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Terrains occasionnels, ne nous laissons plus faire !

Article paru dans ULMiste n°15, mai 2013

 

Terrains ULM (occasionnels), ne nous laissons plus faire !

 

Voilà près de quinze ans que j’écris dans la presse spécialisée… et autant d’années que le sujet des terrains ULM occasionnels revient sur la table, avec la régularité d’un métronome et la persistance d’un marronnier. Un article publié voilà près de dix ans et mis en ligne est, de loin, le plus consulté du site qui l’héberge. Et je suis, du coup, très régulièrement sollicité par des ULMistes soucieux de savoir quels sont leurs droits devant ce que l’évidence somme de nommer des abus de pouvoir de leurs délégations régionales, voire de la DGAC tout court.

 

Pierre-Jean le Camus, Serge Conti

 

Cependant, je ne suis qu’un modeste plumitif sans aucune autre légitimité que d’avoir commis un dictionnaire de la réglementation ULMique il y a 6 ans. Mais voici que, dans le même temps, Maître Serge Conti, l’avocat de la FFPlUM, est lui aussi demandé pour défendre des causes, à ce jour systématiquement avec succès, ce qui enrichit donc le discours et mérite que l’on y revienne. Nous ne pouvons hélas prédire que ce rappel sera définitif.

 

Florilège (cas réels, hélas)

 

« J’ai planté une manche à air sur mon terrain occasionnel, mon district me dit que cela en fait une plateforme permanente.

 

J’ai tondu l’herbe sur ma piste occasionnelle, mon district me dit que cela en fait une plateforme permanente nécessitant autorisation préfectorale.

 

J’ai construit un hangar et posé mon ULM dedans, mon district me dit que cela en fait une plateforme permanente.

 

J’utilise ma piste privée deux à trois fois par mois, mon district me dit que cela en fait une piste permanente car l’usage « occasionnel » limite les mouvements à 200 par an (variable selon les interlocuteurs).

 

Avec des copains, on a monté une piste occasionnelle assortie d’un hangar dans lequel il y a quatre machines, il y a une manche à air, on tond la pelouse et on vole tous les week-ends, mon district me dit que cela en fait une plateforme permanente.

 

Mon terrain est référencé par je ne sais qui sur les outils informatiques participatifs « big brother » qui circulent ici ou là, mon district me dit que cela en fait une piste permanente.

 

Mon maire veut faire fermer mon terrain, car il prétend qu’il se situe dans l’agglomération.

 

Mon maire refuse que j’ouvre mon terrain occasionnel.

 

Mon maire exige que je déclare les jours où je vais voler.

 

Réponses

 

En fait, réponse, au singulier : vis-à-vis de l’arrêté du 13 mars 1986 qui régit les conditions dans lesquelles les ULM sont autorisés à atterrir et décoller ailleurs que sur les aérodromes, chacun des cas listés ci-dessus constituent des abus de pouvoir, à quelques nuances près. Les cas défendus par Serge Conti ont tous été gagnés. Cet avocat d’affaires, par ailleurs pilote et pratiquant assidu de tout ce qui vole plus ou moins léger, s’est également spécialisé depuis longue date dans le droit aérien. Entretien enregistré dans ses bureaux du Trocadéro à Paris. Photos d’hélico et ULM aux murs, immense hélice chromée plantée dans un socle et dressée droit vers les plafonds d’une hauteur vertigineuse, pas de doute, on est bien chez un aviateux.

 

ULMiste : connais-tu bien le sujet des terrains ULM occasionnels ?

 

Serge Conti : oui, c’est un sujet que j’ai beaucoup traité, mais la loyauté et… le secret professionnel m’imposent de ne pas entrer dans les détails d’affaires précises pour lesquelles j’ai été honoré. Je vais tout de même répondre, mais sans me référer à des cas précis.

 

ULMiste : pas de souci, merci. L’arrêté de 1986 te semble-t-il suffisant et suffisamment clair ?

 

Serge : quand on dit que cet arrêté n’est pas clair, je ne suis pas d’accord. La difficulté de ce texte n’est pas son libellé, qui est parfaitement clair, mais son insuffisance et donc l’interprétation dévoyée qui en est faite par les autorités elles-mêmes, par les collectivités locales, par les forces de police et de gendarmerie et par les « petits chefs ».

 

ULMiste : absolument d’accord. Et le souci est que les ULMistes, de bonne foi, quand la DGAC leur demande de démonter leur hangar, par exemple, s’exécutent, sans imaginer une seule seconde que l’autorité puisse méconnaître la loi, voire la dévoyer…

 

Serge : certes, mais dans un état de droit, on doit toujours  s’opposer par des moyens légitimes à des décisions illégitimes des autorités quelles qu’elles soient. Pour cela, il faut évidemment pouvoir maîtriser la matière …

 

ULMiste : prenons ces points un par un et tout d’abord, ce qui est indiscutable.

