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ULMiste n°4 Forum

Article paru dans ULMiste n°4, mars 2011

 

Le parrain

 

Le vol est une chance, il nous ouvre les portes de l’extraordinaire ! Je vous parle du « vol » dans ce qu’il a de plus noble, il n’est pas une simple maîtrise technique, il n’est pas uniquement une compétence. Le vol nous conduit un peu plus vers la réalisation de soi ! Il est un moyen unique de se confronter à ses propres capacités. Chaque seconde où s’exerce le contrôle de l’homme sur la machine, dans un environnement où rien d’originel ne nous invite, est une infinie jouissance. Le vol ne s’apprend pas, il se découvre. Il est un  Graal que chaque pilote convoite !

De nos jours, aidée par le programme et les outils de la fédération, une trentaine d’heures d’écolage suffit pour apprendre les bases du pilotage d’un ULM. L’apprenant, guidé par l’instructeur, valide les objectifs clairs et réalisables formulés par le responsable pédagogique du centre de formation. Les méthodes d’apprentissage par l’erreur, par la découverte ou démonstrative permettent la maîtrise des techniques et des paramètres bien précis. La répétition fait le reste !

Les pionniers de l’aviation ont eu le courage, peut-être même un peu la folie de mettre en vol des engins époustouflants construits selon des modèles d’application théorique validés par quelques essais en soufflerie d’époque, la chance et la  foi faisaient le reste. Pas d’instructeur ni de programme mais un désire incommensurable de « s’envoyer en l’air ».

De Lilienthal et ses ailes planantes, à notre premier lâché sur nos ULM sage, en passant par les pilotes d’essai militaire des années 50,  chacun a pu se confronter à ses limites psychologiques face à son premier lâché. Moment de stress intense, positif, où le tour de piste s’effectue sans réel conscience de la réalité. Moment exquis, de la victoire sur nous-même. Moment où enfin l’Homme maîtrise ces « plus lourds que l’air » afin de jouer les volatiles.

Face à notre premier lâché, nous sommes tous des Lilienthal, des Locatelli ou des Blériot, ils furent certainement tous si semblables à nous-même, quand, revenus tout penaud sur le plancher des vaches, nous mesurons notre exploit, figés derrière un sourire éclatant, transcrivant la fierté des plus humbles. Nous sommes devenus pilotes !

J’entends déjà les remarques de certains qui n’oseront pas, certainement par pudeur,  comparer un jeune pilote d’ULM à ces géants de l’aviation. Il est certain que la plupart d’entre nous n’avons de commun que cette situation face à la découverte du pilotage. Ce qui change le destin des pilotes, c’est ce qui les rapproche du saint Graal, ce qui les emmène vers l’aisance du  Vol, cette différence entre eux et nous se construit  selon les capacités et motivations des Hommes, qui dans des circonstances particulières et souvent exceptionnelles se confrontent à des situations les amenant à plus en plus d’expérience. Ce n’est pas le temps qui construit les pilotes, c’est l’expérience.

Dans le monde ULM, la formation d’un pilote est un moment de sécurité et de découverte, en confiance avec l’instructeur, l’apprenant se laisse aller aux joies du pilotage et sa progression est fulgurante.  Mais une fois le papier vert en poche, nombre d’entre eux se retrouve seul face à une montagne de progression à franchir, peu rassuré, et à présent conscient des réalités du pilotage et de son environnement, il bafouille souvent dans des approximations techniques ou réglementaires l’empêchant souvent de voler de ses propres ailes. Règles de vol, responsabilité du commandant de bord, les règles du vol à vue, espace aérien, il nous faudra bientôt un tronc commun théorique de 6 mois pour appréhender le monde législatif et ses changements. Regardons une carte aéronautique pour nous rendre compte de la complexité de l’espace, demandez à l’aviation civile de votre région de vous expliquer une disposition aléatoire d’un aspect réglementaire du dernier sup AIP de votre coin, une réponse claire et explicite n’est pas assurée. Dans un monde devenu craintif, la peur au ventre, l’état n’hésite pas un instant à pourchasser le pauvre malheureux débutant chatouillant d’à peine quelques nautiques une ZIT, il est bien vrai que 450 Kg tout mouillé, un ULM est une menace tangible… autre débat… !

