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ULM Baisy-Thy, un modèle à suivre !

Article paru dans ULMiste n°8, février 2012

 

ULM Baisy-Thy, un modèle à suivre !

 

Pierre-Jean le Camus

 

Un peu d’histoire

 

Roland Coddens, qui était au départ un prodcuteur de raisin de table, fut l’un des pionniers du vol libre (deltaplane) en Belgique dans les années 1970. Mais le vol libre au “plat pays”, on comprend bien que ce n’est pas une sinécure, aussi lui fallait-il, comme ses camarades de l’époque, partir dans les Alpes pour y assouvir sa passion naissante. Entre les allers-retours et les créneaux météo qui clouent au sol, la motivation commençait à diminuer lorsqu’un jour il vit voler un petit pendulaire : “voilà la solution !” Il est allé voir le gars, a copié la machine puis est rentré voler dans son pays. Nous étions “fin septante””. En ces temps-là on décollait de routes, de chemins ou de champs. Suite à un petit accident lors duquel il a heurté une barrière au décollage, Roland décide de trouver un endroit sûr, sans obstacle. Avec une bande de copains, ils trouvent un terrain avec hangar, négocient la location avec le fermier, sèment de l’herbe… mais au jour du premier loyer, il n’y avait plus personne, sauf Roland, qui s’est donc retrouvé seul. Après avoir construit des machines pour les copains, il commença à importer et former et c’est ainsi que, d’une passion, l’ULM est devenu un métier, un peu par hasard, comme nombre de ceux qui se sont lancés à cette époque. Puis, au fur et à mesure des années, des hangars ont poussé, le terrain a été racheté puis agrandi, jusqu’à devenir le seul de Belgique (ici nommé « ulmodrome »), à comporter deux pistes croisées. Les deux fils, Christoph et Didier, ont rejoint l’aventure, depuis respectivement quinze ans pour l’un et dix pour l’autre, tous deux à l’âge de vingt ans. En 2004, ils reprennent l’activité, qu’ils se partagent à 50%.

Au départ exclusivement tournée vers le pendulaire,     l’activité trois-axes commence à se développer lorsqu’arrivent sur le marché des machines plus performantes comme le Mistral, premier ULM en composites à cabine fermée, qui attire les pilotes privés avion. Ici, on considère que l’intérêt du trois-axes par rapport au pendulaire n’apparaît qu’avec la performance et le confort, ce qui nous semble être plein de bon sens. A vitesses égales ou comparables et la tête à l’air libre, autant rester dans la simplicité et l’accessibilité du pendulaire, que l’on nomme en Belgique DPM (DeltaPlane Motorisé).

 

Ce qui a motivé notre visite à Baisy-Thy, outre l’excellente réputation de cette base, est avant tout une promesse faite à Roland il y a une dizaine d’années, que son décès, survenu en 2008, n’efface pas. Mais également, ULMiste étant un fervent défenseur des professionnels de l’ULM sans lesquels son développement serait impossible, il nous a semblé intéressant, pour faire suite au dossier sur l’ULM professionnel publié dans notre toute première livraison, de contredire par un exemple brillant l’argument, répandu, selon lequel travailler dans l’ULM condamne irrémédiablement au statut de smicard à vie, de précaire permanent, de bricoleur du dimanche.

Nous voici en Belgique, dans un pays qui n’est pas réputé pour la clémence de sa météo, un jeudi, hors période de congés. En descendant de voiture, nous constatons qu’il y a un grand nombre de machines dehors, dont un hélicoptère R22, trois FK9 en tours de piste, un pendulaire qui se prépare à une leçon, l’atelier qui tourne à plein et le club-house très animé. Nous avons confirmation de ce que nous avions entendu dire : on est ici dans ce qui est, à notre connaissance, la structure ULM la plus dynamique d’Europe. Jugez-en : en 2010, pas moins de 3 800 heures de vol ont été facturées, en école, baptême et location. L’atelier a monté, révisé, reconstruit, plusieurs dizaines d’ULM, le carnet de rendez-vous et de commandes est plein ! Ah oui, le R22 qui trône fièrement sur le gazon (digne d’un parcours de golf), est aussi la propriété des frères Coddens.

