La turbulence thermique
Article paru dans ULMiste n°9, avril 2012
La turbulence thermique
Beaucoup de gens pensent que c’est le soleil qui réchauffe l’atmosphère. Eh bien cette affirmation est fausse et il est grand temps de tordre le cou à cette idée reçue. L’air qui est totalement invisible n’intercepte pas ou très peu le rayonnement solaire. Alors, quand celui-ci éclaire le sol, il transporte encore l’essentiel de son énergie. C’est donc au niveau du sol que la plus grande partie du rayonnement solaire est absorbé, puis dissipé ensuite sous forme de chaleur dans l’atmosphère. Les sols clairs qui réfléchissent une bonne partie du rayonnement se réchaufferont moins que les sols sombres qui en absorberont l’essentiel. Cet écart dans le réchauffement entraîne des mouvements ascendants et descendants à l’origine de la turbulence thermique. Quand on traverse tout ce bouillonnement en ULM, on se retrouve secoué comme un prunier. Les novices parlent de trous d’air. Je vous invite maintenant à sortir les sacs à vomis parce qu’on va regarder tout cela de plus près.
La notion d’air chaud ou d’air froid est toute relative. Elle se considère surtout par rapport à un environnement donné. Par exemple, une montgolfière constitue un petit volume d’air chaud entouré d’une grande masse d’air froid. Les calories qui se propagent dans l’enveloppe entraînent une dilatation du gaz. L’air chaud occupant un volume plus grand que l’air froid environnant aura donc tendance à monter. C’est le principe d’Archimède (tous corps plongé dans l’eau en ressort mouillé). L’ascension sera d’autant plus rapide que la différence de température sera grande. On peut appliquer le même raisonnement pour un volume d’air froid donc plus dense, qui descend dans un environnement plus chaud. A partir de ce constat, on peut affirmer que : tout ce qui tend à réchauffer une masse d’air par le bas ou le refroidir par le haut, favorisera les mouvements verticaux. On parlera alors d’instabilité. Au contraire, tout ce qui tend à refroidir une masse d’air par la base ou la réchauffer par le haut, limitera les mouvements verticaux. On parlera maintenant de stabilité.
Fig 1 : stabilité et instabilité d’une masse d’air.
Fort de ce constat, on va essayer de suivre l’évolution de la turbulence thermique sur une journée classique de printemps, peu ventée, sèche et ensoleillée, sur une zone de plaine.
Je commence mon histoire vers 21h locale. En l’absence de couverture nuageuse une bonne partie de l’énergie terrestre peut s’échapper vers l’espace intergalactique. La terre rayonne dans le canal infrarouge et se refroidit à la base. Il faut noter que là encore, c’est le sol qui par conduction, refroidit les basses couches de l’atmosphère. Au fil de la nuit, le thermomètre dégringole et c’est en fin de nuit, en gros vers le lever du jour, que l’on observe les températures les plus basses. Vers 500 m d’altitude, la tranche d’air est moins affectée par le refroidissement terrestre. On y relève nécessairement des températures plus élevées qu’au niveau du sol. En résumé, dans toute l’épaisseur de la couche considérée, la température devient plus froide à la base qu’au sommet. Dans ce cas-là , la stabilité est totale. Habituellement, dans l’atmosphère, la température baisse avec l’altitude, en moyenne 0,6 degrés par 100 m. Là , exceptionnellement, elle augmente. On appelle ça une inversion de température. Cette inversion se comporte comme une frontière horizontale qui limite les échanges entre le dessus et le dessous. Attention, le régime de vent peut être totalement différent de part et d’autre de l’inversion.
Fig 2 : en début de nuit, avec un ciel étoilé, la terre se refroidit sous l’effet du rayonnement infrarouge.
Fig 3 : on relève la température la plus basse en fin de nuit.