 

Serge : Que nous soyons en présence d’une plateforme occasionnelle ou permanente :

 

- pas de création à l’intérieur des zones marquées de couleur jaune sur la carte OACI au 500 000e,

 

- pas de création d’une plateforme occasionnelle à moins de 2,5 km d’un aérodrome de catégorie D, 6 km d’un aérodrome de catégorie C, 8 km d’un aérodrome de catégorie A ou B et 18,5 km d’un aérodrome sur lequel évoluent des avions à réaction,

 

ULMiste : nous sommes bien d’accord sur le fait que vis-à-vis de la création des plateformes occasionnelles le maire doit simplement être avisé et qu’il n’a pas compétence pour donner une autorisation ou interdire a priori ?

 

Serge : en effet, il ne s’agit que de l’aviser. Mais faut-il encore pouvoir prouver l’acte unilatéral de déclaration à la mairie !

 

Et comme le texte ne précise pas la forme légale de cette déclaration, le mieux est d’envoyer un recommandé avec AR ou de faire une déclaration en mairie contre récépissé. Mais l’un ou l’autre de ces deux moyens est indispensable !

 

Il en va de même pour l’autorisation du propriétaire dont la preuve doit être rapportée par tous moyens. Mais attention sur ce point, il ne s’agit pas seulement du propriétaire, mais de tous ceux qui détiendraient un droit d’usage du terrain : locataire, usufruitier, détenteur d’un droit d’occupation quelconque, etc. Bien entendu, il faut détenir ces deux autorisations (avec leur preuve.. !), avant le moindre mouvement sur le terrain. Il n’y a aucun autre formalisme pour la création d’une plateforme ULM occasionnelle.

 

ULMiste : Il est posé dans l’arrêté de 1986 qu’un terrain servant à « l’exploitation » d’un ULM doit être considéré comme permanent. Or, l’arrêté de juillet 1991, qui pose les conditions de circulation des aéronefs civils, établit un distinguo sans équivoque entre utilisation et exploitation (articles 3.1 et suivants), cette dernière notion d’exploitation n’apparaissant que lorsqu’il y a profit financier, donc travail aérien, baptême ou instructions payants.

 

Serge : Je partage pour partie ton point de vue mais il faut être plus précis et tenter de « coller » au texte. L’arrêté du 13 mars 1986 distingue « l’occasionnel » du « permanent préfectoral » de façon assez claire mais… insuffisamment précise, d’où le débat. L’utilisation d’un terrain à titre occasionnel pour des vols privés, procède de la plateforme occasionnelle sauf… qu’il n’existe aucune définition légale du concept « d’occasionnel ».

 

L’utilisation « de façon permanente par un ou plusieurs exploitants, regroupés ou non en association »  ou destinée à accueillir une « activité rémunérée », procèdent de la plateforme permanente devant être autorisée par le préfet.

 

On voit là une relative subtilité et… la difficulté du texte. Tout ce qui est payant procède du permanent quoiqu’il arrive. Et ce qui est payant répond bien au concept « d’exploitation » que tu évoques et qui est également évoqué dans l’arrêté du 24 juillet 1991 relatif aux exploitants. Pas de doute que le mot « exploitation » dans cette optique vise des fins commerciales, économiques et financières qui excluent la plateforme occasionnelle.

 

Mais, tu notes aussi que l’arrêté du 13 mars 1986 distingue nettement « l’activité rémunérée » de « l’utilisation » par un exploitant notamment sous forme associative, avec cette subtilité ambigüe que le mot « utilisation » est encore associée à « exploitant »… !

 

En fait, l’arrêté a clairement voulu couvrir l’utilisation par un groupement qui ne fait pas forcément de bénéfices (but de toute entreprise) mais qui sollicite notamment des contreparties financières, fussent-elles sans bénéfice ce qui est bien le cas d’une activité associative.

 

En résumé, utilisation et/ou exploitation à titre payant, ressort de la plateforme permanente ; utilisation et même exploitation à titre occasionnel ne procède pas forcément de la plateforme permanente, le seul critère de différenciation étant la « permanence », mais ce concept n’est pas légalement défini !

 

ULMiste : baser son ULM sur place, dans un hangar ou non, n’est pas constitutif d’une exploitation, donc n’impose pas une piste permanente ?

 

Serge : La question est embarrassante ! D’un côté, les dévoiements et interprétations abusives de l’administration, des maires, des collectivités locales, de la PAF ou de la GTA qui sans aucun fondement légal vont associer au mot « exploitation » et « permanence » des concepts qui ne sont pas du tout dans la loi. Ces concepts souvent abusifs sont, on vient de le voir, l’installation d’une manche à air, l’installation d’un abri ou d’un hangar ou tout autre matériel installé sur le terrain. De l’autre, une absence de définition du concept de permanence, parfois exploité de façon excessive par certains, sans que je puisse définir ce qu’est un excès !

