top of page

Comment vole un pendulaire ?

Article publié dans ULMiste n°17, août 2014

 

Comment vole un pendulaire ?

 

Nos manuels du pilote existants passent de façon très rapide sur la mécanique de vol de nos ailes de pendulaires. Nous allons aborder ici quelques éléments qui permettront d’y voir plus clair et dans les grandes lignes.

 

Pierre-Jean le Camus

 

Les premières apparitions d’ailes volantes en forme de delta furent celles de frères Horten dans l’entre deux guerres, puis le Me 163 de Messerschmidt, durant la seconde guerre mondiale.

Au contraire des avions de « formule Blériot », avec un empennage qui assure la stabilité sur tous les axes, celle d’une aile volante est induite par un nombre certain de paramètres, que nous allons voir ici. A la différence des aérodynes susnommés, nos ailes actuelles sont souples (contrairement à ce que prétend l’arrêté de 1998 qui les qualifie de « rigide ») et dépourvues de commandes aérodynamiques, sur la modèle de l’aile « Rogallo », ce qui résout certains problèmes mais en ajoute d’autres.

 

Flèche

 

La forme en delta n’est pas fortuite ou simplement esthétique, c’est elle qui assure la stabilité de route. Pour bien visualiser l’idée, imaginons un bateau dont la proue (l’avant), serait toute plate, offrant une surface perpendiculaire à la marche, comme par exemple les chalands de débarquement. Evidemment, le bateau n’est pas très stable sur sa route. La flèche de nos ailes delta est donc destinée à assurer la stabilité de route, en interaction avec d’autres paramètres, bien sûr. Par exemple, l’incidence. Plus l’incidence est forte et plus la stabilité de route est augmentée. Lorsque l’aile opère un mouvement de lacet, la demi-aile avançante augmente sa traînée induite, ce qui a pour conséquence de ramener l’ensemble dans le droit chemin. C’est aussi la raison pour laquelle les efforts aux commandes augmentent en roulis avec l’augmentation de l’incidence. C’est aussi pourquoi nos pendulaires volent généralement à des incidences plus élevées que les trois-axes, à vitesse égale. Donc, traînent davantage…

A hautes vitesses, donc faible incidence, cette stabilité de route, s’il l’on s’en tient au seul facteur « flèche », va donc diminuer, au point que sur certaines ailes on peut ressentir un léger « roulis hollandais », que nous allons expliquer plus bas.

 

Vrillage

 

Si l’on prend une aile delta toute plate, à la façon des ailes Horten des débuts, le décrochage est extrêmement brutal et dangereux. Les extrémités décrochent en premier. Ceci est dû à la flèche, qui augmente l’incidence induite aux extrémités. Il en résulte un couple cabreur qui approfondit le décrochage et peut même le rendre irréversible.

C’est pourquoi on imprime un vrillage à nos ailes. L’incidence au centre de l’aile est plus forte qu’aux extrémités, selon des valeurs qui varient d’une aile à l’autre et dans le temps. Ceci permet donc à l’aile de décrocher d’abord dans son centre, puis le décrochage s’étend progressivement vers les extrémités, ce qui rend l’aile beaucoup plus sûre. Hélas, il y a un inconvénient, qui est qu’à faibles incidences, donc vitesses élevées, les extrémités peuvent se retrouver en incidence négative, ce qui engendre le « roulis hollandais » évoqué plus haut : chaque extrémité connaît de légers décrochages à tour de rôle, ce qui induit des mouvements répétés en roulis-lacet, sur certaines ailes. Le vrillage participe également à la stabilité en virage et tout ce que nous voyons ici est affaire de compromis et encore jamais enseigné dans des écoles, contrairement aux avions classiques, dont on sait tout depuis près de 100 ans. Chaque concepteur, en fonction du cahier des charges établi pour l’aile qu’il développe, fait donc ses choix et tente de trouver le compromis entre les avantages du vrillage et ses inconvénients, qui sont que la traînée est augmentée aux deux extrémités de la plage de vitesse…