Si, en plus au niveau du sol, la température s’abaisse jusqu’à la température du point de rosée, on observe de la condensation. Sans vent, cette condensation s’opère sous la forme de rosée (de Provence). Avec un peu de vent, il y a du mélange et la condensation se produit sous la forme d’aérosols, brumes ou brouillards.
Fig 4 : formation d’une inversion en fin de nuit.
L’arrivé du soleil va déstabiliser tout cet équilibre. Je vous rappelle que le soleil commence par chauffer le sol, qui à son tour, par conduction réchauffe les basses couches. Il existe donc un décalage, le délai nécessaire pour que le transfert calorique s’opère. La température maximale de la journée se situe en moyenne une heure après l’intensité maximum du rayonnement solaire. Soit 14h, heure d’hiver et 15 h, heure d’été.
Fig 5 : exemple de l’évolution du rayonnement sur une journée complète, avec un ciel peu nuageux.
Fig 6 : Exemple de l’évolution de la température sur une journée complète, avec un ciel peu nuageux.
A partir du moment où le sol s’échauffe, on observe le début d’un bouillonnement. C’est comme une casserole d’eau sur le feu, plus on va chauffer fort, plus ça va remuer. Même qu’à force, ça peut déborder. On appelle cela la convection. Au contact du sol éclairé, une bulle d’air va s’échauffer. Dès que sa température sera suffisante, elle se trouvera plus légère que l’air environnant et c’est là qu’elle commencera son ascension. Elle sera remplacée par une bulle d’air plus froid. Et ainsi de suite. Le mouvement convectif va prendre de l’ampleur au fur et à mesure de l’augmentation de la température sol. On observe alors la création de mouvements ascendants et descendants sur toute l’épaisseur de la couche brassée. L’air qui descend conserve une part de sa vitesse horizontale initiale. C’est comme si une partie du vent d’altitude était ramenée au niveau du sol. Tout cela entraîne l’augmentation de la vitesse du vent moyen dans les basses couches. Par contre, l’air qui monte est immobile au départ. Il n’a pas de vitesse horizontale. Arrivé plus haut, il va donc se faire emporter par le vent d’altitude et par son inertie, il va le ralentir. Le brassage qui s’amplifie va uniformiser les paramètres sur toute l’épaisseur de la couche brassée. Le vent est ainsi accéléré au niveau du sol, alors qu’il est ralenti au sommet de la couche brassée. On comprend maintenant pourquoi le vent au niveau du sol s’accélère au fil de la journée et tombe ensuite avec l’arrivée de la nuit. En altitude, dès que la température de la particule d’air ascendante atteint la température du point de rosée, on observe de la condensation et la formation d’un cumulus.
Fig 7 : dans cet exemple, à 11h locale, sous l’effet du rayonnement solaire, la température sol atteint 16°C.
Fig 8 : Le brassage vertical entraîne une accélération du vent dans les basses couches. Apparition des premiers cumulus.
L’ampleur des mouvements convectifs atteint son apogée l’après-midi avec le maximum des températures sol.
Fig 10 : pour un vol plus tranquille, volez au-dessus des cumulus.
Fig 9 : principe de la convection thermique.
En général, les ascendances se forment au-dessus des zones sombres, sèches et bien exposées au soleil (parkings de super marché, champs de blé, carrières). Les descendances se trouvent au-dessus des zones claires et humides (forêts, marécages, cours d’eau). Si vous voulez éviter cette turbulence convective, je vous conseille de voler au-dessus des cumulus.
Avec le relief, les choses se compliquent. En matinée, les pentes exposées à l’est reçoivent du fait de leur inclinaison favorable l’essentiel de l’énergie solaire. Elles s’échauffent rapidement, contrairement aux pentes ouest qui restent encore dans l’ombre. L’air chaud qui s’accumule grimpe ensuite le long de la pente : c’est la brise de pente montante qui engendre des mouvements ascendants d’autant plus puissants que le soleil chauffe et que la pente est bien exposée. En mi-journée les brises de pentes montantes s’établissent sur les faces sud. L’après-midi, elles se déclenchent sur les faces ouest et commencent à s’éteindre sur les faces est qui passent dans l’ombre. Le régime des brises de pentes fonctionne principalement au printemps et en été, sans un vent météo établi qui perturberait tout le système. Les faces nord, peu éclairées, génèrent difficilement des brises de pente ou alors très faibles et en milieu de journée.
