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Editorial ULMiste n°16

Article paru dans ULMiste n°16, décembre 2013

 

Affrontons la turbulence !

 

2001, Porto. Soixante machines, venues pour la plupart de France, participent au Tour du Portugal organisé par un aéroclub lisboète. Une première étape d’une centaine de kilomètres doit nous amener plus au sud. La région est montagneuse et le plafond, bas, dévore les sommets environnants. A destination, le ciel est Cavok. Cette seule information suffit à ce que tout le monde décolle. En très peu de temps, nous sommes tous dans la crasse. Soixante machines qui volent de concert dans le brouillard, en montagne, il faut une exception statistique, à défaut de miracle, pour que les choses ne se terminent pas très mal. A la radio, on en entend qui appellent leur mère ! Un seul ULM fait demi-tour et revient se poser, presqu’aussitôt. En moins d’une heure, le plafond se lève et son vol est mené dans les conditions idylliques. A l’arrivée, tout le monde est là, l’exception statistique était au rendez-vous.

Cet équipage qui a fait demi-tour est composé d’un instructeur et d’un élève qui volait pour la première fois. Bien sûr, cet instructeur fut meurtri dans son amour-propre par cette décision. Outre que son crédit auprès d’un élève qui ne pouvait comprendre les enjeux en fut durablement entamé, la testostérone du mâle primitif que je reste m’imposait, elle, de poursuivre, ne serait-ce que pour montrer aux autres que je puis bien être aussi stupide que le troupeau. Les félicitations « ‘tain, t’as bien fait ! » reçues à l’arrivée de la part de ceux qui avaient encore la raie moite n’y changent rien, sans doute leur seule fonction était-elle de se donner bonne conscience pour pas cher.

Si j’évoque encore ce souvenir douze ans plus tard, c’est que le questionnement est encore présent. La réflexion, surtout.

Quelle était l’alternative, ce jour-là ?

- Voler en conditions de visibilité réduite (en fait, nulle en l’occurrence), mais bénéficier d’une aérologie d’autant plus calme qu’elle est précisément l’origine de ce brouillard.

Ou

- Attendre que le brouillard ne se dissipe, ce qui inclut le vent et la convection qui vont justement le tuer (en règle générale).

En clair, ce jour, le choix était : « je vole dans un air calme ou je vole en conditions turbulentes. » La réponse, pour nombre d’entre nous, fut : « je vole en air calme parce-que je n’aime pas la turbulence ». J’ai la faiblesse de penser qu’un autre choix s’est imposé à beaucoup : « je suis le troupeau », mais c’est un autre débat.

 

Il existe une autre façon d’aborder cette alternative, sous l’angle de l’acceptation du risque. Voler n’est que cela : une analyse permanente du risque et des décisions qui en découlent, en fonction du degré de connaissance que nous avons à la fois du risque et de notre capacité à l’affronter. Sous cet angle, en ce jour de 2001, l’alternative était donc :

- Je vole en air calme, certes, mais dans des conditions d’invisibilité telles que mes chances de survie sont maigres.

Ou

- Je vole dans un air turbulent. Ce sera peut-être éprouvant, fatiguant, peu confortable, le jeune élève en ressentira peut-être quelque déconvenue, mais, statistiquement et tous voyants au vert par ailleurs, nous sommes sûrs de parvenir entiers à destination !

 

Car là est bien la réalité : depuis les origines de l’aviation, on sait que voler sans visibilité et sans les instrumentes et compétences requises, réduit considérablement l’espérance de vie. Et, depuis ces mêmes débuts de l’aviation, on sait que la turbulence ne tue aucun pilote physiquement et mentalement en état, sauf à voler dans des conditions qui auraient du nous interdire de décoller.

 

En ce jour de 2001, tout s’est bien terminé, et, finalement, puisque la majorité de l’humanité croit à ces choses, évoquons un miracle. Nous n’aurons pas assez de place ici pour lister tous les cas où le brouillard tua, aussi contentons-nous de poser une règle simple :

 

La turbulence ne tue pas. Le brouillard, si !

 

Surtout quand s’ajoute l’idée qu’en aviation légère on doit parvenir à son objectif avec le même taux de réussite que le train !

 

Si nous ne voulons pas affronter la turbulence, ne volons plus. Ou, mieux, apprenons à l’affronter, avec toujours cette très simple vérité en tête : la turbulence, celle qui ne nous a pas interdit de décoller, ne nous tuera jamais ! Avec le temps, nous apprendrons à devenir indifférents, voire, pourquoi pas, à l’aimer !

 

Pierre-Jean le Camus

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