Le vrillage augmente avec la charge, voire se met en place avec la charge, mais nous ne volons pas toujours en air très calme… c’est pourquoi, la structure des ailes n’étant rigide (quoique travaillant en élasticité), qu’au bord d’attaque, le vrillage doit être maintenu pour les éventuels passages en négatif que nos ailes rencontrent en air turbulent. C’est pourquoi il y a un mât, qui outre le maintient des bords d’attaque en négatif et au sol, reprend les cordelettes de rappel, dont le réglage est établi par le concepteur. Sur les ailes d’ancienne génération, il y a également de petits balestrons aux extrémités, qui en vol normal sous facteur de charge positif ne servent à rien.

Sur les ailes sans mât, le travail jusque-là confié aux cordelettes de rappel et câbles latéraux est dévolu à des balestrons internes et haubans rigides inférieurs, ce qui réduit la traînée globale de l’aile et permet d’augmenter les performances à hautes vitesses, moyennant des inconvénients que nous avons passés en revue dans ULMiste n°3.

Le vrillage participe également à la stabilité spirale. En spirale engagée, l’aile extérieure vole plus vite que l’aile intérieure. Le vrillage réduit la portance de l’extrémité et tend ainsi, selon son dosage, à empêcher la spirale de se resserrer. Nombre d’accidents survenus ces dernières années avec des ailes sans mât restent officiellement inexpliqués, hélas, mais on a pu observer dans un certain nombre de cas des ailes engagées dans une spirale dont le pilote n’a pas pu sortir…

 

Effilement

 

C’est le rapport entre la corde à l’extrémité et la corde à l’emplanture, la corde étant la distance entre le bord d’attaque et le bord de fuite. Nos ailes deltas ont un effilement beaucoup plus faible que sur une aile classique « à queue », qui peut être de 1. Si par exemple, sur un trois-axes, la corde est de 1,5 m à l’emplanture et de 1,5 m à l’extrémité, l’effilement est de 1,5/1,5=1. Si la corde à l’emplanture est de 2,5 m et de 0,40 m à l’extrémité, comme cela peut se voir sur nos deltas, alors l’effilement est de 0,40/2,5=0,16. Cet effilement participe, sur nos ailes, à la douceur du décrochage et à limiter les effets « néfastes » du vrillage, mais participe aussi, sur n’importe quel aérodyne à voilure fixe, à la maniabilité en roulis. Plus l’effilement est faible, plus l’aile est maniable en roulis.

 

Dièdre

 

Nous pouvons observer que nos ailes delta ont un dièdre négatif, c’est-à-dire que le plan des deux demi-ailes est brisé vers le bas. Or, on nous apprend que du dièdre positif participe à la stabilité en roulis ! La présence de dièdre négatif est due à la flèche. Nous avons vu que cette dernière augmente la stabilité à forte incidence. Mais à incidence normale, en vol stabilisé à plat, ce serait l’inverse. En vol dérapé, l’aile avançante présente plus d’envergure, donc plus de portance, tandis que la portance de l’autre demi-aile diminue. D’où un mouvement de roulis qui ira en s’accélérant. C’est ici que le dièdre négatif fait son office, tout en améliorant la maniabilité en roulis. Mais la valeur de ce dièdre soit être choisie avec soin par le concepteur, car s’il est trop important il va générer un mauvais couplage roulis-lacet qui induira du lacet inverse à la mise en virage. Compromis, compromis…

 

Centrage

 

La plage de centrage de nos ailes est très faible, mais le fait qu’elles soient pilotées par déplacement du centre de gravité permet de varier le point d’accroche du tricycle sur la quille, dans des proportions établies par le concepteur. Lequel doit rester dans une fourchette qui offre une stabilité suffisante dans toutes les configurations. Il existe divers système tendant à faire varier artificiellement le « centrage », ainsi que bien d’autres paramètres, comme par exemple la tension des cordelettes de rappel ou le « corset » inventé par Air Création. Il existe aussi des centrages variables en vol. Mais aucun de ces systèmes ne fait varier la plage de vitesse d’une aile donnée, il permettent simplement de réduire les efforts à vitesse donnée.

