top of page

Une journée chez La Mouette !

Article paru dans ULMiste n°3, octobre 2010

 

Une journée chez La Mouette

 

Pierre-Jean le Camus

 

«Allo Laurent, t’es dispo demain ? – oui, bien sûr, venez». Laurent, nous ne le connaissions pas il y a peu. Pas grand monde ne le connaissait, dans le monde de l’ULM. Son nom est Thevenot. C’est le fils de Gérard, qui avec son frère Jean-Marc a créé La Mouette il y a 36 ans. Sa mère, Sherry, a fondé le magazine Cross Country. Nous sommes donc, en ce matin de fin septembre,  dans l’une des plus anciennes entreprises du secteur.

 

Rendez-vous fixé demain à 8 heures à l’usine, rue de la Petite Fin à Fontaine-les-Dijon, après que nous ayons poliment refusé, charte oblige, l’invitation à loger chez Laurent. Chez La Mouette, on ne nous reçoit pas avec du café ou des petits fours dans quelque coin confiné et feutré, non, on est directement dans l’usine, chacun des travailleurs vient nous saluer avec sympathie, puis l’invite est «allons voler !». Le temps de finir une bricole sur le Samson, premier pendulaire biplace électrique, puis d’échanger quelques mots avec Jean-Michel Geay, nous voici à observer le chargement de ce micro biplace dans le Vito maison (environ 5 minutes blagues de Rivaud comprises), puis cap sur l’aérodrome de Darois. Le petit café et les mondanités, ce sera pour plus tard. Et même jamais. Le temps que les portes du hangar s’ouvrent, nous voici devant le Samson, monté rapidement (20 minutes bricoles et discussions inclues) et un chariot G’Decouv’R, copie du Phase II Cosmos, sustenté par l’aile sans mât maison, l’Oryx. Un 582 le pousse, tournant une hélice ukrainienne dont le rendement n’est pas optimal.

 

Et pourtant, ça vole !

 

Pour la circonstance, Laurent a chargé deux batteries de 60Ah, soit une heure d’autonomie en biplace et pas loin du double en solo. Le «Phase II» est à moitié plein. Le temps est calme, quasiment pas de vent, ciel bleu vaguement entaché des Cirrus qui annoncent les pluies promises pour la fin de journée par Evelyne. Nous décidons d’une séance de photos du Samson, Patrick Lelaise, metteur au point maison également de la fête, pilote Ben, preneur de vues, je m’assieds sur le Samson, Laurent derrière. Il me briefe sur l’instrumentation, me colle le potard dans la main et nous voilà prêts à rouler. Sans casque, le bruit à la mise en puissance est forcément bien présent, d’autant qu’il s’accompagne d’une rythmique en «clac clac clac» dont j’imagine qu’elle n’est pas au programme. Je coupe les gaz, enfin les Watts : une sangle d’accroche de la batterie se balade un peu… Grosse prévol de Laurent que j’ai accompagnée et observée, nous n’avions pas vu. Il est des partitions qui ne fonctionnent pas à quatre mains. On remet la sangle, on y retourne. Accélération pas du tout foudroyante, franc poussé de barre, on décolle tranquillement au bout d’un certain temps. Puis on monte. Enfin, on monte… c’est-à-dire qu’on ne descend pas. Blague facile à part, autant que ce soit dit tout de suite : aborder ce genre de machine sous l’angle de la performance serait absurde. Le pendulaire tout court, du reste, ne devrait pas céder à ce travers. Pour les comparer les uns aux autres, on peut aussi mesurer des vitesses, rendements, taux de roulis et taux de change. Mais, à y regarder de près, ne retenir que ces seuls critères et les pousser jusqu’au bout mène à la perte de cet outil, puisqu’alors, pour être au plus près de la cohérence, nous finirions tous dans des avions à la Colomban, qui ont un nid sur ce même terrain, du reste. Le plaisir, alors, existera encore, mais ne sera plus le même.

