (le dieu) THOR…
Les vols s’enchaînent… et se ressemblent dans un univers semi désertique. Lors du deuxième vol de la journée, je découvre le long d’une route dégagée une station service quasiment au milieu de nulle part. Elle est entourée de champs. Je me pose de l’autre côté de la route, après un passage bas en guise de reconnaissance. Je pars faire le plein. Je suis accueilli à bras ouverts par le jeune pompiste qui vient d’assister à cette scène insolite. Il enclenche la machine à questions pendant que nous remplissons le réservoir. Il me sera impossible de payer ! Le pompiste m’offre le plein et m’aide même à redécoller ! Pour la fin de mon troisième jour, j’envisage une étape confortable. La ville de Barbastro est assez importante et je me dis qu’un retour à la civilisation peut me faire du bien. Je me pose à nouveau sur un champ de blé fauché. Je démonte mon réservoir et pars chercher de l’essence. Mon bidon est bien visible et une des premières voitures s’arrête ! Je découvre un jeune homme souriant qui me parle dans un espagnol trop rapide pour moi. Je tente en anglais… et sans hésitation il bascule sur la langue de Shakespeare. Je suis invité à bord et nous partons vers Barbastro. Je fais la connaissance de Thor (oui je sais c’est original comme prénom). Il est guide dans les canyons de la Sierra de Guarra. Ce soir, il y a une fête à Barbastro, alors il me propose de s’y retrouver. J’accepte avec plaisir et profite de sa voiture pour rejoindre un hôtel en centre ville. La douche et le confort de l’hôtel sont réparateurs. Au bout du troisième jour j’avais du mal à supporter ma propre odeur ! Je recharge toutes mes batteries, au sens propre et au sens figuré. La soirée est très agréable. Un concert festif devant l’église, des bandas en ville et un monde incroyable attablé dehors dans les restaurants et cafés jusqu’à une heure tardive. Pas de doute je suis bien en Espagne ! Vers minuit je jette l’éponge et retourne à l’hôtel.
Je m’effondre sur un matelas douillet et contre des oreillers moelleux…
Jour 4 – Quand la réalité dépasse les espérances… où une seule journée remplirait une vie…
Comme convenu, Thor me récupère au coin de la rue. Je jette mes affaires dans sa voiture et nous filons à Alquezar. Dès l’arrivée, c’est un enchantement. Les pierres couleur « terre cuite » et sa construction sur un éperon rocheux en bordure de canyon en font un site exceptionnel. Nous repartons et Thor me dépose à mon moteur. Il me demande d’assurer le spectacle pour ses clients qui ont accepté ce petit contretemps. Je décolle et repasse en rase-mottes devant le groupe qui improvise une « ola »… deuxième passage… les mains se lèvent à nouveau les unes après les autres. Je reprends mon sérieux et m’élève tranquillement en remuant la main gauche pour dire au revoir… Vol à nouveau facile. J’enchaine les villages repérés sur la carte. Vers 11h00, j’identifie un troupeau de moutons. Je passe au-dessus, à environ 50 m, les gaz au minimum. Avec beaucoup de spontanéité le berger me fait de grands signes. Je pose et découvre Antonio. Plus de soixante quinze ans et un accent à couper au couteau. Son visage et ses mains sont burinés par le travail et le soleil. Ses yeux pleins de malice tranchent avec son enveloppe fatiguée. Curieux, il m’accueille avec simplicité et bienveillance. Je lui pose un tas de questions sur son troupeau. Il est intarissable ! Il nomme toutes les bêtes, une par une et je crois qu’il m’explique leurs traits de caractère. C’est impressionnant car je suis incapable de les distinguer. Je tente de lui expliquer mon projet… il saisit les grandes lignes et du coup m’amène à sa ferme. Il me montre déjà ma chambre alors qu’il est à peine midi ! Il me fait visiter sa maison et son exploitation. Tout est simple, propre, rangé. Vers 14 h on grignote chez lui. Il doit aller en ville et me propose d’aller visiter un château à proximité : Loarre. La météo ne s’améliore pas. A cet instant je pense que c’est cuit pour ce soir, que je vais profiter de l’hospitalité d’Antonio en passant une nuit confortable à la ferme. Antonio accompagné de son fils (nommé également Antonio !) me dépose au Château de Loarre. Je dispose d’environ deux heures pour visiter ce magnifique site médiéval. Au loin la pluie tombe en rideaux. Les reliefs sont cachés par des cumulonimbus bien actifs. La suite est claire dans mon esprit : je ne repartirai pas ce soir…
A l’heure dite, les deux Antonio me récupèrent et, en descendant, nous faisons une halte à Ayerbe où une fête se déroule un concours de « mât de cocagne ». Il s’agit de grimper à mains et pieds nus sur un très grand mât pour attraper, tout en haut de celui-ci, un jambon. Difficulté supplémentaire, la partie supérieure du mât est enduite de savon noir ! Pendant que je profite de ces moments conviviaux, la météo s’améliore considérablement. C’est surprenant ! Les nuages épais sont éteints, les risques de pluie ont disparus… En un mot, c’est devenu VOLABLE ! Je suis douloureusement partagé entre la nécessité d’avancer et le plaisir de rester profiter de cette fête de village. Je culpabilise aussi de ne pas rester avec le berger qui a pris soin de moi toute la journée.
