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Raid Aventure, l'ULM utile ?

Article paru dans ULMiste n°4, mars 2011

 

Raid Aventure

L’ULM utile

 

François Denis

 

Vendredi 23/07 : Il est 15h00, je décolle de Sedan pour rejoindre Château-Thierry où m’attend le GTE de l’association Raid Aventure coiffé de sa nouvelle iXess. Cette association a pour but de permettre aux jeunes de 8 à 22 ans de pratiquer des sports d’aventure et de développer des valeurs telles que l’esprit de civisme, la volonté d’engagement de soi, le respect de l’autre et l’effort volontaire. Tout un programme pour des jeunes issus de milieux défavorisés qui pour les prochains 10 jours vont s’investir dans un tour de France ULM. Si la pratique de l’aviation légère peut être une école de vie, pour ces jeunes en risque de marginalisation c’est aussi un moyen de sortir de leur quotidien et de découvrir de nouveaux horizons.

Durant un an, en collaboration avec l’Etablissement Public d’Insertion de la Défense (EPIDE) 30 jeunes (de Corbeil-Essonnes, Aulnay), ont été choisis au cours de plusieurs week-ends pour participer au Raid 2010. Le principal critère de choix a été la capacité de vivre en collectivité. Huit handicapés feront aussi partie du voyage.

Pour moi comme pour les neuf autres pilotes c’est l’occasion de partager notre passion tout en participant à une cause sociale. Je dois citer l’équipe d’organisation, sans elle ce projet n’aurait pu aboutir :

Bruno Pomart, ancien policier, initiateur et Président de l’association, a du partir à la chasse aux partenaires.

Stéphanie Anton, chef de projet, a monté tout le raid 2010, géré le couchage de chaque journée, programmé toutes les visites au sol et a demandé les autorisations pour les décollages et atterrissages en dehors des aérodromes ou plateformes. Un grand coup de chapeau à l’équipe de la Fondation Dassault et celle d’Arc en ciel armées de beaucoup de patience, qui s’occuperont des handicapés, une tache qui ne sera pas facile avec des structures spartiates. Jean et Thierry se chargeront de l’avitaillement des ULM. Simone et Jean-Louis devront préparer les repas pour une cinquantaine de personnes. Cyril (IME de Sillery 91) et Pascal (d’Aulnay 93), éducateurs spécialisés, seront indispensables au bon déroulement du raid. Léon et Isabelle se chargeront de transporter les affaires de tous les pilotes. François Diviné et François Dagnan les chefs pilotes du Raid ont préparé le road book des ULM.

En début de soirée je suis le dernier arrivé en vol à Orgenoy où je retrouve l’équipe au complet. Tout ce petit monde se connaît bien. Les machines rapides voleront ensemble, les plus lentes suivront derrière, les rampants s’adapteront et essaieront de se calquer sur les ULM. Une solidarité s’est tissée depuis que ce tour existe voilà 3 ans maintenant. Lors de la première année le thème du raid était le Tour de France des musées de l’Aéronautique, le second fut le tour du patrimoine français et cette année la France et les deux grandes guerres.

 

Samedi 24 : C’est le dernier moment pour les préparatifs avant le départ officiel, je file un coup de main à Jean-Marc pour monter son pendulaire. Quelques parents ont accompagné leur adolescent. Tous connaissent déjà le vol, durant les premiers jours du printemps chacun a pu s’y tester. Trois minibus avec les coffres remplis de sacs sont déjà prêt au départ, ils seront utilisés pour emmener tous ceux qui ne voleront pas. Les vols d’une journée se dérouleront en principe suivant un schéma très simple : deux étapes d’environ 130 km chacune le matin suivies de deux autres l’après-midi, ainsi chaque jeune volera au moins une fois par jour.

Escale à St André, puis le soir à coté de Caen. J’emmène avant la nuit le maire d’Escoville, la commune où se trouve la plate forme. Son engouement et son excitation ne laissent aucun doute, son émerveillement fait plaisir à voir.  Il me servira de guide pendant au moins 20 km, après il sera un peu perdu dans le bocage normand. J’ai droit au récit d’une anecdote par village, chaque histoire est liée forcément au débarquement. Devant nous s’étale une plage quelconque, visiblement le sable y est comme sur toutes les autres plages, ce soir avec cette lumière du couchant elle prend même une teinte très photogénique, l’endroit paradisiaque doit attirer les baigneurs. En réalité cette plage est historique, il s’agit d’Omaha Beach. J’essaie d’imaginer l’enfer qui devait régner ici le “D” DAY. Pas très loin sur la commune de Colleville le cimetière américain surplombe la plage. A Arromanches l’ancien port artificiel qui a servi à débarquer le gros de la troupe les jours qui ont suivi ce 6 juin 44 a laissé des traces, de gros bloc en béton sont toujours en place dans la mer. 