Acceptons enfin que chacun puisse progresser et que nul ne naît pilote de ligne ou de chasse. Acceptons aussi qu’un jeune pilote n’est pas un excellent pilote, acceptons qu’un pilote récemment breveté a encore une marge de progression importante, pour lui permettre de garantir le plaisir et la sécurité dans ses vols.

Si nous acceptons tout cela, alors peut être faut-il les accompagner et les guider vers la maîtrise des aspects techniques, environnementaux, de la phraséologie ou des effets pervers de l’euphorie des beaux jours et du pilotage un peu engagé. Il existe des clubs ULM où le jour du test brevet le postulant n’a jamais volé seul, le lâché s’effectue avec l’instructeur à bord, certainement par manque de confiance, mais une fois le brevet en poche, quelles solutions leur apporter?

Faut-il vraiment se confronter au cumulonimbus pour connaître ces effets, faut-il absolument passer dans le grain pour savoir s’il pleut ? Je suis de ceux qui pensent qu’un accompagnement immédiat après l’obtention du brevet  par des pilotes plus expérimentés serait un gage de sécurité et d’épanouissement pour les jeunes pilotes.

Il ne s’agit pas de poursuivre l’instruction initiale, mais de transmettre sous un angle différent un savoir qu’un seul instructeur ne peut donner de manière optimale par manque de temps et de disponibilité. Il nous est possible de  mettre en place une continuité sécurisante dans l’apprentissage sur du moyen terme : une cinquantaine d’heures d’accompagnement après l’obtention du brevet.

Le pilote fraîchement breveté par son instructeur deviendrait « pilote stagiaire » sorte de période probatoire où s’alterneraient à sa convenance, des vols solo ou des vols en duo. Ces vols en duo en période probatoire seraient confiés à des pilotes expérimentés reconnus par les instructeurs, pour leur sérieux, pour leurs connaissances et facultés à transmettre une passion. Ils évolueraient sous couvert d’une structure de formation déclarée et resteraient des moyens d’alerte sur des comportements inadaptés, dangereux ou irresponsables. Evidemment le pilote stagiaire reste le commandant de bord, il est seul responsable de ses actes, il est en responsabilité !

Alors que j’étais en formation d’instructeur stagiaire, je me souviens de ce pilote à bord de son pendulaire breloquant qui évoluait à 50 mètres sol et faisait des 8 sur la verticale de l’aérodrome, en plein milieu du trafic. Je me souviens surtout des instructeurs qualifiés, appuyés sur une porte de hangar branlante,  le visant du regard et dire « un jour il va finir par se tuer ». Souvenir anecdotique, sauf que quelques semaines après il est décédé lors d’une collision en vol. Les circonstances de l’accident n’ont certainement rien à voir avec ses excès de zèle peu de temps avant mais, je ne puis m’empêcher de croire qu’un accompagnement par un parrain lui aurait peut-être permis de réévaluer ses limites et comportements.

La mise en place de cette disposition au niveau fédéral permettrait de maintenir l’aspect déclaratif et responsabilisant des instructeurs, ils resteraient autonomes dans leur jugements, resteraient le relai entre les institutions (DAC et FFPLUM) et auraient en charge la formation pédagogique des pilotes confirmés devenu parrains.

Cette nouvelle relation tripartite entre instructeur, pilote parrain et pilote stagiaire aurait un effet positif en tous points, les jeunes pilotes se sentiraient en confiance et aborderaient leurs progressions de manière sécurisée, les instructeurs seraient plus disponibles pour les suivis pédagogiques, les parrains s’ouvriraient vers la jouissance du partage des connaissances. Enfin, ce mode d’accompagnement permettrait aux structures ULM de resserrer les liens entre les adhérents et éviterait la dérive de certains, devenus utilisateurs-consommateurs.

L’évolution vers la qualification d’emport de passagers se ferait naturellement dès la fin de la période probatoire, en accord avec le stagiaire, le parrain et l’instructeur référent, seul décideur in-fine car seul a engager sa responsabilité.

Prenons, Michel, 45 ans, souhaitant devenir pilote, étape n° 1 la formation de base : l’objectif de cette étape est de valider en 15 heures de vol d’instruction le pilotage de base, décoller, palier montée descente, atterrir et le laché, puis sur une période de 3 à 5 mois valider le module théorique. Etape suivante, de 5 heures le pilotage perfectionnement avec la gestion des modes dégradés, pannes, météo, vol aux grands angles. Dernière étape, la gestion de l’environnement aéronautique, navigation, aérodrome et contrôle aérien, 5 heures supplémentaires.