Voilà pour la mise en bouche. Deuxième constat, d’importance : il n’y a pas de barrière ! On peut circuler librement autour des ULM et la terrasse du clubhouse donne directement sur la pelouse, à quelques mètres des machines.

Après les salutations d’usage, nous faisons le tour des installations : l’atelier, dont l’une des activités les plus importantes est le montage de kits de MCR et dérivés, le clubhouse d’une propreté exemplaire, qui offre un diaporama retraçant l’historique de la base et de son fondateur, la salle de cours théoriques avec rétroprojecteur au plafond et baie vitrée donnant sur un hangar plein à craquer. Le hangar central, qui était déjà là avant la base ULM puisqu’il était une porcherie, contient les machines école et location : 6 FK9, 2 MCR, 4 pendulaires. Un grand hangar attenant, le plus récent, offre des emplacements à une quarantaine de machines privées, essentiellement des FK9 et 14, MCR et dérivés. Des ascenseurs permettent de n’avoir, pour ceux qui dorment en haut, qu’une seule machine à déplacer avant de sortir. Pour ceux d’en bas, la voie est directe. Le hangar pendulaire, lui, abrite également une quarantaine de machines privées. Autre particularité, il n’y a guère de poussière sur les machines, signe que ça vole ! D’ici sont partis des raids pour l’Afrique du Sud, le Sénégal, le Moyen-Orient, mais aussi l’Europe entière. Les frères Coddens eux-mêmes ne sont pas en reste, Christoph est le seul ULMiste à avoir volé au Pôle Sud, Didier, lui, se “contente” de balades en Afrique, pour son loisir mais aussi pour livrer des appareils montés ici.

Aujourd’hui, ULM Baisy-Thy est une entreprise prospère, idéalement située dans une zone relativement peu construite, ce qui est rare en Belgique, proche de Bruxelles. Une équipe de 15 instructeurs (comprenant le président de la fédé), dont 4 à plein temps, fait tourner les 6 machines destinées à l’école et la plupart des écoles ULM de Belgique ont essaimé depuis celle-ci, qui fut la première en Belgique.

 

L’école

 

L’activité école et location exploite 6 FK9, 2 MCR et 4 pendulaires Air Création. Ces derniers sont équipés de 912 en biplace et 503 pour les deux Racers Fun. L’usage du quatre temps se justifie, outre par une fiabilité avérée lorsqu’il est correctement entretenu, par le moindre bruit produit. A cette fin, les cours se suivent sous une Fun 450. La faible vitesse permet de travailler à de bas régimes moteur, mais aussi, voire surtout, cette aile, facile, est adaptée à l’école. En début d’année, une NuviX a été mise en école, mais l’expérience a tourné court : “trop performant”, répondent en cœur les deux frères, en plus du fait qu’elle nécessite une certaine puissance (donc plus de bruit) pour voler. Voilà encore qui nous semble juste, l’ULM étant, à notre connaissance, la seule activité dans laquelle on ne rechigne pas à enseigner sur du matériel inadapté car trop performant, ce qui n’a pour seule conséquence que d’allonger artificiellement la formation et très concrètement la facture.

Devant l’apparente contradiction avec le matériel mis à disposition en trois-axes, la réponse vient de ce qui a été précisé plus haut : voler en trois-axes avec des performances de pendulaire n’a aucun intérêt, par conséquent, on retient des machines « haut de gamme », mais au pilotage accessible. Et la clientèle ne s’y trompe pas : en moyenne, pas moins de 70 élèves passent entre leurs mains chaque année, uniquement des candidats au brevet de pilote. En effet, en Belgique il n’existe pas de formation d’instructeur, ces derniers sont cooptés par leurs semblables. Par conséquent, aucune école ne survit artificiellement grâce à des formations financées par de l’argent public, mais uniquement grâce aux budgets que réservent à leur loisir naissant des particuliers motivés. Contrairement à ce qui se pratique beaucoup en Belgique, l’immense majorité des brevets délivrés sont belges et les machines sont immatriculées ici. Pour se soustraire aux exigences belges, plus contraignantes que chez nous, nombre de pilotes Belges francophones passent le brevet français et identifient leur machine dans le 59. Les frères Coddens, par patriotisme mais aussi parce qu’ils connaissent les limites du système, préfèrent mettre l’accent sur leur système national. Ces limites étant que, la qualification d’instructeur ULM n’étant pas internationale, un instructeur ULM français n’a pas le droit d’enseigner en dehors du territoire français, sauf à être mal ou pas assuré…

