Le point sur la classe 6
Article paru dans ULMiste n°9, avril 2012
Classe 6. C’est que le début !
Le 29 février dernier, l’arrêté de 1998 modifié pour accueillir la nouvelle classe 6 a été publié au journal officiel. Bien sûr, l’arrivée d’un nouveau petit frère dans le giron de l’ULM est une heureuse nouvelle en soi. Posons quelques rappels et essayons d’imaginer quel pourrait en être l’avenir.
Un peu d’histoire
Les hélicoptères ultralégers existent depuis fort longtemps, il ne s’agit donc pas, techniquement, d’une nouveauté. Essentiellement présents dans les pays anglo-saxons ou d’Amérique du Sud, ils y volent sous régime « ULM » en monoplace ou « Experimental » en biplace, l’équivalent, pour faire un gros raccourci, de notre régime de construction amateur. Ainsi, on a pu voir voler des machines telles que le Mini 500, le Mosquito, l’Exec, le Safari, etc. Et bien sûr le CH-7 Kompress, qui est au départ une machine argentine, développée par l’hélicoptériste Argentin Augusto Cicaré (CH pour Cicaré Helicopteros), puis reprise sous licence par Elisport en Italie. La seule chose qui leur manquait en France était un cadre réglementaire non certifié.
C’est l’Italie qui a ouvert la voie, en acceptant de longue date les hélicos dans le giron des ULM, dès l’instant qu’ils ne dépassent pas 450 kg au décollage, sans notion de masse à vide contrairement à chez nous, détail qui a son importance. Ce sont ainsi, depuis près de 20 ans, quelques centaines d’hélicos UL qui sillonnent les cieux italiens. Parmi lesquels, parce que les Italiens osent tout, des Robinson22 vaguement allégés et équipés de flotteurs pour bénéficier de 495 kg au décollage, fort à propos nommés « YoYo elicottero » ! Plus sérieusement, seul le Kompress offre, à ce jour et de justesse, une masse à vide compatible avec nos exigences. Et c’est ainsi que, depuis la fin des années 90, des Français lorgnent dessus dans l’espoir que, un jour, ces fantastiques machines puissent voler sous nos cieux. Car au-delà de la question de savoir si c’est « esprit ULM » ou non, l’idée de posséder un tel jouet rend fou. Aboutissement ultime de tout pilote, l’hélicoptère se rêve en machine volante posée dans le jardin, qui n’a aucune limite, sinon, bien sûr, celle du porte-monnaie. Je ne sais combien de fois je me suis imaginé, à moitié en rêve (mais à moitié seulement, je le confesse), braquant une banque ou une vieille héritière pour m’offrir un tel jouet, depuis ce printemps 2000 où je pris place à bord d’un Kompress à Bassano Del Grappa.
Il s’en trouvèrent très tôt qui ont souhaité l’arrivée d’une classe hélicoptère ULM en France. Par exemple, Philippe Tisserant, alors rédacteur en chef de Vol Moteur, appelait de ses vœux un hélico UL français dès le début des années 1990 dans les colonnes de son magazine. Mais hélas, les portes étaient closes. Que ce soit au niveau de la fédération ULM, de la fédé hélico ou des autorités, il était hors de question qu’il y ait une classe d’ULM hélicoptères. Niet catégorique : « un hélicoptère ne peut pas être ULM ! ». C’est alors que, auscultant les règlements européens et les dispositions françaises en matière de circulation transfrontalières des ULM, Matthieu de Quillacq, pilote d’ULM de longue date et libériste professionnel (importateur de diverses marques de parapente et moniteur), décida, en 2000, de sauter le pas. Il alla passer son brevet hélico UL italien, acheta une machine immatriculée en Italie, signa des contrats exclusifs de distribution et vola en France, selon lui en toute légalité. Cette opération de démonstration par l’absurde porta ses fruits, puisque l’histoire retiendra que c’est ce seul moyen qui a permis d’en être où nous sommes aujourd’hui : la classe 6 n’a pas été créée pour permettre aux hélicos UL de voler en France, mais elle a été mise en place pour offrir un cadre réglementaire adapté à la petite cinquantaine de propriétaires qui ont marché dans les traces de Matthieu. Ce ne fut pas facile, puisqu’il fallut encore attendre près de 5 ans que la FFPlUM prenne le dossier en mains, après qu’elle ait voué ce même Matthieu aux gémonies et affirmé qu’il n’y aurait jamais d’hélico UL en France. C’est Gérard Thevenot, alors patron de La Mouette, utilisateur de Kompress et ancien patron de Matthieu, qui ouvrit la porte des négociations avec la FFPlUM.
Entretemps, la fédé hélico (FFG), alors présidée par Alain Bouchez (le pilote hélico du Tour ULM), avait tenté de monter un kit de Kompress. L’idée était de l’immatriculer en CNSK en attendant qu’une éventuelle classe ULM voie le jour. Une fois la machine montée et pesée, il s’avéra qu’elle ne correspondait pas à la masse à vide annoncée. S’en suivit un procès qui amena Elisport à devoir rembourser la marchandise. Dans sa version originale telle que proposée par Elisport en sortie d’usine, le Kompress ne pouvait pas être un ULM.
