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23 janvier 2010

 

Le Gédéon est comme tous les ceux qui n’ont pas d’amis, à l’heure des cadeaux, il se gère lui-même. Il trouve que c’est vachement mieux comme ça, d’ailleurs, que au moins il est pas obligé de dire « oh vraiment c’est beau, ça me fait plaisir, fallait pas », que en fait ça veut juste dire, en vrai de vraiment : « fallait pas ! ». 

Et alors bon donc, pour son Noël à lui, Biyanvrac a succombé, avec certes près de 20 ans de retard, aux charmes du GPS. De la rumeur des, plutôt, que lui, persuadé d’avoir oublié d’être con qu’il est, il se croit bien au-dessus des contingences de la mode ou du marketing, fut-il viral. Et alors bon donc, que c’est pas tant les charmes du truc, donc, qui l’intéressent, mais plutôt la rumeur qui affirme que c’est très absolument indispensable et que sans ça on ne peut plus voler sans se perdre.

 

Et alors bon, avant de s’offrir de quoi se branler le cerveau, Biyanvrac a ouï, sur Internet, les éloges du jouet : « que t’as plus rien à gérer, le machin te dit où c’est que c’est que c’est là où tu veux aller, par où faut passer, à quelle vitesse tu y vas, combien de temps il te reste et tout le truc. »

 

Bon.

 

Premier exercice, mise en route : « Power ». Déjà, ça cause pas français, cet outil, que ce verbe du premier groupe, le Gédéon connaît pas. Mais powons donc. Que en anglais, vu que ça jacte anglais ce truc, c’est yankee, « je powe », ça veut dire je mets en route. Au bout d’un petit moment, le machin raconte qu’il a trouvé 6 satellites. Là, Biyanvrac est scié ! Il y a, en ce moment, 6 Spoutniks qui le surveillent, là, au-dessus de ses pommiers à lui ! Et qui savent où il est, le Gédéon. Lui aussi, du coup, il sait désormais où il est, que avec ça il est bien content !

 

La suite. Bricolage d’un support pour son splendide tableau de bord, il powe son ULM et s’en va faire le tour de son bois. Zieutage intensif de l’outil, pour voir ce que ça fait. Ça lui raconte qu’il vole un coup à 80 km/h, un autre coup à 90, puis encore 80, 100… et aussi, ça lui dit qu’il reste 0 jusqu’à sa destination, que son compas est faux, que y’a toujours 6 satellites en contact…

 

Son tour du bois terminé, Biyanvrac est perplexe. Il vole pour surveiller ses pommiers. On lui dit qu’il faut un GPS. Il s’équipe du, vole avec. Bilan : il a passé son vol à surveiller cette cochonnerie qui lui a raconté des trucs parfaitement inutiles et du coup il n’a pas vu ses pommiers.

 

Déception.

 

Il fouille dans la notice, que puisqu’on lui dit que c’est bien, le fascicule doit bien expliquer, quelque-part, en quoi c’est si bien, cette denrée.

« Page 232 : Goto ». Ah ! Faut aussi lui dire, au truc, où tu veux aller. Bon. Jusque-là, le Gédéon, il décolle, il va où il doit aller, et il est bien content. Que maintenant, avant d’y aller, faudra dire au truc où c’est-y donc que tu veux. Allons-y, re-test.

 

Alors, « Goto »… bah, ici… puisque Biyanvrac ne fait que le tour de son bois et revient se poser où il a décollé. Bien qu’il subodore quelque absurdité dans la démarche, le Gédéon s’exécute, faut amortir l’engin !

 

Redécollage, après avoir bien dit au truc que c’est Goto ici : distance : 0 km, temps de vol : 0 minutes.

 

Sitôt décollé, le truc se met à lui dire qu’il doit faire demi-tour, la distance et le temps vers le point de destination, qui s’étaient, jusque-là et depuis la nuit des temps, toujours réduits au fur et à mesure de l’avancement, ben là, avec cette saloperie, ils s’allongent, le temps et la distance vers le point de là où il va… y’a que une fois qu’il prend un axe retour que les informations semblent être cohérentes.

 

Dépose du GPS en grommelant, branchage du truc sur l’ordinateur comme préconisé dans la notice, et là, prouesse, le machin offre aux yeux d’un Gédéon consterné la trace du vol qu’il vient de faire… qu’est-ce qu’il en a à foutre, le Biyanvrac, que le truc lui montre ce qu’il vient de faire, puisqu’il vient de le faire ?

 

Perplexité, doutage, pas comprendre…

 

Que crénom de vindiou, doit bien y avoir tout de même un intérêt, vu que tout le monde dit qu’il n’est plus permis de voler sans ce truc. Lecture, encore, de la notice, visite de quelques forums pour voir ce qu’en disent les ceux qui disent, réflexion.

 

Bon, alors visiblement, c’est pour naviguer que c’est vachement très bien. Que ça, le Gédéon, il ne fait pas. Ou alors, très peu. Trois fois l’an, il va faire le tour du canton, histoire de surveiller les pommiers des voisins. Bon alors, voyons voir. Mais avant de voyons voir, faut tout de même raconter comment qu’il faisait avant l’ère moderne, le Biyanvrac. Il posait une carte sur son genou, s’en allait faire sa tournée d’inspection, notait sur la carte les points sur lesquels les pommiers de ses voisins choperont la maladie, et s’en revenait chez lui préparer ses forfaits. Que maintenant, avec son investissement, tout ça sera dans un fichier qu’il n’aura plus qu’à rentrer dans son Bill Gates et que le même GPS servira à dire où c’est qu’il faut revenir nuitamment pour forfaiter. Là oui, ça commence à devenir intéressant, le moderne.