J’en parle ouvertement à Antonio. Sa réaction est très surprenante ! Il dit que je dois voler, réaliser mon rêve et me propose immédiatement de me raccompagner à la ferme pour décoller. Son énergie soudaine me stupéfait et m’ôte tout doute. Nous quittons Ayerbe et rentrons au pays des moutons. Je prépare rapidement mon aile et mon moteur. Avant de mettre mon casque, je serre Antonio dans mes bras et l’embrasse. Il glisse dans ma veste un fromage emballé dans du papier journal. Il m’explique que c’est son fromage de chèvre et que je dois en manger un morceau chaque jour de mon voyage. Il dit qu’il me portera chance et me gardera en bonne santé jusqu’à mon arrivée…
Je vois de la buée dans ses yeux...
Antonio me fait penser au personnage de Giono, berger également. Comme « Elzeard Bouffier », il dégage un surprenant mélange de mélancolie et d’enracinement dans le concret. Il semble hors du temps, hors des modes, hors des contingences de la société moderne… Et pourtant tellement en accord avec lui-même et son environnement… Au décollage, je repasse en douceur sur sa maison pour un grand salut.
Je sens des larmes couler sur mes joues…
Au bout de presque deux heures de vol, la course du soleil s’infléchit. Il est temps de se poser. Je survole Uroz. Les possibilités de poser sont nombreuses. Une fois au sol, j’ensache ma voile quand un pick-up rouge vient à ma rencontre. En descendent deux jeunes pompiers ! Souriants et enjoués ils entament la conversation. Ils se proposent immédiatement pour m’accompagner en ville. Sur la route je leur explique que j’ai été pompier moi aussi… et on sympathise ! Le plein est fait et, de fil en aiguille, ils m’invitent dans leur caserne. Je découvre le lieu, leur matériel… Entre « professionnels » on se comprend ! Je fais la rencontre de toute l’équipe de volontaires, en moyenne une dizaine d’années plus jeunes que moi. Ils me proposent de monter la garde avec eux… en dormant à la caserne. J’accepte comme une aubaine cette proposition et l’on part récupérer mon matériel dans les champs. Je suis invité à manger au petit réfectoire et je me couche après une douche bien méritée dans un confort spartiate mais ô combien préférable à une nuit dehors sans eau ni électricité. Allongé, je tente de me remémorer la journée. Les images et les sensations s’entrechoquent ! J’ai vécu une journée de shoot ! Je me sens drogué aux émotions et à la générosité… Je me sens à la fois épuisé physiquement et débordant d’énergie. Mon esprit bouillonne d’une incroyable confiance en l’avenir.