Bien entendu et comme partout, la clientèle a évolué au fil des ans. L’ULM, qui fut perçu au départ comme une forme d’aviation du pauvre (ce qui n’a guère été le cas si l’on compte comme il faut), est devenu, notamment en Belgique, la seule forme d’aviation réellement accessible, certes, mais moyennant des coûts qui n’en font pas un loisir de masse. Les aéroclubs avion sont concentrés sur des aéroports, ce qui génère d’énormes contraintes, notamment en matière d’attentes au sol et de longueur des tours de piste, quand l’ULM se contente, pour son plus grand bonheur, de pistes privées et de circuits courts. Par ailleurs, l’image de l’ULM est bien meilleure ici. Outre, nous l’avons vu, que les accidents sont moins nombreux (pour tout un tas de raisons sur lesquelles nous reviendrons), la qualité du parc des machines, dont nous avons pu prendre la mesure sur d’autres terrains belges, ainsi que la clientèle, offrent une image dynamique et plaisante. Ainsi, le salon du véhicule de loisirs de Bruxelles, qui attire des dizaines de milliers de visiteurs, intègre l’ULM. Nous avons pu, il y a de nombreuses années déjà, nous en rendre compte: les ULM sont véritablement intégrés au salon, avec des mises en scène au milieu des autos. Ainsi, le dernier modèle de chez Audi s’expose à côté d’un MCR, des paramoteurs sont posés à l’arrière des pick-up, bref, une formidable promotion, qui participe à l’essor de l’ULM dans le pays, mais dynamise également l’exposition statique. De quoi donner des idées à ceux qui devraient travailler à la promotion de l’ULM et se contentent, bien souvent, de se la montrer entre eux…

En bons gestionnaires, Christoph et Didier s’adaptent à leur clientèle, argentée donc exigeante : quand on réserve un créneau de location, la machine est dehors, les niveaux sont contrôlés et complétés, le moteur chaud. S’ils admettent volontiers que ce n’est pas très “esprit ULM”, ils constatent par ailleurs que ça fonctionne. Ce service est également accessible aux propriétaires. Du coup, le parking des voitures est représentatif de la clientèle et nous a décidé, à ULMiste, d’économiser en vue de commander une auto un peu plus présentable que notre vaillant mais vieillissant utilitaire… mais elle ne sera pas, hélas, du même bois que ce que nous voyons ici… “Au fait - précise Christoph - Ferrari Belgique a choisi notre terrain pour la présentation officielle de la FF”. Inimaginable en France, où l’ULM passe pour le truc en chiffon qui se vautre tous les matins…

Côté trois-axes, les formations complètes s’étendent sur une vingtaine d’heures. Au vu des machines exploitées, il y a encore sujet à méditation, lorsque l’on voit qu’en France, les formations peuvent d’étaler sur trente heures en Skyranger en présentant malgré cela des lacunes en navigation et radio…

Les cours théoriques sont délivrés, en groupe ou sur rendez-vous, dans une salle de cours des mieux équipées, attenante au clubhouse.

L’activité école est alimentée notamment par les baptêmes : 1300 par an, à 90% en pendulaire, comme partout lorsqu’il y a le choix.