On connaît la suite, la FFPlUM travailla la création de la classe 6 en mettant en œuvre des moyens conséquents, une phase expérimentale d’octobre 2010 à avril 2011 à Berre-la-Fare, au cours de laquelle une dizaine de candidats ont effectué les heures nécessaires à l’obtention théorique d’un brevet ULM classe 6, qu’il leur faut donc désormais valider. Les deux machines utilisées au départ de cette phase de tests étaient le Kompress à pistons et le Kiss Fama à turbine. Le premier, allégé, fut pesé à 3 kg de la masse fatidique, tandis que le second fut pesé, non officiellement, à près de 60 kg au-dessus, avant de se débiner lorsque la DGAC vint le poser sur ses propres balances.
La loi
Contrairement à ce que ULMiste a affirmé dans le numéro 7, rien ne change pour les autres classes d’ULM. Et c’est très bien ainsi, puisque c’était la seule exigence absolue de la FFPlUM et des gens de bon sens. En revanche, la classe 6 n’a pas tout à fait les mêmes droits que les autres. Outre qu’elle doit se soumettre aux restrictions imposées à tous les hélicoptères, notamment en ce qui concerne les horaires de vols autorisés sur certains aérodromes, elle n’a pas droit, par exemple, à l’extension de masse de 5% pour le parachute, tout en conservant les 10% accordés aux flotteurs. Pourtant, il existe sur le marché au moins un hélicoptère ultraléger équipé d’un parachute, le Air Scooter américain à rotors contra-rotatifs. Selon la DGAC, ceci est dû au fait que la fameuse Annexe II, qui tolère pour le moment nos ULM dans le ciel européen, ne le prévoit pas.
Les utilisateurs pourront continuer de voler sous régime italien. Outre que la loi prévoit que l’on peut voler en France avec un ULM d’un autre pays à condition de posséder le brevet du pays concerné, un jugement rendu le 9 février 2012 par le tribunal correctionnel de Digne le confirme. Un pilote était poursuivi par la DGAC depuis 2005. Bien sûr, ce jugement n’a pas valeur de jurisprudence, mais le fait que la DGAC n’ait pas fait appel montre qu’elle plie. Ce point de règlementation a son importance, car il faut ici rappeler qu’en Italie la notion de masse à vide n’existe pas…
Les machines
Pour le moment, il n’y a que le CH-7 Charlie 2, dit « Kompress », qui est réellement disponible en biplace, donc pour la formation. De plus, c’est le seul qui ait fait ses preuves depuis plus de 20 ans. D’autres pointent leur nez, notamment le CH77 côte-à-côte du même constructeur. Après avoir déclaré que ce dernier ne visait pas la classe 6 française, il semble que des travaux d’allègement soient en cours, ce qui d’ailleurs change radicalement sa ligne. Dynali annonce un H2 ULM. BRH Aircraft prépare également une version classe 6 de son Fandango. On demande à voir, car ce dernier est annoncé à 410 kg à vide dans sa version d’origine, tandis que le Dynali accuse 370 kg dans sa version Rotax. Autant dire qu’il leur faut repartir d’une page blanche. Gagner 10% sur une machine existante est déjà une gageure, aussi, rogner près du tiers de la masse à vide est impossible sans revoir le concept tout entier. A moins d’admettre que la version d’origine était beaucoup trop lourde. Le concurrent le plus sérieux semble venir de la « maison mère », Cicaré en Argentine. Si Elisport n’a plus aucun lien avec cette entité, les argentins, eux, entendent bien croquer leur part du gâteau. Ainsi arrive bientôt chez le distributeur européen en Espagne le CH7-B !
Il existe également pléthore de monoplaces. Le seul distribué en France est le Mosquito, chez Régis Deshamps, vieux de la vieille de l’ULM, qui continuera de le vendre sans dossier de référence.
Le premier hélicoptère à avoir reçu une fiche d’identification (provisoire puisqu’il s’agit d’une construction amateur), est celui de Mr Ricard, qui n’a pas encore volé.
L’avenir
Difficile de prévoir quel sera l’avenir de cette classe 6. Si certains, parmi ses initiateurs, redoutent que les ennuis ne commencent maintenant, ULMiste attend de voir et évoquera cet hélico à hauteur de qu’il représentera. Se pose la question de savoir si cette nouvelle classe fera de l’ombre à l’autogire, comme on peut le craindre. Les premiers utilisateurs ne semblent pas ouvrir cette voie, puisque parmi la petite cinquantaine, très peu venaient de la voilure tournante. Ils venaient soit de nulle part, soit d’autres classes d’ULM. En revanche, cinq d’entre eux sont passés à l’hélicoptère « lourd ».
