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Espagne et Portugal en couple

Article paru dans ULMiste n°5, juillet 2011

 

Peur chez les Hispano-Portougueche

 

Tourisme aérien en couple : est-ce possible ?

 

Le dimanche 21 juin 2009, ma femme et moi décollons à l’aube de notre Vendée, en direction du Portugal. Ce qui peut paraître banal pour certains, est en fait un véritable fait d’armes. La négociation fut longue et sévère pour en arriver là. En effet, Isabelle, qui n’a jamais été très à l’aise mais totalise pourtant pas moins de 700 heures de vol derrière son pilote favori, est atteinte, depuis mon petit problème finlandais, d’une peur épouvantable : seul à bord, je m’étais crashé et assez vilainement blessé suite à une panne moteur. Et quand je dis peur, c’est une vraie trouille qui lui tournicote les boyaux et qui lui arrache des larmes à la moindre turbulence. Elle n’a plus confiance ni en l’appareil ni en son pilote. Cette année, elle n’a noté qu’1h44 sur son carnet de vol. Une minute en plus ou en moins lui représente un effort conséquent. Pour la décider, je lui fais miroiter une visite chez de bons amis nantais habitant Lisbonne et, je m’engage solennellement à décoller tôt pour éviter l’activité thermique, à ne faire que des petits vols, à profiter longuement des escales, à rester calme… bref, je m’engage à tout ce que je ne sais pas faire.

 

Henry de Lavenne

 

Tout commence fort bien

 

Ma femme, si bavarde au sol, est devenue totalement muette en l’air. Nous survolons la mer, puis la pointe Ouest de l’île de Ré. Je lui dégouline dans l’oreille un message :

- Veux-tu, ma chérie, que nous nous posions à Oléron ?

- Non, on continue.

Les damiers et arabesques des bords de la Seudre ainsi que le phare de Cordouan nous hypnotisent.

- Et si, ma pupuce, nous atterrissions à Arcachon ?

- Non, on continue.

Le cap Ferret et les dunes du Pyla nous laissent pantois.

- Allons à Mimizan.

- Non, on continue.

- Désolé, mais si tu tiens à aller plus loin, il serait souhaitable de remettre un peu de benzine. (Je finis par me demander si elle ne souhaite pas aller virer Lisbonne dans la journée pour en être débarrassée).

Nous atterrissons juste après un stick de parachutistes. Le Pilatus enchaîne rotation sur rotation. En discutant avec les 2 pilotes, j’apprends que l’un est pilote sur Alpha-Jet et l’autre a été son instructeur. Ils nous prêtent une voiture pour l’essence et l’un des deux nous dit, juste avant notre départ :

-  J’ai été lâché sur pendulaire il y a 15 jours. C’est génial ce truc !

Rencontrer des pilotes aussi modestes, pleins de gentillesse et de cette qualité, est un vrai bonheur. Nous continuons à longer la côte des Landes et rentrons dans les terres pour passer les Pyrénées du côté d’Itxassou. Ce n’est bien sûr pas la meilleure heure et mon Chapelet commence à sauter comme un cabri. Ma pauvre Za commence à geindre, puis à pousser des “ah ! oh ! non ! arrête !” J’essaye d’expliquer l’activité thermique, que tout est normal, que si le vent frappe la montagne à cet endroit, je dois me placer sur le côté au vent pour bénéficier du dynamique et non de l’autre côté pour nous farcir une très dangereuse dégueulante. Rien n’y fait. Elle se fout littéralement de mon petit cours d’aérologie. Le ton monte, j’ai de plus en plus de mal à tenir ma monture et finis par exploser :

- Non de Zeus de b…de m…, t’as pas fini de me faire c…

Eh voilà, dès le premier jour, je n’ai pu respecter aucune de mes promesses. Dans une turbulence dingue, je m’y reprends à 2 fois pour me poser sur ce terrain pourri et abandonné de Sesma. Après avoir repris nos esprits, que j’aie compati aux douleurs si compréhensibles de ma pauvre épouse, caché nos affaires de vol au milieu de bottes de foin, nous enfilons chacun nos sacs à dos et marchons vers le village perché au loin.

 

Les compteurs interne et du pendule proches de l’implosion

 