 

Dimanche 25 : Nous suivons la côte jusqu’à Dunkerque après un atterrissage à Eu Mers. Avec une excellente visibilité nous pouvons distinguer facilement les côtes anglaises. Un occupant d’un des gyro a perdu sa casquette qui a endommagé le radiateur d’eau du 914. Les tentatives de réparation de fortune échouent, finalement un radiateur neuf sera rapatrié après une nuit chez l’habitant. La journée fut longue, le soir tout le monde, rampant ou volant se couche fatigué.

 

Lundi 26 : Une journée de repos est bienvenue sur l’aérodrome de Sedan. De toutes façons le gyro dépanné n’arrivera qu’au cours de la journée. Nous en profitons pour visiter le seul fort de la ligne Maginot pris par les armes, le Fort de Villy dans les Ardennes, la plupart des hommes y périrent après 24 heures au cœur de l’enfer ! Sous les tirs allemands un incendie s’est propagé à l’intérieur atteignant l’unique réserve de munitions ! Les occupants ont du se réfugier au plus profond du piège de béton, terrorisés par le bruit fracassant des explosions. La gaine en feu des câbles électriques a dégagé une épaisse fumée qui a étouffé la plupart des occupants. Deux soldats Français sont morts par balle et 112 asphyxiés, on soupçonne que le Chef de camp français s’est tiré une balle dans la tête. Coté ennemi on n’a déploré aucune victime…

Le soir pour détendre l’atmosphère Philippe se prend pour un contrôleur aérien allergique aux ULM : il colle tellement bien au personnage que je le soupçonne d’avoir vécu une expérience désagréable en tant que pilote dans une zone contrôlée…

 

Mardi 27 : Comme tous les matins dans la bonne humeur les jeunes nettoient les lieux gracieusement prêtés par la commune. Ce n’est pas l’armée et ses corvées, Pascal et Cyril nos deux éducateurs savent exactement comment communiquer avec ces jeunes, en dosant finement autorité et complicité.  Rejoindre en vol Verdun, Centre Mondial de la Paix depuis Sedan ne prend qu’une petite heure pour les plus lents, coté navigation il n’y a qu’à suivre la Meuse. Nous nous retrouvons tous à Douaumont pour la visite de l’ossuaire et du fort. Jeunes et moins jeunes, personne ne reste insensible à ce qui s’est passé ici. Nous poursuivons en passant par Lunéville, d’ici les Vosges sont déjà visibles, bientôt il n’y a plus qu’à sauter par-dessus pour se poser à Triembach. Le champ se trouve juste à coté du terrain de sport de la commune, ainsi on évitera les navettes en minibus pour retrouver le lieu de couchage. Nous sommes dans les derniers contreforts des Vosges, un peu plus à l’Est se trouve Sélestat et la plaine d’Alsace, le temps est au beau fixe. Hubert l’Alsacien, gérant du terrain de foot, a su nous accueillir très chaleureusement.

 

Mercredi 28 : Aujourd’hui la pluie a fait son apparition, on espérait le soleil jusqu’à la fin du raid : c’est raté. Il ne faut pas se plaindre, jusqu’à maintenant nous avons eu la chance exceptionnelle de prendre des couleurs en passant par la Normandie et le Nord !

Cette fois nous visitons le Strutoff, un ancien camp d’extermination SS qui se trouve aujourd’hui sur le territoire Français. Comment des hommes ont été capables de commettre de telles atrocités ? Quel a été leur cheminement idéologique pour en arriver là ? Des questions que doivent certainement se poser aussi les adolescents.

Tout le monde est déçu car le journal du 20h00 n’a pas lieu. “Gueule d’amour”, un pilote de pendulaire, nous avait habitué au débriefing de chaque journée, mais ce soir il est en manque d’inspiration. Il est vrai qu’aujourd’hui et les jours précédents aucun fait sensationnel ne s’est passé : personne ne s’est perdu, pas de panne moteur, aucun record battu, bref pas de quoi se moquer gentiment de quelqu’un.