La performance d’un aéronef motorisé de loisir se mesure donc aussi, voire surtout, au plaisir ressenti à le piloter. A le posséder, parfois, ce qui est fort honorable. En attendant, ce Samson, je le pilote et j’en jouis ! A l’oreille, Laurent m’invite à pousser sur la barre. Exécution, je retrouve les sensations du remorqué et nous sommes assez vite à 150 m/sol. Là, sans sortir de l’emprise du terrain d’aviation, j’enchaîne quelques allers-retours pour que le «gros» biplace puisse se positionner et prendre des images. Voulant réduire la puissance pour la mise en palier, des ratés surviennent, même quelques coupures. Je reste donc à fond, réglant l’assiette à l’incidence. Une fois posés, immense sourire aux lèvres pour ma part, Laurent, fort contrarié, m’explique qu’il a passé une partie de la nuit à refaire le potentiomètre pour placer la commande au pied droit. N’ayant pu terminer à temps, il a tout remis à la main, mais un faux contact provoque les erreurs que nous avons observées. Pas grave, j’y retourne en solo, y’a trop bon ce jouet ! Ce sera puissance à fond ou tout réduit, puis voilà. J’enchaîne des virages serrés, à des vitesses si lentes qu’on se croirait en paramoteur. Un paramoteur «performant», tout de même. Descente tout réduit, le bruit reste présent, l’hélice continue de tourner en entraînant le moteur, ce qui provoque des sortes de bruits de «compression». Posé en quelques mètres, retour au bercail, ce sera tout pour aujourd’hui, on reviendra quand tout fonctionnera bien. En descendant de la machine, je lance une boutade à Laurent : «ULMiste avait bien dit que l’électrique ça marche pas bien!» Il rit, le garçon a de l’humour. Mais un grand professionnalisme : à 26 ans depuis peu, il est diplômé de l’ISIN (comme son père), cause couramment une poignée de langues, est pilote de tout ce qui vole léger, compétiteur delta au niveau mondial. Il est fort contrit de ces incidents techniques, mais pour avoir vu voler le Samson à Basse-Ham puis avoir joué avec ici, nous pouvons affirmer que quand tout va bien, ça fonctionne ! Si tu sais te contenter d’un monoplace occasionnellement bi, qui saura t’emmener faire ton tour de bois vespéral et avec lequel tu pourras aborder le thermique et voler moteur coupé, alors ce jouet te convient ! D’autant que son prix, de 15 000 à 20 000 € selon les options, commence à rendre la réflexion pertinente. Surtout que le plein coûte quelques dizaines de centimes d’électricité et que les batteries sont données pour 800 à 1000 cycles. Il est permis de douter d’un chiffre aussi élevé. Il suffira de faire le tour de ceux qui travaillent dans l’électrique et de leur demander ce qu’ils en pensent pour se faire une opinion. Alors oui, l’électrique, ça vole, dans le contexte et avec les limitations observés. Et quel pied ! On s’imagine déjà au pied d’un site à soaring genre dune du Pyla, à attendre le touriste sur la plage. Un coup de «gaz», 20 mn d’aller-retour moteur coupé sur la crête, posé. On tiendrait la journée sans «refueler», à ce rythme. Vu que l’écologisme n’a que des fins commerciales, ce serait cohérent de le vendre ainsi…

 

G’Decouv’R Oryx

 

Aussitôt posé, on m’invite à aller jouer avec le sans mât. Dans l’intervalle et même après, tout le monde aura volé dessus. Ici, on n’a pas oublié que l’ULM c’est bon et on ne se prive jamais d’une occasion de se mettre la carcasse en l’air ! Avec enthousiasme, sérieux, passion et jouissance. Et le résultat s’en ressent, des machines à plaisir. Quand on occulte la seule «performance» si elle se limite à la vitesse et que l’on ne mesure que ce que l’on prend vraiment d’un pendulaire, du plaisir en toute sécurité, alors on a du La Mouette. On pourrait résumer par ce qu’affirme Jean-Michel Rivaud, fidèle de la marque qui fut, entre autres, chef pilote sur le tournage du film «Le peuple migrateur» : «quand on commence à regarder le sol en serrant les fesses parce qu’on ne sait pas si on pourra poser en cas de panne, le plaisir diminue». Alors certes, on peut se contenter de la Beauce. On peut aussi envisager de commencer son cahier des charges par cet item : quelles que soit les performances, il faut que je puisse me poser court et lent où que je sois, parce que c’est ainsi que volent les deltas. Et alors, les performances seront définies, dans ce cadre. L’idée d’aller vite et uniquement vite en s’obligeant à de larges détours pour sauter d’une vache exploitable à une autre ne séduit pas à Dijon.