Bien sûr se pose la question du coût et de l’argent immobilisé. Il nous apparaît difficile de voler en hélicoptère UL biplace à moins de 300 € de l’heure. C’est-à-dire, finalement, le coût réel de l’heure de vol de beaucoup d’ULMistes, quand on sait compter ! Un trois-axes acheté neuf 60 000 €, qui perd au minimum 10% de sa valeur la première année, coûte 300 €/h s’il vole moins de 30 h/an. Est-ce si rare ?
…
Dominique Cruciani, « Dom », est professionnel du vol libre et de l’ULM depuis 1979 (pilote depuis 1976). Il vole des centaines d’heures par an en pendulaire, delta et parapente, en vols biplaces, à Annecy et à l’Alpe d’Huez. Il totalise plusieurs dizaines de milliers d’heures de vol en ultraléger et il est également, l’hiver, chef de base du S.A.F. de l’Alpe d’Huez, le service de sauvetage en montagne hélicoptère. Il est donc également pilote d’hélicoptères « lourds ». Il fait partie des quelques dizaines d’heureux propriétaires de Kompress qui volent actuellement sous régime italien. Il nous a paru intéressant d’avoir l’avis d’un ULMiste et pilote hélico propriétaire d’un Kompress.
ULMiste : depuis combien de temps voles-tu en Kompress ?
Dom : depuis un an et demi, je totalise aujourd’hui 260 heures sur mon Kompress, que j’ai acheté d’occasion à l’usine.
ULMiste : ton sentiment ?
Dom : c’est, bien sûr, une machine merveilleuse ! Mais assez délicate à piloter et prendre en mains. En tous cas, ce n’est pas un ULM.
ULMiste : c’est-à-dire ?
Dom : ce qu’on comprend dans « ULM », c’est la machine simple à utiliser, régler, piloter, entretenir, voire modifier. Autant de points qu’un hélicoptère ne rejoint pas. Ce type de machine est donc avant tout un hélicoptère, mais d’un coût inférieur à ceux que l’on trouve en certifié.
ULMiste : as-tu évalué le coût à l’heure de vol ?
Dom : pas précisément, mais, en gros, il faut compter 150 000 € à l’achat et environ 15 000 € (10% de sa valeur) pour l’utiliser sur disons 200 heures. Les visites à effectuer toutes les 100 heures coûtent entre 3 000 et 5 000 €, puis il y a, à 600 heures, une GV qui est facturée 20 000 € ! Il est bien sûr difficile d’imaginer que l’on puisse faire l’entretien soi-même. On arrive donc à environ 150 € de l’heure hors carburant, sans rien casser bien sûr. Avec les 18 litres par heure de consommation plus quelques faux frais, on peut donc tabler sur 200 € de l’heure si on vole beaucoup. Par exemple, en Italie, l’heure d’école est facturée 300 €.
ULMiste : le passage en ULM est-il une bonne chose ?
Dom : bien sûr, mais il est dommage que les autorités ne profitent pas de l’expérience acquise par les utilisateurs eux-mêmes, à commencer par les italiens, qui ont 20 années de recul. Les premiers instructeurs qui ont été nommés en France n’ont pour la plupart aucune expérience du Kompress, qui est pour le moment la seule machine biplace. Bien sûr, ils sont instructeurs hélicoptères et auront de tas de choses à apporter, mais ils manquent peut-être de matière en ce qui concerne l’ultraléger. Je suis moi-même instructeur ULM et vol libre et pilote hélico, je pourrais avoir des choses à apporter de mon côté. Pourtant, avec mes 260 heures (essentiellement en montagne), je me considère encore en apprentissage. Par exemple je vais bientôt en Italie pour encore travailler mes autorotations, moteur totalement coupé, avec un instructeur, ainsi que toutes les phases de pannes de toutes sortes. Je ne sais donc pas ce que vont apporter des instructeurs qui ne connaissent pas tous les rouages de ce type de machine ni même de l’ultraléger en général. Bien sûr ils auront des choses à nous apporter concernant l’hélicoptère en général et je prendrai tout ce qu’ils pourront m’apporter.
Plus généralement, il faut espérer que la concurrence va se réveiller et proposer des machines abouties et dans les clous, ce qui prendra du temps, les italiens ont 20 années d’avance et proposent désormais une machine certifiée par le temps.
ULMiste : as-tu pesé ta machine ?
Dom : elle a été pesée à l’usine : 285 kg dans sa configuration actuelle.
ULMiste : cet appareil est-il un vrai biplace ?
Dom : oui, pour des occupants pas trop gros ni trop lourds. Le CH-77 qui arrive, après 6 années de mise au point (ce qui montre le sérieux de l’entreprise), devrait résoudre ce problème, avec sa configuration côte-à-côte. Mais, encore une fois, il faudra une vraie concurrence pour éventuellement faire baisser un peu les coûts.
ULMiste : vas-tu te conformer au règles françaises ou rester sous régime italien ?
Dom : oui, bien sûr, je veux rejoindre la grande famille de l’ULM à laquelle je me sens déjà appartenir. En espérant que les échanges d’expérience des uns et des autres puissent faire avancer la classe 6 dans le bon sens !
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