top of page

18 avril 2008

 

Il y a quelques semaines, notre Gédéon a eu de la visite. C’est rare. Aussi faut-il qu’il te raconte. C’est son neveu, le jeune Gutrille Tèteudcont, le seul spécimen de la famille avec lequel il ait quelques lointaines accointances, à cause qu’il s’intéresse, le gamin, aux avions. Il est même ingénieur là-dedans, il a fait les écoles pour. Gédéon n’aime pas cette race-là, il trouve que c’en est des, ils savent, mais ne font pas. Ils savent pourquoi, mais pas comment. Mais alors bon, il est bien gentil, le neveu, et il vient voir son oncle pour lui faire ses politesses, et aussi parce qu’il le fait marrer, avec son ULM à l’air libre plein de câbles et de tubes. Enfin, ça le rend triste, même, pour tout dire.

- Gutrille : « Mon oncle, votre aérodyne m’emplit de désarroi, je n’ose croire que vous pussiez insulter la science au point de vous élever dans cette chose. » Wé, il cause gras, le Tèteudcont.

- Gédéon : « Quoi encore, moussaillon, tu vas pas me ressortir tes histoires de petit baigneur, non ? »

Et pourtant si, le neveu, il lui fait le coup du Petit Baigneur, à chaque fois. Souvenons-nous, mars 68. Cependant que quelques étudiants chevelus commençaient de revendiquer le droit d’organiser des partouses dans le dortoir des filles, le bon peuple s’en allait au cinématographe rire à chaudes larmes aux affres du sieur Fourchaume, campé par un de Funès plus ridicule que jamais, dans son canoë révolutionnaire. Cet objet avait la particularité d’être amphibie, dans la mesure où un passage de jambes non rétractable était aménagé, afin que le pagayeur puisse entrer et sortir de l’eau debout. Gédéon s’est bien gondolé, qui trouvait l’idée fort ingénieuse. Gutrille, pas. Il sait bien, lui qui a lu Bernoulli, qu’une fois dans l’eau cette chose nécessitait une fantastique débauche d’énergie pour se mouvoir, et péniblement encore. Et alors donc, ce qu’il en dit, le Gutrille, c’est que l’avion de son oncle, c’est tout pareil. Gédéon lui cause de Lilienthal : « certes, mon oncle, loin de moi l’idée que le sieur Lilienthal eut pu souffrir de quelque déficience mentale, mais souvenez-vous que ce dernier conçut son planeur à une époque où la science de l’aérodynamique balbutiait. Or, nous avons, depuis, progressé un tantinet, si vous voyez. » Or, ce qu’il dit, le jeune, c’est que par rapport à son « cahier des charges », et au vu de la conception de son aéroplane, il lui faut, à l’oncle Gédéon, trois fois plus de puissance pour voler quatre fois moins vite qu’il le pourrait si son aérodynamique était soignée.

- Gédéon : « Ah oui, et alors, quel est-il, ce cahier des charges, selon toi qui sais ? »

- Gutrille : « Mais mon oncle, il est fort simple : que cet engin vous élevasse avec efficience, qu’il glissât dans l’air de telle sorte qu’il lui faillasse un minimum de ressources énergétiques, et que sa traînée fût réduite au profit de la vélocité, etc. Voyez-vous mon oncle, quand je songe que l’on peut encore, au XXIe siècle, animer de tels engins, je me dis que, tout de même, il faut savoir raison garder et… »

- Gédéon : « Oui, c’est ça, et toi tu vas ta gueule fermer ! Casse-toi, pov’con ! » Gédéon aime à citer les grands hommes, lorsqu’il est en colère.

Tu veux savoir quoi ? Son « cahier des charges », à lui, c’est qu’il doit pouvoir faire le tour de son bois tranquille, surveiller ses pommiers à travers ses orteils, sentir leur maturation à travers ses narines, et se poser dans sa cour, sans prise de tête de pilotage, vu que la vitesse de rotation, de croisière, et d’approche est une et indivisible ! Il les a bien vus, les avions dont cause son neveu : c’est tout petit, tellement fin qu’il faut un chausse-pied pour mettre son cul dedans, et ça vole peut-être à 200 km/h avec un bourrin de paramoteur, mais alors bon, outre qu’il leur faut un aéroport pour décoller, où tu veux qu’il aille surveiller ses pommes à 200 km/h, le Gédéon ? Et alors, oui, il consomme et pollue quatre fois plus, mais c’est dans son jardin ! Et que d’ailleurs, il a planté des topinambours, pour l’année prochaine…


Ingénieur !

 

bottom of page