 

Les machines et l’atelier

 

Côté pendulaire, on est ici fidèle, depuis des décennies, à Air Création, ULM Baisy-Thy étant le distributeur exclusif pour le Benelux. En école et location, des biplaces Skypper 912 Fun et NuviX, et deux monoplaces Racer Fun 14. Côté trois-axes, la formation de base est suivie sur FK9, le perfectionnement sur MCR, Baisy-Thy étant également distributeur de ces modèles. La distribution des appareils FK est partagée avec Confluence, dont le terrain est situé tout près et qui gère le FK14. Concernant la production Dyn’Aéro, nos hôtes du jour sont le seul intermédiaire de la clientèle, ce qui permet aux utilisateurs de ne pas subir les affres d’un service commercial mondialement reconnu pour être aussi léger que les avions produits par les Dijonnais. Et c’est bien la plus grande qualité de ces machines, qui sont les seules de leur segment à être exploitables en voyage biplace tout en préservant des basses vitesses de pendulaire basique. Moyennant, dit-on, une grande fragilité. Nous avons pu observer sous toutes les coutures un MCR UL qui totalise 1200 heures en école et location et qui n’a pas à rougir face à un exemplaire qui vient de sortir de l’atelier, qui les monte ici « à la chaîne », Didier étant le talentueux maître d’œuvre.

 

Le travail aérien en ULM n’étant pas permis en Belgique, l’activité se concentre donc sur l’école, les baptêmes, la location, le montage de kits et l’entretien. Ces seules activités permettent, nous l’avons vu, de faire vivre toute l’équipe et de se payer des jouets enviables… côté boutique, il n’y a rien. “C’est un autre métier”, admet Christoph. « Une structure telle que la nôtre ne peut pas se permettre de gérer du stock et du SAV, sous peine de nous retrouver très vite avec des équipements obsolètes que nous serions obligés de vendre au rabais, voire à perte ». En clair, pour gagner sa vie avec 10 € de marge sur un altimètre, il faut en vendre des centaines par an, c’est donc à réserver aux grossistes, surtout à l’heure de la vente en ligne.

 

Refaisons le monde

 

De gars qui savent faire tourner ainsi une boîte dans l’ULM ont certainement des avis qui méritent d’être écoutés, aussi causons un peu d’avenir. “C’est tellement fabuleux maintenant que l’on ne peut que craindre que ça ne dure pas” lance Christoph. Le domaine de vol des ULM, qui ne fait que s’étendre et nous amène à voler en espaces aériens contrôlés sous transpondeur alors qu’aux débuts nous tournions en rond autour du bois, suscite quelques craintes chez les deux frères, qui redoutent qu’un jour où l’autre il n’y ait une facture à payer… et que tout le monde y passe. Au pire, pensent-ils, il faudra alors dissocier les pendulaires et trois-axes basiques des autres machines, plus proches de l’avion, désormais, que de ce qui constituait l’ULM à la base et que l’on n’oublie pas ici, puisque le pendulaire est partie intégrante de l’activité. En pendulaire, justement, un risque de dérive existe, selon eux, avec les machines de plus en plus rapides qui exigent des talents de pilotage de plus en plus aiguisés, moyennant des domaines de vol à peine élargis. A ULMiste, nous les écoutons et buvons du petit lait !

Sur une hypothétique  harmonisation européenne, là encore le pire est craint. Les Coddens voient bien ce que cela entraîne dans les écoles d’hélicoptère passées sous les normes JAR, qui génèrent, pour les exploitants, plus d’heures à remplir des papelards qu’à voler…

Nous quittons Baisy-Thy avec de curieuses sensations… comme une envie de reprendre du service comme pro de l’ULM en prenant modèle sur ceux qui savent faire et le démontrent… comme une envie d’appeler tous nos copains professionnels pour leur dire de venir faire un tour ici pour voir comment il faut faire… comme une envie de leur taper dessus à force de les entendre se plaindre alors que, pour certains, ils passent plus de temps à roupiller chez eux qu’à bosser… comme une envie d’aller voler, parce-que quand on sort de chez Coddens, c’est ça, surtout, qui donne la pêche : ça vole, on aime ça, on ne rate pas une occasion de se jeter en l’air. Tout à l’heure, quand on a demandé des photos aériennes des installations, Chritoph a illico fait une prévol rapide et nous a fait faire un tour, appareil photo en bandoulière. Bien d’autres nous auraient sorti des clichés jaunis pris le siècle dernier…

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