Aucune alerte, aucune sirène ne viendra troubler ma nuit …
Jour 5 – HALF WAY… « Surf in Capbreton » by the Beach Boys…
Je pars très tôt avec Carlos qui rentre dans sa famille au pays basque. Il est originaire de Sunbilla. C’est quasiment sur la route que j’ai prévue. Je profite de ce gain de 40 km pour gagner un vol et garantir un franchissement plus facile des Pyrénées. Me voilà prêt à décoller d’un immense champ verdoyant qui tranche avec le sable et la poussière des jours précédents. La brume matinale est encore présente. Je décolle sous les yeux de Carlos, demi-tour et passage bas pour le désormais traditionnel salut, puis cap plein Nord. J’étais inquiet à l’idée de devoir traverser la chaine des Pyrénées de ce côté-là . En fait il y a beaucoup de terrains vachables et la verdure a un côté rassurant. Heureusement que j’ai décollé en altitude car mon petit moteur peine un peu avec la Fusion 23 dès qu’il faut monter fort. Je savais que cela arriverait dans certaines situations. Je suis en limite de PTV. Une taille de voile au-dessus serait la bienvenue pour soulager le Top 80. Je taquine quelques crêtes et bascule côté français. La météo est mitigée… de la brume matinale, un ciel plutôt couvert et un vent de travers qui me freine un peu. Je consomme plus que ces derniers jours pendant lesquels j’ai quasiment toujours eu le vent dans le dos. Je ne vois pas la mer ! C’est bien dommage ! En revanche, je devine les zones urbanisées de Bayonne et Biarritz. Pour éviter tout incident et être en règle j’ai décidé d’allonger un peu mon trajet et d’aller toucher l’océan au nord de la CTR. J’ai choisi Capbreton. J’ai pris au préalable contact avec Olivier Beristain de Paramoteur 64 qui m’a fourni de précieux conseils. Il est très attentif à la préservation de l’activité paramoteur dans ce secteur et je ne veux surtout pas risquer le moindre incident sur la côte rocheuse. Je cherche à poser et je me fixe finalement sur le stade de Cambo-les-Bains. Vu d’en haut, le site est idéal. Deux terrains de rugby se suivent, offrant plusieurs possibilités de décollage. En approchant, je constate en fait que les stades sont encaissés. Il y a de la forêt autour mais celle-ci présente des pentes prononcées... trop tard… je pose… on verra bien…
Je démonte le réservoir et file au rond-point au-dessus du stade avec également mon cockpit qui contient tout le « sensible » (argent, instruments…). Le trottoir jouxte la voie pour les voitures qui est étroite. Aussi, mon pouce n’est qu’à quelques centimètres des voitures qui passent… difficile de m’ignorer… Je suis embarqué très rapidement par un retraité qui m’amène jusqu’à Espelette. Je suis un peu inquiet à l’idée de redécoller. Il est plus de midi, le ciel s’est ouvert, la lumière entre et le sol chauffe. L’instabilité (légère) s’installe. Le vent sur place est travers au stade. Je suis tendu car il va me falloir un taux de montée important pour m’extirper de la forêt en pente qui bouche l’horizon. Je fais une prévol minutieuse et vide complètement ma gourde, je m’attache à jeter les quelques détritus accumulés dans mes poches. Prévoyant, je n’ai pris que 7 litres de carburant pour arriver à la mer. Je m’installe d’un côté du stade… le vent tourne, je me déplace de l’autre côté. Je fais deux tentatives sans succès dans l’axe du vent… Je prends un morceau de bois et y attache un lambeau de sac poubelle… je patiente assis… puis debout, un créneau apparaît… je tente ma chance… ça marche ! Finalement, je passe assez largement… entre temps j’ai transpiré au sol comme dans un sauna ! J’avance encore travers vent et même face au vent sur les trois derniers kilomètres.
Je suis submergé d’émotion lorsque je survole enfin l’Atlantique ! Je longe la plage vers le Nord et atteints Capbreton. Je suis surpris par le monde présent sur la plage. Pour rester discret, je reviens au Sud et m’éloigne de plusieurs centaines de mètres de la station balnéaire. Je repère un passage piétonnier entre la plage et un parking ; il y a des surfeurs et je devrais pouvoir trouver de l’aide. Je me lâche un peu côté pilotage et entame quelques petits waggas et virages serrés au-dessus des surfeurs et rares plagistes. Enfin, je me pose moteur coupé à proximité du passage. Je n’ai qu’une envie ! Me jeter dans l’eau ! Du coup je pose mal mon moteur et en passant derrière celui-ci il retombe sur moi, plus précisément sur mon mollet. Je me brule sévèrement avec le pot d’échappement au mollet droit ! C’est malin ! Cette blessure m’accompagnera jusqu’à la fin du périple et j’aurais un souvenir de ce moment d’inattention. Je range la voile et m’approche de l’eau. J’enlève veste, tee-shirt et short… et me retrouve en slip devant de belles vagues dont j’ignore encore le danger. Je me jette à l’eau en profitant de l’instant, même si le sel attise ma brulure.