 

Bon, alors, faut dire au truc où qu’on va, même si on sait parfaitement où qu’on va. Que là, ça se complique. Que le Biyanvrac, il va pas tout droit, tu penses bien. Il va d’un point à l’autre, puis de l’autre à un autre un, etc. Mais bon, faut optimiser, place au progrès. Que du coup, le Gédéon fait comme il faut. Il déplie donc sa carte sur sa table de cuisine, calcule les coordonnées géographiques de chaque point, que l’usurpateur GPS nomme « coordonnées GPS », alors que ça existait bien avant lui, mais passons… en tout, y’en a 25, des points, sur son parcours habituel de 17 kilomètres… il y passe une partie de la nuit, mais s’accroche, que grâce à ça ça va rouler tout seul, tu vas voir c’que tu vas voir ! Que une fois que t’as réussi à calculer et rentrer tous tes points que faut les appeler « WP », en t’y reprenant à trois fois à cause que faut pas se tromper et que les touches sont au format doigts de fillette, faut dire dans quel ordre que tu veux y aller, sur tes « WP ».

 

Une courte (donc), nuit plus tard, voici le Gédéon tout content, prêt à rencontrer, enfin, le troisième millénaire !

 

Mise en route du GPS, « Goto route 1 », décollage, premier « WP » à 0,9 kilomètres, par là, un peu plus à gauche, merci, vitesse 85 km/h, température ça va bien, nous vous rappelons que ce vol est non fumeur, etc. Bon. Le Gédéon constate ce qu’il subodorait depuis sa précédente expérience ; en plus de zieuter les pommiers des voisins, faut aussi chouffer l’outil, pour qu’il te dise où c’est que tu vas alors que tu y allais très bien sans lui, merci. Que jusque-là, le troisième millénaire, c’est pas tellement une réussite : une nuit dans la cuisine et un début de mal de crâne à regarder partout à la fois sauf là où il faut.

 

Ah, les pommiers du père Raienette sont trop beaux. Faut donc noter le point. Avant Noël, Biyanvrac sortait son crayon papier, faisait une croix sur la carte et poursuivait sa balade. Mais là, on est modernes, y’a le « Mark ». Que avec ça, ils ont dit, page 754, que faut juste appuyer sur une touche et le merdier enregistre le point. Appuyage donc. « Give a name ». Ah bon, faut « give a name ». On s’en fout, du name, y’a pas de name, c’est un point comme ça, que le Gédéon saura bien, lui, que c’est les pommiers du Raienette. Biyanvrac s’énerve et nomme le point « A », mais que rien que pour baptiser ce point, fallait partir dans 27 menus et sous-menus différents sur les touches modèle réduit. « Where do you want to save this point ? » Qu’est-ce que c’est encore que ce bordel ? Faut aussi dire au truc dans quel « Folder » tu veux mettre le point. Que y’en a pas, de « folder », que le Gédéon avait pas vu qu’il fallait ça. « Create a new folder ». Une fois le nouveau « folder » creaté, nommé (t’as compris le cirque, on va pas répéter), le point enregistré, le Gédéon relève le nez pour poursuivre sa tournée. Et là, stupeur ! Il ne sait plus où il est… s’est paumé, le Gédéon, a tripatouiller son machin pendant 10 minutes… au bout de quelques secondes d’errance, il se souvient qu’il vient justement de s’offrir LE truc qui le ramènera à bon port. Et là, miracle, le GPS lui dit avec une précision indiscutable vers où c’est qu’il doit pointer le nez de sa machine pour revenir sur sa « Route 1 » et c’est bien la moindre des choses…

 

Bon.

 

En gros et même en clair, le GPS te permet de revenir sur le droit chemin que tu avais perdu en t’en occupant, justement, du GPS…

 

Biyanvrac, qui n’aime pas tellement qu’on se foute de lui, éteint l’objet et poursuit son chemin à la carte, comme il a toujours fait. Le seul enseignement véritable est que l’on peut aussi dire « fallait pas » pour un cadeau qu’on croyait se faire à soi-même… et qui finira, du coup, sur le site qui sert à fourguer les merdes infâmes reçues à Noël : Ibé…

Or doncques, le Gédéon n’a pas tellement compris le GPS. Ou alors si, il suppose que ça sert à faire ce qu’il ne fait pas : aller d’un point A à un point B, à la condition qu’ils soient espacés de très et que tu voles en ligne droite, comme un avion de ligne. Et que du coup, le Gédéon comprend mieux pourquoi l’outil te dit combien de temps il te reste à t’emmerder velu, que du coup t’as rien d’autre à faire qu’à surveiller ta flèche et tu te rends compte à quel point l’aviation de loisirs, sans la joie de la navigation, des détours, des zigs zags et du butinage contemplatif, c’est chiant à mourir… voilà, c’est ça, en fait le GPS offre toutes les solutions aux problèmes qu’il génère et se destine à eux ceux qui volent juste pour aller de A à B et que du coup ils feraient mieux de prendre le train, que ça au moins ça n’en a pas besoin de GPS, ou alors faut qu’on lui explique. Un truc de technocrates, en somme. Ben si c’est ça le progrès, le Gédéon se dit que décidemment, il n’est pas de son temps et qu’il n’est pas près d’avoir envie de…

 

Et merci !

 

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