Rien de particulier à dire sur le chariot, il est connu depuis des lustres et pas vraiment commercialisé, on va t’expliquer pourquoi en page 99. L’aile est  une évolution de l’Ipsos 14. Les haubans sont au choix et moyennant un millier d’euros d’écart, en carbone ou en alu. Sur la machine mise à notre disposition, nous avons de l’alu. Nous n’avons volé que deux petites demi-heures dessus, ce qui est suffisant pour prendre des mesures «scientifiques» mais pas pour un essai complet méthode ULMiste. Cette prise en mains rapide nous montre toutefois une aile légère, typée La Mouette, certes un peu ferme en roulis (il paraît que les haubans en carbone allègent cet axe), facile à tirer malgré un confort grandement détérioré à partir de 120 km/h (absence de carénage), capable de voler lentement en restant manœuvrante. A pousser, l’aile est dure, comme souvent quand on retire le haut. Mais parler de dureté sur une aile La Mouette demande une certaine nuance.

Au sujet de la mode du sans mât, quand on pose ici la question, on répond : «voilà, devant toi, notre façon de voir la chose». Si on contente de 14 m2 et qu’on ne chatouille pas trop les hautes vitesses, on reste dans le raisonnable, nous dit-on, tout en admettant que dans l’état actuel des choses il n’y a aucun moyen de vérifier correctement le comportement aux incidences critiques. A la question «repartons-nous dans un domaine expérimental?», la réponse est hésitante mais plutôt affirmative.

Le rendement est amélioré. Les hautes vitesses, toutes relatives, plus aisément atteintes. L’argument du repliage sur le chariot rend sceptique, ici, mais ça travaille sur une solution vraiment efficace… quant à la hauteur sous porte de hangar, là, on avance. Les ensembles Cosmos - La Mouette étant de véritables Tour Eiffel, le gain d’un mètre est bienvenu.

 

Retour à l’usine

 

Il est midi, après un déjeuner à refaire le monde, nous passons du temps dans les ateliers, à discuter avec les uns et les autres, tous très disponibles. A les écouter, surtout. 36 ans d’histoire, ça force le respect et ça ouvre les esgourdes. Nous sommes ici face à ceux qui ont inventé les lattes rigides, intitié la double surface, mis au point le pliage parapluie et bien d’autres choses encore. Nous observons les tests de traction et compression imposés à tous les haubans en carbone à leur réception, mais ne saurons pas qui les fabrique, malgré notre insistance. On a des petits secrets, ici… Entre autres choses, on nous précise que l’ensemble des ailes La Mouette s’adapte à tous les chariots du marché, la longueur des câbles longitudinaux et latéraux, voire des haubans, étant connue et disponible sur simple demande. Il convient toutefois de préciser que si on affirme ici que ça le fait bien, les constructeurs de chariots, eux, émettent parfois des réserves, pour des motifs techniques qu’ils sauront détailler.

 

Nous quittons Dijon sous les premières gouttes de pluie annoncées. Un seul bilan : nous avons pris du plaisir! Plaisir à voler sur des machines conçues pour, plaisir à causer avec des gens qui t’apprennent quelque chose à chaque phrase, plaisir à voir un tel enthousiasme. Pourvu que le monde de l’ULM leur laisse encore une petite place, des gens comme ça, ça ne se gaspille pas…

 

Mais vu ce qu’ils ont dans les cartons, en plus du gag du biplace électrique, on n’est pas trop inquiets. Mais, après tout, l’ULM comme le delta ne sont-ils pas que des gags ?

 

Nous reviendrons au plus tôt faire des essais complets de ces jouets ! Et nous irons également rendre visite à d’autres pros. Il s’agissait ici d’une première et l’idée d’aller voir les humains qui se «cachent» derrière les jouets que nous devons essayer nous a bien plu !

 

Et Cosmos ?