Le moteur chauffe, check-list de mes engagements et gaz. La fraîcheur matinale nous gratifie d’un air porteur et calme. L’altitude moyenne de l’Espagne est de 1100 mètres. Des Pyrénées au Portugal, l’altitude ne descendra que rarement au-dessous de 600 mètres et pourtant nous admirons la blondeur des champs de blé à l’infini. Je sens Isabelle se détendre, quand d’un seul coup, le BMW se met à ratatouiller. Le moteur s’étouffe, renaît, s’étouffe, pet pet et, blourp blourp, pet pet…5…10mn peut-être, une éternité. Je cherche désespérément une vache possible, mais ce n’est que des champs de cailloux. Mon casque me crache un jet continu de mots délicieux. L’engin finit par reprendre vie et nous aussi en arrivant à Fontioso. Je teste à tous les régimes et nous repartons. A part quelques discrets prout-prout, la machine nous emmène sans problème jusqu’à Alcazaren où, il y a déjà 12 ans, nous nous étions posés lors de notre premier voyage vers Lisbonne. Constantino Ramos Rodriguez est toujours là, mais sa superbe plate-forme, si active, est maintenant fermée. Il s’est vendu corps et bien à une société d’hélico Bomberos (pompiers). Il leur fabrique des poches d’eau pendant des heures normales de salarié et profite enfin de la vie. Pendant qu’Isabelle fait sa sieste, je change mes deux injecteurs que je conservais précieusement depuis mon voyage africain. Je craignais le sable fin des déserts et je pense finalement que c’est la 95 qui nous a créé des problèmes. Plus aucun souci depuis que je nourris la bête à la 98. La Za, reposée, essaye de me dissuader de repartir. Comme elle me le dit presque à chaque fois, je ne l’écoute même pas. Grossière erreur. S’il faisait 6° ce matin en sortant de l’hôtel, il en fait maintenant 44 à l’ombre. A peine décollé, je vois ma température monter dangereusement. Moi qui ai toujours l’habitude de tirer, je joue le neutre et dès qu’un thermique passe, je pousse un max et réduis mes tours. Cette méthode nous permet  d’arriver sans encombre à Salamanque. Nous nous écroulons, ruisselant de toutes parts, dans un hôtel minable.

 

Enfin des vacances

 

Nous devenons raisonnables et n’effectuons ce jour qu’une étape pour arriver à Caceres en Estrémadure. Nous prenons le temps d’arpenter en tous sens cette vielle citée féodale et d’admirer ces vielles maisons nobles construites par les conquistadors avec l’or des Aztèques.

Nous sommes au-dessus des forts de défense portugais d’Estremoz, puis des carrières de marbre et continuons sur Evora. Je veille la fréquence de l’aéroport et suis un peu effrayé par l’abondance du trafic. J’essaye de me présenter, ne comprends absolument rien au retour des paramètres, comme d’habitude. Je zyeute de tous côtés et finis par lancer mon  “FAILLENAULLE”, dans un accent très Oxfordien. La tolérance et l’extrême gentillesse des Portugais font que tout se passe bien. Ils nous ouvrent les portes d’un hangar et notre bel oiseau sera à l’abri pour 3 jours. Nous découvrons cette très vielle ville-citadelle, capitale de l’Alentejo, son temple romain, ses palais du XV et XVIème et, partout, ces magnifiques azulejos. Nous accueillons à l’hôtel nos trois couples d’amis vendéens qui nous trimballeront dans leur Trafic à la découverte de ces magnifiques régions. Le produit des vignes locales détendra totalement Isabelle et l’assemblée. Quant à moi, gourmand comme une vielle bique, je déguste les spécialités pâtissières produites uniquement à base de jaune d’œuf. Autrefois les bonnes sœurs avaient l’habitude d’amidonner leurs cornettes avec le blanc, et comme il ne faut rien perdre…

Notre couple d’amis de Lisbonne étant absent (en fait je le savais, mais c’était un élément important pour décider la Za, hé, hé ! Je me suis fait pardonner en venant les voir trois mois plus tard, Isa en Airbus et moi en convoyant le Pen Duick VI de Marseille à Lisbonne) nous traversons le Taje, laissons la capitale sur bâbord et effectuons quelques 360° au-dessus d’Obidos, petite cité médiévale fortifiée, et posons non loin de la mer. Nous sommes plutôt habitués à descendre dans des hôtels à 3 balles, mais le taxi nous lâche devant la catégorie supérieure. Nous dévalons les ruelles pentues au milieu de l’enceinte flanquée de petites tours rondes et de bastions carrés et nous nous assoupissons après un petit bain dans la piscine à l’ombre des remparts, allongés sur des chaises longues comme deux petits vieux touristes retraités que nous sommes.

La longue plage de Nazaré et son phare sont un peu tristounets ce matin. Nous slalomons entre les grains et arrivons sur l’aéroport de Coimbra, ancienne capitale du Portugal. Il pleut carrément en approche et, peut-être grâce à cela, nous sommes les seuls dans le tour de piste. Je lance donc mon “Final” très confiant dans un accent très City. L’AFIS descend de sa tour, vient me parler gentiment en Français et s’excuse de mal le parler. Ouch… je prends une vraie tarte dans la gueule, bafouille et ne trouve même plus les mots dans ma langue pour me confondre en excuses et remerciements. Si de vieux ignares dans mon style peuvent se permettre ces libertés dans ce pays béni des dieux (en y mettant néanmoins quelques formes), je vous déconseille vivement d’effectuer la même manip en Espagne. La vielle ville, superbe, est accrochée au versant verdoyant d’une colline exténuante et baignée par le large Mondego.

Le lendemain, la météo continuant à être très moyenne, la Za refuse tout net de souffrir et nous nous rabattons sur un train qui nous mène dans la cité lacustre d’Aveiro. Les murs de la gare sont couverts d’Azulejos, tel un livre d’images en bleu et blanc. Nous sillonnons les canaux de la ville à bord d’une gracieuse barque colorée rappelant une gondole vénitienne.