 

ULMiste : un ULMiste nous a récemment interpelés car son district prétendait que le fait de tondre son herbe faisait de son terrain une plateforme permanente, ce qui nous semble totalement délirant, ne serait-ce qu’au niveau de la sécurité.

 

Serge : Rien n’autorise une autorité à soutenir aujourd’hui que tondre l’herbe d’une plateforme en ferait une plateforme permanente ! Mais à l’inverse, il faut bien comprendre, au vu du texte, qu’aucun avocat, aucun juriste, ne peut aujourd’hui donner une définition de la plateforme ULM occasionnelle et de soutenir qu’une plateforme occasionnelle : c’est ça.

 

En revanche, il faut s’opposer avec force aux arguments qui ont été avancés jusqu’à présent par les autorités pour affirmer qu’elles sont en présence d’une plateforme permanente  quand elles constatent par exemple l’existence d’un abri ou d’une manche à air. Opposer aux ULMistes ces soi-disant règles est, de mon point de vue,  illicite.

 

Ensuite, seul le tribunal administratif et éventuellement le Conseil d’Etat trancheront, s’il y a lieu pour créer le droit et sauf à ce qu’un nouveau texte vienne préciser les choses.

 

ULMiste : tu confirmes que tu as eu à plaider de tels cas ?

 

Serge : oui et j’ai été systématiquement victorieux notamment pour la raison que les autorités ont voulu jouer l’épreuve de force en poursuivant sur le plan pénal devant le Tribunal correctionnel ceux qui se refusaient à respecter les injonctions ! Or les juges répressifs en présence du doute face à l’ambiguïté ou même à l’absence de texte ordonnent la relaxe.

 

Il faut cependant vouloir accepter ce qui reste une épreuve judiciaire !

 

Quoiqu’il en soit je considère pour rester dans le domaine du bon sens que ce qui définit une plateforme occasionnelle est la fréquence des mouvements, à défaut de toute autre considération et je maintiens cela.

 

ULMiste : mais cela n’est pas quantifié dans le texte.

 

Serge : en effet, mais entre voler deux à trois par an ou vingt à trente fois par jour, il existe des nuances. On en est donc réduit, en cette matière, à des interprétations. En tous cas, ce que je peux dire à tes lecteurs, c’est que si un maire, la Gendarmerie, la PAF ou autre, arrive en disant : « je vous interdis de voler parce-que vous avez une manche à air, parce-que vous avez ce hangar, etc. », il faut continuer de voler et prendre le risque judiciaire ! En cas d’arrêté de fermeture, il faudra engager un référé suspension devant le Tribunal administratif et oser le risque judiciaire. Un cas récent : la PAF poursuit un ULMiste parce qu’il utilise un abri pour sa machine sur son terrain occasionnel. Le tribunal correctionnel le relaxe estimant qu’aucun texte n’avait été violé dès lors que le pilote justifiait d’une déclaration au maire et d’une autorisation du propriétaire du terrain, sans davantage se pencher sur les concepts « d’occasionnel » ou de « permanent ». Il faut savoir que les magistrats méconnaissent le droit aérien et demeurent extrêmement prudents vis-à-vis d’une matière bien difficile. Il faut aussi se défendre de manière très motivée.

 

Pour conclure, je serais tenté de soutenir que l’imprécision du texte, bien qu’elle génère des difficultés avec certaines autorités demeure en l’état le meilleur protecteur des ULMistes ! « Le flou affranchit quand le texte opprime ».. !

 

ULMiste : on note tout de même une nette augmentation des abus de pouvoirs, que peut-on faire contre cela ?

 

Serge : en ce qui concerne les points soulevés précédemment, c’est de ne pas se soumettre si on a l’étoffe de s’opposer à l’inique. En cas de décision préfectorale de fermeture, comme je l’exposais, la procédure administrative s’impose pour tenter de faire suspendre par la voie du référé administratif une décision de fermeture dont je rappelle qu’elle est immédiatement exécutoire dès son prononcé ! Seront ainsi évoquées la violation manifeste de la loi et la violation d’une liberté individuelle d’aller et venir à sa guise.

 

Ce sera notamment le cas quand, dernier exemple en date, un maire vient d’exiger d’un ULMiste de lui écrire les jours où il va voler et, pire, de donner un préavis de vol. Hors ces heures prévisionnelles et hors le préavis de vol, interdiction a été faite par le maire en question d’utiliser la plateforme occasionnelle ! On nage là dans la plus noire des incohérences illégales. Dans une telle hypothèse et sans interprétation possible, on passe outre à la décision municipale !