Michel ayant bien travaillé, régulier et sérieux dans ses leçons, il obtient le brevet sans trop de  difficulté au bout de 25 heures d’apprentissage.

C’est à ce moment que l’instructeur lui présente les parrains du centre de formation, seules personnes avec qui il pourra voler en duo. Un carnet de vol est mis en place où chacun pourra pendant cette période stagiaire annoter remarques et conseils.

Michel devient donc propriétaire d’un ULM ou loue la machine du centre de formation et aborde avec sérénité sa période probatoire avant l’obtention de l’emport de passager.

La remise en question de nos méthodes est une preuve de responsabilité face à notre tâche d’instructeur, nous ne sommes pas des « safety » dans des ULM double commande qui tirons le manche avant de percuter la planète. Nous sommes des passionnés, sérieux et organisés, qui avons à cœur de valider les objectifs andragogiques permettant aux apprenants de se réaliser dans leurs projets de pilotage. Nous devons évoluer et accepter qu’un pilote qui ne progresse plus soit un pilote égaré. Notre devoir à nous, instructeurs, est bien de mettre en place des moyens permettant à chacun de s’épanouir et de grandir dans le pilotage.

Nous sommes tous des élèves, nous sommes tous des pilotes, nous sommes tous des Lindbergh, nous recherchons tous le Graal.

 

Gérald Thévenon

 

Sur le rebord du monde

 

C’est un peu comme au sol, lorsque l’on se prépare, lorsqu’on est concentré sur le respect des règles, l’état du matériel, on refait mille fois sa prévol avec soin, méticulosité, on contrôle chaque écrou, on vérifie les câbles, on refait les niveaux, on écoute le moteur, puis c’est le CRS et les actions vitales, on teste la radio, on inspecte le ciel, on laisse passer l’oiseau, il est prioritaire, il n’a rien demandé, il n’est pas dans le jeu, à défaut de limites il tourne un peu en rond. On s’agace car l’oiseau observe l’ULM et traîne un peu la patte, curieux de voir voler ce copain bricolé, aux ailes multicolores des années soixante dix, cette poule aux plumes coupées, voyons voir si ça vole, l’engin réglementé. Alors on prend la piste, on baisse la visière et puis on met les gaz, on roule et puis ça y est, la poule a décollé, on ne touche plus le sol, on se sent plus léger, on est ultra léger. Un petit tour de piste parce qu’on est bien élevé, on fait signe aux copains, on prend de la hauteur et puis… ça y est. On est sorti du cadre. On coupe la radio, on se laisse glisser dans les bras de la brise qui flirte avec la poule, qui berce et qui balance, qui tangue et puis qui roule. On part, on se tire, on se casse, on taille la route. On branche le mp3, on lâche un peu la barre et la pression retombe, on se cale bien au fond, on se met en palier, on prend quelques photos, un château sur la droite, une mare sur la gauche, un lac pour les chanceux, une mer pour les pieds nus, ceux qui volent ventre à l’air, hors du cadre hors du temps, ceux qui glissent laminaire, qui longent les grandes plages que d’autres ont pris d’assaut, qui attirent les regards de toutes les têtes en l’air le cul sur la serviette et puis, c’est de bonne guerre, qui matent un peu beaucoup tout ce qui bronze à l’air. Ceux qui comptent les points, arbitres un peu spéciaux, les matchs vus du ciel sont toujours plus magiques, on surveille les joueurs, on ne perd pas la balle, on voit les croche pieds, on sent même la tension qui règne juste en bas, les joueurs sont à fond, ils crient ils se bousculent, ils se poursuivent aussi, ils se prennent au jeu, il courent après la balle mais soudain.

Que se passe-t-il enfin ?

La balle sort en touche et le joueur la suit. Mais il ne revient pas. Il se barre il se casse. Il part avec la balle.

Comme ça. Sur une tête un coup de tête. Lui aussi. Il sort du cadre. Alors d’en haut, on applaudit car on se sent moins seul.

 

“Trop de cadre tue le cadre !“

 

Jean Dubreuil

 

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