 

Contrôle du roulis

 

Le fléchissement et les déformations de nos ailes sous la charge (qui augmente en virage), nous sont bénéfiques. La quille flottante (non solidaire mécaniquement des transversales), permet une déformation asymétrique des deux lobes de l’aile. Pour virer à droite, le pilote incline son aile à droite en poussant la barre vers la gauche. La charge sur la demi-aile gauche augmente, donc le vrillage également. Le vrillage réduit l’augmentation de l’angle d’attaque de la demi-aile abaissée et améliore donc la fluidité du mouvement.

C’est pourquoi la mise en virage sera d’autant plus efficace et facile que l’aile volera vite. Aux basses vitesses, la mise en roulis demande davantage d’efforts pour moins d’efficacité. Ainsi, moins l’aile est tendue, plus elle est douce en roulis et… inversement. Mais moins l’aile est tendue, moins elle est performante à plat… compromis, compromis…

 

Jonctions intrados-extrados

 

La plupart de nos ailes sont aujourd’hui à double surface, c’est-à-dire que les transversales sont intégrées à la voilure, donc non visibles. Or, à faible incidence et haute vitesse, l’intrados a tendance à se gonfler, étant aspiré vers le bas. Dans le secteur central de l’aile, ceci entraîne un dangereux moment à piquer, tandis qu’aux extrémités cela ne fait qu’aggraver le « roulis hollandais », par asymétrie. Ainsi, la pression interne de l’aile est une donnée importante. L’oubli du capot de nez peut, sur certaines ailes, les rendre instables en tangage. Les jonctions intrados-extrados sont réglées en usine et nos manuels d’utilisation nous interdisent d’y toucher car c’est un élément extrêmement critique dont dépend la stabilité de l’aile, donc notre sécurité.

 

Tricycle et carénages

 

Nous avons évoqué, en vulgarisant et dans les grandes lignes, ce qui fait voler une aile delta. Mais ce qui est dessous compte aussi ! Nombre de constructeurs conçoivent à la fois leurs tricycles et leurs ailes. Mais bien d’autres ne proposent que des chariots, libre à chacun de le suspendre à l’aile de son choix. Certains fabricants, tel Pegasus, refusent de vendre leurs ailes seules, sauf en remplacement pour un chariot de leur cru existant. C’est parce-qu’ils affirment, sans doute à raison, que leur aile ne peut voler correctement qu’avec le tricycle conçu pour, ce qui est d’autant plus critique avec une aile capable de voler à 160 km/h.

L’adjonction de carénages, dans les années 1990, ainsi que les performances à la hausse, ont fait apparaître des phénomènes d’instabilité en roulis-lacet qui ont été résolus par l’emploi de carénages à dérives sur le train principal. Attention donc, en cas de « construction amateur » qui consiste à monter le chariot de son choix sous une aile différente de celle pour laquelle il fut conçu, à prendre en compte ce « détail ».

Airborne, en Australie, a ainsi observé que le fait de monter des roues « toundra » sous une aile sans mât modifiait son comportement à un point tel qu’il déconseille ce montage. Avant de modifier ou d’imaginer, référons-nous en donc toujours aux hommes de l’art, qui sont, hélas, bien peu nombreux. Les bons concepteurs d’ailes, qui ont pourtant encore des choses à découvrir, se comptent aujourd’hui sur les doigts des mains, dans le monde.

 

Observons

 

Avant d’aller voler sur un pendulaire que nous ne connaissons pas, observons son aile et tentons d’imaginer quel sera son comportement en l’air, en n’oubliant pas que son vrillage ne sera vraiment visible qu’en vol. Ainsi, au sol, les ailes sans mât ont-elles l’air d’être toutes plates, alors que ce n’est pas le cas, même si leur vrillage est moins important que sur des ailes de plus anciennes génération.

bottom of page