Je n’ai fait que la moitié du parcours, mais je sais que le plus difficile est derrière moi. Voler en France, en terrain globalement connu, sera plus simple. J’écris sur un bout de carton « Half Way » pour envoyer une photo sympa à mes amis et les informer ainsi de ma position. J’utilise ma Go Pro en mode prise de photo automatique au bout d’une perche dépliable et recule en souriant pour m’enfoncer dans l’eau et faire une photo moitié dans l’eau, moitié dehors… Soudain, je passe dans une machine à laver ! Deuxième bêtise de la journée ! En plus, je bois copieusement la tasse. Je me rapproche de la plage pour continuer les photos… Je tends le bras pour faire un autoportrait… plus de caméra ! Elle a disparu dans le choc ! Elle est quelque part dans les baïnes de l’Atlantique !!! J’ai beau ouvrir grands les yeux, impossible de la retrouver. Avec son petit caisson étanche, je pense qu’elle doit flotter. J’apprendrai plus tard, par un ami qui en a aussi fait les frais, qu’une Go Pro coule !!! Après de longues minutes, où espoir et incompréhension se mêlent dans mon esprit, je pars m’assoir - dépité - sur la plage. En vérité les 300 € de l’appareil ne sont rien en comparaison de la valeur de la carte SD qui était à l’intérieur et abritait les souvenirs volants des cinq jours précédents…
La colère passe… et, pendant que je m’habille pour quitter les lieux, un surfeur qui sort juste de l’eau m’accoste et attaque la série de questions habituelles sur le paramoteur. Il est sympa et je me prête au jeu. Il s’appelle Benoît. Il est d’accord pour me déposer à Capbreton en voiture, pour chercher de l’essence. En plus, il m’offre son aide pour porter mon matériel jusqu’au parking. J’accepte volontiers car il faut monter sur la dune, les pieds dans le sable… Le temps de la petite marche, je lui présente mon projet. Lui est en vacances. Il est banquier et travaille à Dax. Mais il a une maison à Capbreton où il passe tout son temps libre pour surfer ! Il m’avoue être très disponible et me propose son aide ! Très sympa ! Première étape Capbreton. J’offre un verre en terrasse à Benoit pendant qu’il m’explique un peu les particularités de la ville. On se ballade sur la jetée et retour à la voiture par la plage. On s’arrête à la station remplir mon réservoir. Nous sommes rapidement chez lui. Benoît possède une magnifique maison en bois au milieu des pins. L’endroit est harmonieux et reposant. C’est la maison de vacances parfaite pour un surfeur… à quelques centaines de mètres de la plage.
Je prends une douche et soigne ma brûlure. Je prends possession d’une chambre. On grignote au bord de la piscine en faisant plus ample connaissance. Les heures passent et Benoit me propose d’aller prendre un verre sur la côte avec un de ses amis. Nous nous retrouvons en terrasse à siroter quelques mojitos ! La soirée est très sympa avec les « autochtones ». En rentrant dans sa voiture, alors qu’il n’a pas lésiné sur la boisson, je réalise que je suis en train de vivre, paradoxalement, le moment le plus dangereux de toute cette grande traversée en paramoteur !
La nuit se déroule dans un confort parfait.