 

Jeudi 29 : Il ne pleut plus, mais le ciel reste menaçant. Le champ qui nous sert de piste n’est pas idéal pour un décollage en toute sécurité, du coup toutes les machines décolleront en monoplace. Nous retrouverons les jeunes passagers sur une jolie piste ULM genre altisurface au milieu des vignes à Albé. Nous pouvons décoller sous un plafond raisonnable. La météo se gâte avant Belfort que nous ne pouvons pas rejoindre. Sous une pluie battante tous les ULM se replient sur Soppe dans le Haut-Rhin. Une fois posé, en plus d’être frigorifié, j’ai l’impression d’être une éponge avec ma combinaison gorgée d’eau. Un membre du club local nous laisse à disposition sa camionnette afin de rejoindre le village le plus proche où nous pourrons nous réchauffer et trouver un hôtel pour la nuit. Pour la première fois nous ne passerons pas la nuit tous ensemble.

 

Vendredi 30 : Après plusieurs tentatives les machines rejoignent Morestel plutôt que Pontarlier où nous attendaient les Rampants pour le repas du midi. En fait nous ne les reverrons que le surlendemain! Aspres-sur-Buech restera inaccessible pour les ULM, en effet l’aérodrome a été fermé car le vent du nord est beaucoup trop violent. Du coup nous en profitons pour nous balader sur les Alpes et le Jura. Avec des conditions excellentes, je peux survoler en compagnie de Guy le Mont-Blanc. Voler à plus de 15000 pieds pendant plus de deux heures m’a congelé les orteils et le reste aussi : à la descente de la machine pisser un coup n’a pas été une affaire facile ! Nous prendrons le petit déjeuner sur l’altiport de Megève où Philippe, Jean-Marc et Christian arrivés aussi en pendulaire se feront traiter de “chiffons” par des pilotes avions. Pendant ce temps-là, plus au Sud à Aspres-sur-Buech l’encadrement aidé des jeunes ont organisé une petite fête en attendant que le vent diminue.

Enfin l’équipe au complet se retrouve, les rampants viennent d’arriver à Morestel après une longue route sinueuse. Nous décollons en direction de Tournus puis Dijon-Darois, nous passons la dernière nuit ensemble à Chaumont dans la Haute-Marne. Un tournoi de foot est organisé : les jeunes contre les vieux. Dans la soirée en guise de remerciement les adolescents nous montrent un spectacle improvisé dont ils peuvent être fiers. Tout le monde est invité à danser ou chanter.

C’est les dernières étapes, passage à Colombey-les-Deux-Eglises puis Pont-sur-Yonne. L’arrivée se fait sur l’aérodrome de la Ferté-Alais où les jeunes nous quittent non pas sans larmes. Lors de cette dernière étape je serai l’instructeur de Samantha pour sa première leçon, une élève de 16 ans qui comprend très vite le pilotage, les petites turbulences ne l’impressionnent même pas ! Le soir l’encadrement se retrouve autour d’un barbecue. A la fin du repas nous nous quittons avec la probabilité d’un nouveau projet plus ambitieux pour l’année prochaine.

 

Conclusion

 

Pas une seule fois mes passagers se sont plaints du froid ou bien des levers très matinaux, pas une seule fois quelqu’un n’a laissé sa place à un autre. Tous ont pris plaisir à découvrir la magie du vol, certains même voudraient se lancer dans une formation.

La joie des jeunes handicapés a été à l’échelle de l’émotion et de la responsabilité des jeunes de banlieue. Les jeunes ne sont pas pareils une fois là-haut. En vol on partage des choses qu’on ne dirait pas au sol, au bout d’un moment une complicité s’est installée. Ils se sont retrouvés dans le ciel, Célia, la petite trisomique, Messaouda la rebelle de la cité des Tarterets, Jibril et Sandrine qui n’ont jamais marché, Thibault le gentil écorché vif. Ils ont parlé aux oiseaux, tutoyé les nuages, apprivoisé le tonnerre et vogué dans une bienheureuse dimension, loin, très loin de leurs malheurs terriens. Ils sont redescendus sur terre avec un certificat de bonheur mais surtout la connaissance d’un ailleurs qui leur a ouvert la porte du possible, synonyme de l’espoir…

 

 

 

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