C'est arrivé près de chez vous
Article paru dans ULMiste n°6, octobre 2011
Vue brouillée...
Nous ouvrons ici une nouvelle rubrique destinée à recueillir les récits de nos gaffes, bourdes, erreurs, fautes ou événements quelconques qui se sont, cette fois-ci, bien terminés. L’idée est de permettre aux autres de ne pas refaire la même, grâce notamment aux explications de nos experts, dans chaque domaine concerné. Commençons par un brouillard qui apparaît tout d’un coup du “néant”...
1- Le récit
Samedi matin, levé tôt (enfin... selon mes critères perso...), beau temps calme. La vidange est faite, les papiers sont faits, la licence 2011 prise la veille... Ben oui, pas sérieux mais je n’avais pas encore volé cette année...
• 08:15. Ciel bleu. Le copain Daniel décolle son Take-Off. Tiens, c’est bizarre, lui qui (d’habitude) taille la route, fait deux verticales terrain avant de partir.
• 08:25. Bon, moteur chaud, je décolle. A 10 ou 20 m sol, je ne vois plus rien. Le blanc total. La visière embuée ! Je relève la visière. Ah ben non, je vois toujours rien. Et je sors de la couche, par au-dessus. Je vous jure, du sol, je n’ai rien remarqué. Et en l’air, on devinait le sol dessous à la verticale, mais à peine. Sinon, le blanc partout, tout autour. Des forêts au loin qui émergent. Dommage que je n’aie pas pris l’appareil photo, c’est super beau. Mais alors, l’air con... Maintenant je ne vois plus rien dessous, la couche s’est manifestement épaissie. Tiens, le GPS dit que je suis à la verticale du terrain. Là je ne vois plus rien. Bon, pas question de partir, on a des grosses forêts dans le coin, et j’aime bien savoir ce que je survole. Roh et en plus je n’ai pris que deux heures d’essence. ‘Taing cong, des entrées maritimes à Til-Châtel, on aura tout vu...
Je passe les détails de l’attente... La situation aérologique s’organise : des gros trous, à 4 ou 5 km du terrain, mais l’aérodrome dans la purée de pois. En l’air, le flux de sud se lève. 170 km/h GPS dans un sens, 120 badin, 70 dans l’autre. Logique. Plusieurs fois je plonge en radada par un trou, des fois que la couche se décolle du sol, mais non, ça descend jusqu’aux arbres. Tiens, Daniel est revenu. Lui aussi il plonge, et réémerge un peu plus loin...
La solution : pour l’instant, Chaume et Dampierre sont épargnés, mais ça peut ne pas durer. Sinon, il y a Langres Rolampont, à 40 bornes. Le terrain est en hauteur, normalement il est dégagé. Mais il faut survoler des grandes étendues “blanches”. Donc j’attends, au-dessus des “trous locaux”, mais si le niveau d’essence baisse trop je jarte. On se croirait dans Buck Danny.
• 09:35 (environ, hein ?) Tiens, tout à l’heure je ne voyais pas cet arbre, là, pas loin du bout de piste 29. Je fais un tour et je reviens.
• 09:40 Ça se dégage, je commence à voir les hangars à côté du bout de piste.
• 09:45 Victoire, on voit les deux premiers plots ! Je plonge et je pose.
Au sol, ambiance bizarre. Dès que les roues sont au sol, je suis dans la purée. On a déjà là du beau brouillard... Je roule jusqu’aux hangars (1 km...). Les présents (avion/ULM) sont morts de rire... Daniel a suivi, lui aussi il se marre. 1/4 d’heure après, c’est presque tout bleu...
2 - Faits et éléments d’analyse
Situation annoncée pour ce 2 avril 2011 : grand beau, quelques brumes le matin, flux de sud modéré arrivant en cours de journée.
Situation constatée : grand beau, pas de brume au lever du soleil, ensuite on a vu... et flux de sud (présent dès le matin à 3/400 m/sol).
Décollé à 08:25 en 02 (donc vent de cul selon prévi MTO) parce que la manche était inerte. Posé à 09:45 en 29 donc plein travers en théorie mais rien de sensible au sol.
Au sol (avant le décollage) il faisait 7°. Au dessus de la couche il faisait entre 12 et 13°. Belle inversion a priori (mais pas de mesure simultanée).