Jour 6 – Rafraichissements… à tous points de vue …
Panne de réveil. Impossible de sortir du lit à l’heure convenue. J’abdique… n’entendant aucun bruit dans la maison je me vois mal aller réveiller mon hôte qui hier soir a fait montre d’une belle générosité et d’une connaissance approfondie des établissements nocturnes de Capbreton… En gros, impossible de sortir du lit vu les volumes liquides engloutis la veille au soir… Pourtant, je sais que le mauvais temps approche à grands pas. J’aperçois par la fenêtre un ciel déjà couvert, annonciateur d’un avenir aérien plus qu’incertain. C’est en milieu de matinée que Benoit me dépose en bord de mer. Un front arrive du Nord-Ouest… mais pas très vite. Je décide de décoller et de continuer mon périple en sachant que je risque de me faire rattraper par des nuages très sombres. Je décolle de la plage après avoir chaleureusement remercié Benoit pour son hospitalité et sa gentillesse. Ma vitesse de croisière est excellente. J’ai à nouveau le vent dans le dos - léger travers arrière. Je file comme un missile au dessus de la verdure du pays basque. Premier posé. Je trouve de l’essence facilement grâce à un automobiliste qui m’a vu me poser en bord de route et s’est arrêté. Je redécolle face à la voile car la vitesse du vent se renforce…
Vol sans histoire dans un ciel bouché et quelques gouttes de pluie. L’ambiance est plutôt morose et je ne prends beaucoup de plaisir à voler dans ces conditions. Mon esprit est accaparé par les temps. Le temps qui passe et le temps qu’il fait. Les deux sont liés dans ma situation. Je dois avancer vite car le front me pousse et les prévisions annoncent encore une dégradation et du vent fort chez moi. Je suis complètement obnubilé par le fait d’avancer. Je porte moins d’intérêt à mes haltes. Ce qui m’importe maintenant c’est d’arriver plus que de profiter car, de toute façon, la météo est pourrie. J’essaie d’avancer un maximum car je doute de pouvoir repartir demain compte tenu des prévisions. Je me fais surprendre par le début de l’obscurité et décide trop vite de me poser au premier endroit correct. Je tourne autour de quelques fermes et opte pour une maison de maitre entourée d’énormes champs. Je ne vois personne dehors et vais frapper à la porte. J’explique toute mon histoire à un couple d’agriculteurs d’une cinquantaine d’années. De toute évidence, ils sont peu réceptifs et méfiants… Je sens chez eux une ouverture d’esprit assez limitée… Le poste de télévision occupe l’espace sonore. Je suis un peu obligé d’insister… et j’arrive à mes fins en obtenant l’autorisation de séjourner dans une grange. Celle-ci est vide car les bêtes sont encore en estive m’explique le fermier. Je les remercie en leur expliquant que je partirai dés le levé du soleil demain matin, si le temps le permet… Intérieurement, je me dis que je risque d’appeler un taxi !
Je dors habillé dans la paille…
Jour 7 – Du gris dans le ciel et dans la tête
Je sors de la grange sous un ciel couvert et décolle au plus vite de cet endroit qui ne m’inspire pas vraiment. Vol un peu musclé, malgré le temps très couvert, jusqu‘à Cazères où je me pose en lisière de forêt. Je rassemble mon matériel et le couvre avec ma bâche. Puis je cours chercher refuge… au bar du village. J’y passe quelques heures et enchaine les boissons. Je suis le meilleur client de la journée. J’entame la conversation avec quelques habitués. Peu vivent près d’ici. Il m’est difficile de trouver un toit pour la nuit. Je constate, une fois de plus, ma faible résistance à l’immobilisme et mon manque de patience. Je planifie, étudie toutes les solutions possibles. A force d’écouter mon histoire, le gérant du bar me propose de dormir dans sa camionnette ! C’est une bonne idée car je pourrai repartir au plus tôt si le temps le permet au petit matin. Je lui déposerai les clefs dans la boite aux lettres. Je m’installe avec mon matériel dans le fourgon et dors assez tôt, histoire d’être le plus frais possible demain matin.