 

Rappels historiques

 

Créée par les frères Thevenot pour accompagner le développement de l’ULM, Renaud Guy, compétiteur delta La Mouette, en prend la tête, puis la possession. Les deux marques cohabitent dans le même bâtiment, séparées par une cloison, jusqu’à ce que Cosmos déménage en 2000 pour l’aérodrome de Darois où nous étions ce matin. Lorsqu’en janvier 2007 les choses vont mal et que Cosmos ferme ses portes, Jean-Michel Geay, qui a passé 20 ans à diriger l’atelier de montage et connaît sur le bout des doigts chacun des pendulaires Cosmos qui circulent, décide de monter une structure pour assurer le service après-vente auprès des milliers de clients à travers le monde. Il est hébergé dans les locaux de La Mouette, le hangar Cosmos étant exploité par le repreneur initial, GR Sarl, qui laissa la construction d’ULM, dont il n’est pas spécialiste, à l’abandon. 

 

La marque Cosmos disparut quelques temps, avant d’être rachetée à GR Sarl, marque, stock et licences, par un client historique français, établi au Mexique et appuyé par un investisseur français, du Mexique également, mais revenu en Région Parisienne depuis un an, Jean Tourrès. Le réseau de distribution passe désormais par lui et Pierre-Alain Aubert. Les trois associés, Marc Jackel, Jean Tourrès et Hans Kohlinger, ont délocalisé tout le stock et la production au Mexique. Lequel stock comporte des tubes pour fabriquer quelques dizaines de chariots. Le petit accastillage est repris par les anciens fournisseurs, avec lesquels il ne leur est pas toujours aisé de traiter, Cosmos ancienne formule ayant laissé quelques impayés…

Depuis peu, environ 10 000 € de stock ont été rapatriés en France, chez Aubert Aviation à Treigny dans l’Yonne. Pierre-Alain est fils et petit fils d’avionneurs (avions Aubert), lui-même ancien mécanicien moto dans la gendarmerie et toujours spécialiste BMW à Clamart. Cette nouvelle équipe connaît Cosmos depuis longtemps puisqu’ils en sont utilisateurs, à l’exception de Pierre-Alain, qui est relativement jeune pilote (mais il apprend très vite !). Ils ont remonté toute la gamme, désormais disponible en kit ou prêt à voler. Parmi les évolutions, l’adaptation du carénage du Fidji sur le Phase II, qui prend le nom de Tulum, touche mexicaine oblige. Les ailes recommandées restent celles de La Mouette. De son côté, La Mouette a passé une forme de partenariat avec Bruno Bouron et travaille avec son chariot O2B, que nous essaierons prochainement. 

 

Et G’Decouv’R là-dedans ?

 

Jean-Michel Geay a aimé Cosmos. L’aime encore. Il est écarté de ce réseau et le regrette fort. 20 années d’expérience comme chef d’atelier Cosmos devraient pourtant donner quelques gages de crédibilité et d’ailleurs les clients ne s’y trompent pas. Le repreneur initial lui a interdit de citer la marque Cosmos dans sa communication et de vendre son chariot (mais nous, on a le droit de le dire, alors on ne se prive pas ! Tiens, d’ailleurs, une petite resucée pour la route : Geay fabrique et vend des pièces pour Cosmos !). Il y a encore peu de temps, il fallait compter quelques semaines pour obtenir une pièce du Mexique et 48 heures pour qu’elle vienne de Dijon. Nombre de clients ne s’y sont pas trompés et ont opté pour le «canal historique». Par ailleurs, G’Decouv’R, nom de sa structure, propose tous services d’entretien et commerce de diverses pièces et consommables pour ULM.

Reste le flou de la situation vis-à-vis des nouveaux propriétaires de la marque Cosmos. Avec Jean-Michel, ils se sont vus, se sont causés, mais n’ont pas abouti pour le moment. Suite à notre visite, il semble que les choses vont se régler prochainement et qu’un terrain d’entente sera trouvé. Ce serait souhaitable pour tout le monde, à commencer par Cosmos, qui s’offrirait ainsi les services d’un expert qui saura leur apporter beaucoup, ainsi et c’est le plus important, qu’aux clients actuels et à venir !

bottom of page