Forte pluie l’avant-veille, temps mitigé la veille (donc peut-être peu d’évaporation) => à la première belle journée, ça monte...
Le gros mystère, c’est que du sol je n’ai rien vu. Je pense que Daniel, qui a décollé 10 mn avant moi, a déjà constaté un début de brume, mais je le voyais parfaitement bien. Ensuite, je n’ai sans doute pas levé le nez avant de décoller... Mais qu’aurais-je vu ? Un ciel un peu moins bleu ? Sais pas. Vue d’en haut, avec le soleil qui éblouit, la brume est nettement plus sensible.
Une chose est certaine : ça s’est épaissi durant les premières minutes du vol. Au début j’arrivais à distinguer les chemins et les bosquets, à la verticale, ensuite plus rien. La couche faisait au moins 100 à 150 m d’épaisseur, jusqu’au sol. Alors que je n’ai rien remarqué (en regardant devant!) lors du roulage avant envol.
Une remarque : normalement ma visière (casque Lynx) ne s’embue pas facilement. Là, j’ai dû la laisser relevée avant de m’aligner (d’où mon premier diagnostic erroné quand je n’ai plus rien vu après le décollage) => on devait être proche du point de rosée => je note l’indice.
Une conclusion parmi d’autres : je suis désormais vacciné, pour ces jours où on a envie d’aller voler, même si c’est un peu brumeux...
Quant à savoir si une check-list un peu moins centrée sur l’ULM et un peu plus ouverte sur le monde extérieur (c’est-à-dire, au delà de l’observation du trafic) aurait permis de constater le sushi, va savoir...
3 - L’expertise de notre météorologue
Pascal, j’ai apprécié ton récit et comme pilote, je pense que tu as su gérer sereinement cette petite mésaventure. Heureusement que tu avais du carburant. Tu as pu ainsi rester en l’air tranquillement au-dessus de la couche et attendre patiemment que tous les brouillards se lèvent. C’est pratique de pouvoir aller se poser en toute sécurité. Imagine un peu la panne d’essence dans de telles circonstances. Je vais donc tenter de t’apporter une petite explication à cette formation intempestive de grisailles matinales. Les brouillards se forment par temps calme. Pendant les longues nuits étoilées, la terre rayonne dans le canal infra-rouge. En l’absence de couverture nuageuse, toute l’énergie s’en va dans l’espace intergalactique, sous forme de chaleur. En clair et pour parler français, les basses couches de l’atmosphère se refroidissent. Tu remarqueras d’ailleurs que les nuits sous un ciel couvert sont toujours plus douces que les nuits sans nuages. En général, la température la plus basse se situe vers la fin de nuit. C’est seulement à partir du lever du jour que le thermomètre commence sa lente remontée.
Lorsque la température de l’air ambiant s’abaisse jusqu’à la température du point de rosée, on atteint le point de condensation. En l’absence de vent, cette condensation se produit sous forme de rosée sur le sol. Le terrain de Til-Châtel devait se trouver dans cette configuration juste avant que tu décolles. Maintenant, si on rajoute juste un peu d’air (entre 3 et 5 km/h, pas plus), il y a du brassage et ce mélange favorise la condensation sur toute l’épaisseur de la couche. C’est ainsi que se forment et se propagent les brouillards. La plaine de Saône est une zone particulièrement favorable à ces phénomènes, à cause de la forte humidité des sols d’une part. Mais aussi à grâce à ce petit vent de sud à sud-est qui s’est installé dans la configuration que tu décris. Pour en revenir au matin du samedi 2 avril, tu décolles en piste 02, en gros face au nord et tu ne vois pas ce qui se passe derrière, c’est-à-dire vers le sud. Sur la Plaine de Saône justement, le brouillard s’est formé, aussi dense que d’habitude. Il va remonter sûrement, se propageant de proche en proche, poussé par l’imperceptible vent de sud qui est canalisé par la Côte. Le brouillard va donc s’étendre progressivement. C’est comme une réaction en chaîne qui se déplace vers le nord : Chalon-sur-Saône, Baune, Dijon, enfin Til-Châtel. On appelle cela un brouillard d’advection. Il se forme aussi vite qu’il disparaît. Alors attention à la prochaine et sois prudent.