Pipistrel Taurus, le vol à voile ULM !
Article paru dans ULMiste n°5, juillet 2011
Pipistrel Taurus, le vol à voile ULM
Lorsque Patrick Avenne m’appelle pour me proposer d’essayer son Taurus récemment acquis, mon sang ne fait qu’un tour, “ok, pas de problème demain 13 h 00 à Challes-Les-Eaux, j’y serai !”. Le planeur, tout le monde le sait, est très chronophage, il faut donc beaucoup de disponibilité pour pouvoir voler sur ces splendides machines et apporter sa contribution au fonctionnement de cette lourde organisation (préparation, treuil, récupération des planeurs....). Le motoplaneur ULM développé par l’entreprise slovène Pipistrel est une très belle alternative, on peut en toute autonomie voler quelques heures sans y consacrer une journée complète.
En arrivant sur place le lendemain, le ciel est prometteur, les cumulus sont bien formés et le plafond avoisine d’ores et déjà les 2500 m. En vue de cet essai, j’ai voulu prendre part au montage afin de me rendre compte si les 15 minutes annoncées par son propriétaire pour la mise en œuvre s’avéraient exacts. C’est donc un Taurus assoupi que je retrouve bien engoncé dans sa magnifique remorque.
Le Taurus, qui frise les 41 de finesse, est du même constructeur que le Sinus et Virus. D’ailleurs ses ailes sont celles du Sinus (motoplaneur aile haute). C’est assez paradoxal de le trouver en classe ULM car en réalité c’est un planeur. Certes, il correspond aux critères exigés par la règlementation ULM mais il faut une expérience en vol à voile conséquente pour piloter ce bel appareil et l’exploiter au mieux dans les ascendances. On est loin des performances d’un multiaxe tubes et toiles !
Tout d’abord nous sortons le fuselage, l’opération est facile car le train est composé de deux roues de 360 mm de diamètre. Il suffit alors de le laisser glisser hors de la remorque. Puis on glisse les deux ailes montées sur roulette à l’extérieur afin de les positionner de part et d’autre du fuselage. L’une des ailes contient le réservoir de 30 L, il faut donc faire attention à ne pas arracher le petit tube de mise à l’air libre lors de la sortie.
A deux la manœuvre est facile, je prends l’extrémité de l’aile pendant que Patrick guide à l’intérieur du fuselage l’alignement des deux orifices pour y insérer la clé d’aile. Ensuite, il faut rentrer le corps derrière les sièges pour aller verrouiller les clés d’ailes avec un axe et écrou nylstop, connecter les deux durits provenant du réservoir et le tour est joué. La difficulté dans cette manœuvre est l’alignement des ailes. Seul, la mise en place est délicate mais réalisable avec quelques artifices. A ce stade, il ne manque plus que la gouverne de profondeur, qui se clipse très simplement. Toutes les gouvernes possèdent des branchements automatiques ce qui est fort appréciable pour éviter toute erreur de connection. Les volets sont couplés aux ailerons. L’opération aura pris 23 minutes à deux sans être pour ma part habitué au montage, je pense qu’avec un peu d’entrainement on doit facilement arriver au quart d’heure annoncé !
Le Taurus est un biplace côte à côte, la largeur de la cabine est de 1 m 12 ce qui lui procure une allure de gros cétacé assez sympathique. Il est construit principalement en composite, abrite un moteur Rotax 503 et une hélice bipale en bois de 1,60 m. La motorisation et l’hélice sont montées sur un bras articulé électriquement qui s’intègre dans le fuselage à l’arrière des pilotes. L’envergure est de 15 m, longueur 7,17 m, hauteur 1, 41 et surface alaire 12, 26 m2. Il possède un parachute pyrotechnique global, sa masse à vide annoncée avec parachute est de 294,5 kg, pas de problème donc pour accueillir deux occupants de 80 kg et 20 litres d’essence tout en respectant la limite à 472,5 kg.
Prévol générale puis prévol moteur, qui ne s’avère pas très pratique car celui-ci est protégé par un immense cache en carbone de très belle facture mais qui rend impossible une vérification plus poussée, je trouve cela dommage ! On avale notre sandwich rapidement, je soulage ma vessie car je sens mon partenaire particulièrement motivé aujourd’hui, ce qui laisse présager un vol long et ambitieux, effectivement j’ai confirmation des ses intentions, j’en profite pour vérifier que nous possédons quelques sacs Air France, ça peut servir !