 

ULMiste : alors, justement, quid de la fréquence des mouvements ?

 

Serge : je considère que la référence à l’arrêté du 6 mai 1995 qui régit les hélisurfaces et limite à 200 mouvements annuels ou vingt mouvements journaliers (un décollage et un atterrissage constituant deux mouvements) n’est pas inintéressante.

 

ULMiste : oui, mais alors, qui compte ?

 

Serge : en droit, c’est à celui qui invoque la violation de la prouver, donc aux autorités !

 

En hélico, il y a l’usage et parfois l’obligation préfectorale de la tenue d’un cahier dans lequel sont reportés les vols.

 

ULMiste : cela n’est pas imposé aux ULM.

 

Serge : pas de texte en la matière…

 

ULMiste : pour l’intérieur d’une agglomération, il existe un vif débat. J’ai été sollicité pour un cas précis, lors de l’étude duquel il est apparu que la définition d’une agglomération, s’agissant par exemple de petites bourgades rurales, est plus que floue…

 

Serge : en fait cela a été défini pour les hélicoptères. Avec cet aéronef, on ne peut pas obtenir l’autorisation de se poser « dans la nature » dans les zones des agglomérations  délimitées en jaune sur la carte OACI au 500 000e. De plus, on ne peut pas se poser à moins de 150 mètres d’une habitation. Pour l’ULM, ces précisions n’existent pas et seules les interdictions visées ci-dessus s’imposent (présence d’aérodromes aux alentours et création d’une plateforme à l'intérieur des agglomérations). J’imagine cependant que si se créé une plateforme occasionnelle dans une zone jaune des cartes OACI, le préfet pourrait faire référence au concept de trouble à l’ordre public pour interdire la plateforme. Je suis donc d’avis de ne pas créer de plateforme occasionnelle dans les zones des agglomérations délimitées en jaune sur la carte OACI au 500 000e.

 

ULMiste : d’où l’imprécision. Sur le cas précis que j’évoque et en vertu des textes existants, le maire ne peut pas prouver que le terrain se situe dans l’agglomération et l’usager ne peut pas prouver qu’il n’y est pas !

 

Serge : difficile d’être beaucoup plus précis sur les points que nous avons soulevés. On peut simplement dire qu’à chaque fois que des ULMistes se sont battus pour le maintien de leur terrain occasionnel, ils ont gagné. Ceux qui perdent sont ceux qui ne réagissent pas et se soumettent à ce qu’on leur demande de faire. Il faut rappeler qu’en matière pénale, il ne peut y avoir condamnation que s’il y a violation caractérisée d’un texte de loi. En cas de flou dans un texte, le doute bénéfice inéluctablement à celui qui est poursuivi.

 

ULMiste : et c’est pourquoi il faut désormais se battre pour que cet arrêté de 1986 soit maintenu !

 

Serge : …..je suis complètement d’accord ! C’est un très bon texte dont l’imprécision ne peut que servir le monde de l’ULM ! (nous rions de concert)

 

ULMiste : pour finir, prenons un cas un peu « extrême ». Un terrain occasionnel sur lequel sont basées quatre machines, il y a un hangar, une manche à air, un balisage de piste, etc. Certes, l’arrêté de 1986 ne limite pas le nombre d’utilisateurs d’une piste occasionnelle, mais n’y a-t-il pas ici un cas de dévoiement de la part de ces pilotes ?

 

Serge : créer un terrain sur lequel on pose quatre machines, etc., donc des vols dont les mouvements vont se cumuler par définition, c’est assez contraire au bons sens ou dirais-je à l’esprit du texte. Dans le cas où il se trouverait un avocat pour défendre ce cas et qu’il perde, on pourrait alors voir apparaitre une jurisprudence administrative qui serait catastrophique parce qu’elle pourrait définir les critères de la « permanence » qui jusqu’ici n’existent pas.

 

ULMiste : n’existe-il pas un moyen d’informer, ou réinformer, de façon définitive, les autorités sur l’état du droit, de manière à ce que cela aboutisse sur une circulaire ou je ne sais quoi, afin de mettre un terme à ces abus de droit qui nous usent ? Encore une fois, de nombreux ULMistes se plient aux injonctions des autorités, estimant, de bonne foi, que l’autorité sait ce qu’elle raconte ?

 

Serge : c’est à la fédération  de faire ce travail et il est fait. C’est à ULMiste de faire ce travail et t’y voilà. Dans l’état actuel des choses, il faut se battre. Mais sans excès en prenant garde que si c’est « la liberté qui opprime et la loi qui affranchit », dans ce domaine je crains que ce ne soit la précision légale qui entame la liberté !

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