Jour 8 – Un renoncement récompensé – « Game over no extra ball »
A mon réveil, il fait bien noir dans la camionnette. Je finis par ouvrir la porte arrière du fourgon. Ma première sensation est celle du vent sur mon visage. Il est présent mais rien de catastrophique. Je consulte la météo qui confirme un vent fort sur Perpignan (35 km/h et rafales à 75). Quelques minutes suffiront à me préparer, je repars tant que cela est possible. Mon ventre est vide mais ma tête pleine d’espoir. Je réalise que je vais encore réussir à avancer aujourd’hui : « La joie de l’âme réside dans l’action ». Je décolle et prends le cap 110. Le paysage est toujours fermé et la luminosité très irrégulière. Après 45 min, quelques turbulences se font sentir. Elles n’émanent pas du sol qui chauffe car il y a toujours une couche épaisse au-dessus de moi. Le vent est plus fort par ici… ma vitesse devient trop importante. Je décide d’atterrir. Se poser en marche arrière avec un paramoteur est une expérience enrichissante ! En fait on ne pilote plus vraiment, votre esprit se répand tranquillement entre fatalité et vagues souvenirs récents, en recherchant où est l’erreur. Dans le cas présent l’erreur est évidente. Quand la météo annonce des rafales à 75 km/h sur Perpignan, il est assez normal de commencer à en trouver entre Cazères et Pamiers et quand vous volez, certes assez haut, à plus de 70 km/h il n’y a pas besoin d’être un as en calcul mental pour deviner que, même au sol, il y a quelques reliquats… Je laisserai passer deux terrains pourtant très longs avant de me poser sans dommage à proximité de la voie rapide qui rejoint Pamiers à Toulouse. A chaque fois, un simple réalignement au vent du terrain me le fera traverser trop rapidement dans toute sa longueur. A la troisième tentative, je choisis un immense champ labouré. Ma finale est… verticale ! Voire en légère marche arrière. Face au vent, prêt à toucher le sol, tout détrimé, le GPS affiche 2 km/h… Je me pose en marchant en arrière et affale aux D énergiquement en contournant mon aile. J’ensache le parapente un peu honteusement… et m’assois dessus pour faire le point.
A ce stade, je sais que je ne bouclerai plus le parcours. Objectivement, je le savais la veille, mais l’épreuve du terrain efface tout doute dans mon esprit insolent - qui conservait l’espoir de boucler comme par magie ce tour des Pyrénées - en faisant fi de la tramontane. Je choisis de croquer mon dernier morceau de fromage de chèvre porte-bonheur. Les jeux sont faits. Antonio le berger avait vu juste. Je m’interdis de revoler jusqu’à Perpignan sans son fromage. A environ 300 m je vois ce qui doit être une aire d’autoroute et un restaurant routier. Penaud, je porte mon équipement comme une punition bien méritée. Mon esprit est vide mais l’adrénaline de l’atterrissage un brin tourmenté alimente encore les muscles de mes jambes… Cet exercice est bienvenu pour me calmer… J’arrive sur le parking et attire inévitablement les regards des routiers présents en train de faire leur pose. Je repère une plaque française et m’approche.
- « Bonjour, je cherche à rentrer sur Perpignan… vous ne voudriez pas m’avancer s’il vous plait ?! »
Je m’adresse à Sylvain. Silhouette athlétique, cheveux courts, la trentaine et un sourire qui traduit déjà son ouverture d’esprit :
- « Justement j’y vais… mais j’ai quelques livraisons à faire avant »
Je l’invite à déjeuner et découvre ainsi un garçon charmant qui s’intéresse à cette petite aventure et semble content d’y participer. Je démonte la cage de ma machine qui prend place dans la remorque. Je garde la voile et mes autres affaires sur la troisième place avant. Nous faisons tranquillement la route et je me fais déposer à Perpignan Sud… destination finale.
Merci Sylvain !
Épilogue – « Man VS Wind »...
J’ai apprécié de voyager seul. Comme pour un voyage linguistique, c’est la garantie d’une immersion totale. La situation vous pousse naturellement à aller au contact des autres, à tendre la main…
A un moment de son histoire où le paramoteur s’oriente sur la vitesse, les petits voiles, les moteurs puissants et une forme d’élitisme, je trouve intéressant aussi de démontrer que cet appareil peut garder son accessibilité, sa simplicité et devenir un vecteur d’ouverture, de rencontres et de rapprochement.
Au fait… j’ai perdu plus de 3 kg dans cette histoire ! Le vol bivouac deviendra t-il l’ultime méthode de régime ?
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