L’installation à bord est assez simple, il faut néanmoins faire attention où l’on pose ses mains pour prendre appui et enjamber le manche relativement haut. Les sièges en cuir orange sont du plus bel effet et l’on est tout de suite surpris par l’espace immense de cette cabine. On ne se gène pas entre pilotes, il y a beaucoup de place entre nos épaules et pour étendre les jambes, les sièges sont très agréables et les palonniers réglables. Le tableau de bord champignon en carbone donne un sentiment de finition exceptionnelle. L’immense verrière bleutée offre une visibilité hors du commun, c’est un véritable panorama qui s’offre à nous. La console centrale est très complète, elle accueille de haut en bas la bille au cas où le brin de laine s’envolerait, puis à sa droite un témoin lumineux de sortie et rentrée de train. Un badin, un variomètre pneumatique, puis un second électronique cette fois avec calculateur de vol, en dessous un altimètre en mètres, radio, transpondeur, une manette de gaz micrométrique, l’instrument Ibis qui gère la rentrée et la sortie moteur ainsi que le démarreur, un double indicateur instrumental EGT et CHT, primer, magnétos et le contact. Sur le sommet du cockpit est fixé le compas et à l’avant de la verrière, un miroir afin de visualiser l’hélice pour les phases de rentrée/sortie de la motorisation. La colonne centrale accueille les aérofreins servant de freins au roulage, (classique sur les planeurs), ainsi que le trim de profondeur et la commande des volets (5 positions : +17 °, +9°, +5°, 0, - 5°).
Harnais attaché, palonniers réglés, pas d’objet libre dans la cabine : moteur ! L’opération est très simple, contact sur On, primer, un peu de gaz, un bref appui sur le démarreur et le 503 s’ébroue bruyamment. De bonnes vibrations secouent l’ensemble et nous commençons à rouler. Il n’y a aucune suspension, on ressent donc bien les inégalités du sol, il faut d’ailleurs être prudent lors du passage de bosses plus marquées car les ailes peuvent facilement venir toucher le sol. Le roulage est simple et la visibilité très bonne. Le train double procure une conduite au sol aisée, ce qui n’est pas le cas sur la plupart des motoplaneurs mono train où l’aile est en appui au sol sur une petite roulette. Aligné, prêt à décoller en 33. Gaz à fond, le Taurus se met lentement en mouvement, le bruit du 503 est assez fort, les vibrations modérées sur cette piste en dur, 80 km/h rotation, palier d’accélération jusqu’à 110 km/h et nous adoptons une pente de montée d’environ 2 m/s et rentrons le train. Challes-Les-Eaux est très urbanisé, notamment autour de l’aérodrome. Habitué au pendulaire, je trouve la montée laborieuse mais nous montons... Après 5 minutes de moteur, nous longeons la pente magique de Challes, le vario confirme l’impression ressentie, ça monte ! Réduction moteur, vitesse 90 km/h, arrêt moteur, petit coup de démarreur pour aider l’hélice à se caler verticalement, le vent relatif fera le reste, c’est bon… Tout est dans l’axe, une légère pression sur le bouton “down” et nous voilà en mode planeur ! Quel silence... nous en profitons pour jeter nos casques derrière nous, pendant que le vario chantonne joyeusement. Le Taurus se manie très simplement avec peu d’amplitude au manche, les commandes sont très légères et agréables, nous enroulons un bon 3m/s jusqu’au nuage. Vu les conditions du jour nous partons sans hésiter vers Annecy, vitesse de croisière 120/130 Km/h, la finesse est incroyable, tout semble à portée d’aile. Le fait d’être l’un à coté de l’autre est fort agréable pour converser, par rapport au planeur biplace classique où l’instructeur contemple pendant tout le vol l’occiput de son élève ! Nous passons Annecy sans nous arrêter, puis la chaîne des Aravis, le plafond monte au cours de la journée, nous hésitons pour basculer sur Chamonix, mais préférons aller tourner vertical les Gets. Le Taurus avale les kilomètres sans broncher, la visibilité est fabuleuse et le confort des sièges se confirme. Le pilotage est comparable à n’importe quel planeur, on ressent bien la masse d’air dans les ailes. Leur rigidité donne une tonicité au pilotage que l’on ne retrouve pas sur les grandes plumes. Le centrage dans le thermique est assez intuitif et le Taurus monte seul une fois bien incliné dans la pompe. Les volets doivent être ajustés lors des différentes phases de vol afin d’obtenir le meilleur rendement. Retour par Annecy, puis le Revard, la Chartreuse. Cela fait 2 heures et demi que nous volons, nous continuons jusqu’à Grenoble, petit point bas à Chamechaude puis traversée de la vallée de Grenoble en évitant la ZIT pour aller raccrocher le Vercors. Mon estomac commence à montrer quelques signes de fatigue mais je m’accroche, en prenant le manche je reprends un peu de couleurs. Le Taurus transite sur un rail à 130 Km/h, un planeur tourne déjà sur les faces ouest du Vercors, nous prenons la même ascendance afin de faire un bon plein avant de traversée, à nouveau Grenoble pour rejoindre Chamrousse. Il est tard, nous volons depuis 4 h 30 maintenant, la chaine de Belledone est encore allumée, il ne faut pas rater ce dernier plein sinon c’est posé au Versoud. En mode planeur, nous nous efforçons de gérer le vol comme si nous n’avions pas de moteur, il ne faut pas compter sur lui lorsque l’on est bas car la sortie de l’ensemble traîne énormément et la remise en route est parfois aléatoire. Il est possible de redémarrer en l’air bien sûr mais il faut anticiper et prendre sa décision lorsque l’on a encore beaucoup d’altitude. On peut par contre, une fois posé, redécoller afin de rentrer au moteur, ça évite le démontage et d’appeler les copains pour venir nous chercher !