Nous fuyons vers la France et abandonnons notre visite chez une nièce habitant la Corogne, car, de Coimbra à la péninsule ibérique, tout est bouché pour plusieurs jours.

 

Corrida et castagnettes

 

La Sierra de Estrela étant bien accrochée, nous la jouons profil bas et retrouvons notre piste de Salamanque sous le beau temps. Nous avons beaucoup de mal à expliquer à notre chauffeur de taxi que nous cherchons un p’tit hôtel. Il nous dépose donc au… Petit Hôtel, situé en plein centre de cette ville inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Nous assistons le soir sur la Plazza Mayor, le verre de sangria à la main, à une farandole de chants anciens poussés par des étudiants en costume d’époque.

Après un vol où nous admirons des paysages aux arabesques torturées, nous somnolons sous notre aile dans un terrain totalement isolé au sud de Burgos, quand une voiture nous réveille. Le type commence à nous engueuler proprement car son terrain est strictement privé. Puis, il rentre dans son hangar, s’y enferme à clef et en ressort une demi-heure plus tard. Peut-être y avait-il un stock de snouf au lieu d’un ULM, va savoir? Toujours est-il que nous lui passons gentiment la main dans le dos et, il se décide à nous déposer à Burgos où nous tombons en pleines fiestas. Nous nous retrouvons tout en haut des gradins d’une arène, au milieu de centaines d’Espagnols en fête. Au troisième taureau vaincu, les glacières s’ouvrent et une débauche de bouf en sort. Notre voisin nous coince de force dans les mains un énorme sandwich aux calamars. Puis, un nombre impressionnant de bouteilles de rosé et de gourdes passent de mains en mains et sont aussitôt vidées à la régalade. Le grand cirque continue au milieu de l’arène dans l’indifférence générale. La barrière de la langue est rompue et nous rions ensemble comme des bossus. Nous avons un peu de mal à rejoindre notre hôtel en fendant une masse humaine en liesse.

Le temps étant très moyen, je ne réussirai à convaincre Isabelle que l’après midi pour un petit vol sur Sesma. Peu de temps avant d’atterrir, nous admirons une petite centrale solaire photovoltaïque en forme de croissant.

 

A ne jamais faire !

 

Décollage tôt, avec un vent de 30 à 40 km/h sud, nous poussant rapidement sur les Pyrénées qui sont entièrement recouvertes par une couche de nuages, à perte de vue. Bigre ! Si j’arrive à passer dessous, nous sommes sûrs et certains de nous ramasser les rouleaux hyper puissants générés par ce vent de sud. Le raisonnable serait de faire demi-tour, mais j’en aurai pour deux plombes et je crains les réactions derrière moi. Je prends donc la plus mauvaise décision, celle que la loi m’interdit avec raison, j’y vais et passe “on top”. Je m’étais pourtant juré de ne jamais reproduire cette expérience qui s’était produite, un peu malgré moi, il y a 20 ans. J’annule ma destination vers le nord-est, pour filer nord-ouest. Je percerai quand la cartographie de mon GPS m’indiquera le dépassement du trait de côte. J’y suis 1h20 plus tard, très au nord de Cap Breton. Comme par hasard, deux petits trous apparaissent dans deux couches différentes qui me permettent en quelques 360° très serrés de passer en-dessous, sans rentrer dans les nuages. Ma femme, qui n’a pas dit un seul mot depuis notre décollage, annonce sur un ton très calme, monocorde et très légèrement tremblant : “j’étais persuadée que nous allions mourir”. Ouch, ça calme.

Nous débriefons à Biscarosse, Cazaux nous accorde le transit, Soulac nous gave en 100 LL, La Rochelle nous accepte au-dessus de sa CTR, la pointe de l’Aiguillon est toujours aussi belle et atterrissons “at home” après 5h25 de vol dans la journée.

 

CQFD

 

Ma co-pilote préférée oubliera très vite les mauvais moments pour se souvenir des bons. Quand je l’entends raconter à ses copines : “Ouiiiiheuu, on a fait çi c’était super, on a fait çà c’était génial”, je bois du petit lait et me dis...

“C’EST GAGNÉ !”  

 

Et chez vous, comment cela se passe-t-il ? Faites-vous partie des ULMistes qui aimeraient faire beaucoup plus d’heures, mais sont un peu bridés par leur gouvernement ? Le raisonnement mathématique suivant va vous aider :

Sachant que certains s’envoient en l’air seuls, pendant que leur moitié s’envoie en l’air autrement. Sachant qu’il n’y a pas plus triste qu’un couple qui ne s’engueule jamais. Il est donc plus sage de se disputer pour l’emmener avec soi. L’intensité des confrontations sera proportionnelle à l’intensité du bonheur réalisé et des heures de vol supplémentaires gagnées. Je pose donc l’équation suivante :

+ de disputes  = + de bonheur = un couple + soudé = + d’heures réalisées. CQFD.

 

Finalement, derrière cet exposé complètement louftingue, ne penseriez-vous pas :  “y’a p’t’être quec chose à creuser ?”.

 

Réfléchissez-y et à vous de jouer.

 

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