Tout pilote d’ULM qui vole en montagne doit connaitre le régime des brises. Pour bien grimper, il faut aller gratter la pente ensoleillée ; les ascendances apparaissent sur les faces est, dès que le soleil commence à chauffer le relief. Ce n’est pas le moteur qui peut vous monter à 2000 ou 3000 m, mais les ascendances liées au relief. Là encore, les sols secs et rocailleux donneront mieux que les forêts, plus humides. Les hélicoptères de la sécurité civile utilisent régulièrement ces ascenseurs naturels pour intervenir plus rapidement.
Fig 11 : ascendance de pente montante sur les versants bien exposés au soleil.
Le système des brises de pentes montantes engendre une circulation. L’air qui monte sur les côtés est remplacé par de l’air frais qui descend au centre de la vallée. C’est là que l’on trouvera des mouvements descendants. Il est donc vivement conseillé de voler sur le côté de la vallée, afin de profiter d’une part de ces mouvements ascendants. D’autre part, on gardera assez de place pour envisager un demi-tour.
Fig 12 : En journée, il est déconseillé de voler en milieu de vallée.
Lorsque l’on s’engage dans une vallée, on doit toujours se garder une porte de sortie, la possibilité de faire demi-tour (d’où la nécessité de ne jamais voler au milieu de la vallée) et en connaissant les dégagements de celle-ci. Ce demi-tour sera effectué en conservant bien sa vitesse, voire sur trajectoire légèrement descendante (si le relief le permet). On évite de descendre au fond de la vallée, Plus l’ULM descend, plus la vallée se resserre. Plus la vallée est étroite, moins les évolutions seront possibles.
Par principe, on vole à droite dans la vallée en annonçant à la radio son altitude.
Quand on vole le long d’un versant, à proximité d’une paroi notamment, on garde par principe un « vario » positif, même légèrement. C’est un facteur de sécurité. Une réserve pour se dégager du relief ou d’un obstacle.
Par contre, lors d'un demi-tour par exemple (je sais je me répète, mais c’est pour votre sécurité), on adoptera un plan légèrement descendant qui diminuera le risque de décrochage ou de perte de contrôle.
Fig 13 : en principe on vole à droite dans une vallée et on se garde la possibilité d’un demi-tour.
En soirée, le phénomène des brises de pentes peut s’inverser. Les brises de pente descendantes peuvent alimenter de petites ascendances en milieu de vallée.
Fig 14 : brises en pentes descendantes en soirée. Vol en milieu de vallée conseillé.
Les brises de pentes montantes déclenchent un appel d’air au fond de la vallée. On assiste alors à la naissance des brises de vallées montantes en journée. Elles atteignent leur apogée dans l’après-midi. Ces phénomènes de brises fonctionnent principalement par temps calme et ensoleillé, sans vent météo établi, au printemps et surtout en été. Pour les vallées les plus larges, les vitesses moyennes se situent autour de 20 km/h, jusqu’à 30 km/h dans le meilleurs des cas. Exemple, l’aérodrome d’Albertville avec un QFU 231 préférentiel à cause des brises de vallées montantes en journée.
Fig 15 : Brises de pentes et de vallées montantes, par de belles après-midi, chaudes en ensoleillées.
Le système de brise s’inverse en soirée et début de nuit. Les brises de pentes descendantes alimentent ensuite les brises de vallées descendantes. Elles soufflent au maximum en fin de nuit.
Fig 16 : Brises de pente et de vallées descendantes, en fin de nuit principalement.
Pour la prochaine fois, je complique les choses en rajoutant de l’eau, de la glace et même du vent météo…