Nous négocions ce dernier thermique afin de nous hisser à 2300 m, ce qui nous permettra de glisser jusqu’à Challes-Les-Eaux. Le Taurus file à 155 km/h, on ne semble pas descendre, quelle transition ! Les deux parapentistes que nous sommes, restons impressionnés par les performances de cette machine. 19 h 00, nous sommes fatigués, 5 heures de vol entre 2000 et 3000 m d’altitude nous ont complètement vidés, il va falloir se concentrer pour le poser... On s’annonce en finale pour la 33, approche à 95/100 km/h, arrondi et nous voilà posés à Challes-Les-Eaux. Quel vol ! On s’extirpe lentement du Taurus afin de retrouver le plancher des vaches et dénouer nos articulations. Il ne reste plus qu’à passer la peau de chamois pour démoustiquer l’ensemble et rentrer le cachalot au hangar !
Certes le Taurus n’est pas accessible à toutes les bourses, mais l’équipe slovène a bel et bien accompli un travail exceptionnel, tant au niveau des performances que de la finition. Le pilotage est précis et le plaisir digne d’un véritable planeur. L’acquisition d’une telle machine au sein des clubs de vol à voile permettrait de pouvoir répondre à une demande réelle, celle de faire voler des personnes qui ne peuvent consacrer la journée en respectant un créneau horaire et ce grâce à l’utilisation du moteur. Je remercie vivement Patrick de m’avoir offert ce magnifique vol, d’ailleurs si vous passez par Annecy ou Challes-Les-Eaux, n’hésitez pas à le contacter à l’école Aeroslide qui vous proposera différents types de vol : initiation, prestige... et ce toute l’année. www.aeroslide.com
Et l’ULMiste, y dit quoi ?
L’essai d’une telle machine peut nous ouvrir des portes intéressantes. Habitué au doux ronronnement du moteur on commence à s’inquiéter quand celui-ci s’arrête, c’est exactement l’inverse pour le pilote d’un Taurus...
Tout d’abord, le pilotage planeur exige une précision sans faille car rester en l’air est dépendant des décisions et du pilotage en thermique. On passe également beaucoup plus de temps à tourner pour monter dans les ascendances, ce qui oblige à sans cesse manier le manche et les palonniers en respectant une bonne vitesse ascensionnelle car l’envergure des ailes génère un lacet inverse beaucoup plus prononcé que sur un tube et toile, on doit conjuguer constamment sous peine de voir le brin de laine se balader où bon lui semble ! Cette rigueur affinera énormément votre pilotage.
Au niveau sécurité cela vous apportera aussi beaucoup, le fait de ne plus être assisté du moteur, vous permettra de ressentir le véritable plané de votre machine, de vous rendre compte de sa finesse et ainsi vous aider en cas de panne moteur. Le vélivole est également très rigoureux lors de son cheminement, il s’oblige à toujours voler en finesse d’un terrain vachable, et avance ainsi de terrains en terrains en calculant rigoureusement sa finesse avec une marge supplémentaire en cas de vent de face. Nous aussi me direz-vous ? Sauf qu’avec nos moteurs de plus en plus fiables, on a tendance à être moins rigoureux sur cet aspect là et s’autoriser des survols peu académiques !
Enfin, en ULM on n’aime pas trop quand ça bouge et on se opte pour deux solutions : soit on monte au-dessus des cumulus, soit on va poser pour boire une bière et discuter avec les copains... Le vol dans ce genre de machine vous permettrait de “lire et comprendre” un peu mieux la masse d’air, et donc de vous placer au bon endroit en fonction du relief et des conditions météorologiques du jour. On redoute ce que l’on ne comprend pas, en vol à voile la météo et l’aérologie ont une place prépondérante dans l’activité, apprenons à décrypter le ciel pour ne plus subir mais optimiser nos trajectoires et nos vols.
Lors d’un décollage en plein été par exemple, on pourra aller se mettre en appui sur une pente afin de monter plus rapidement, ou encore, en finale, avec une instabilité marquée on pourra s’attendre à planer beaucoup plus et ainsi anticiper sa hauteur d’approche. L’air est le milieu dans lequel nous évoluons, apprenons à le connaître pour en faire notre allié.
Le Taurus vous permettra d’avoir une autre vision du vol, une expérience enrichissante dans une vie de pilote.
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