Eric Raffier
Article paru dans ULMiste n°18, novembre 2014
Eric Raffier
ULMiste : Comment es-tu venu à l’aviation ?
Eric Raffier : Mon père travaillait à l’Aérospatiale (devenu Airbus), j’ai toujours baigné dedans et j’ai toujours été attiré par les choses de l’air. Mais dès le départ, j’étais attiré davantage par l’hélico que par l’avion. J’ai eu la chance de tâter un peu de double-commande dans la fin des années 1980 jusqu’au milieu des années 1990. Ce fut mon premier contact avec le vol.
Dans quel contexte ?
J’étais étudiant, j’avais des copains pilotes pro hélico qui faisaient des baptêmes. Je faisais le sac de sable et prenais les commandes en palier lors des vols de liaison. En 1989, j’ai commencé l’avion, jusqu’au lâcher, mais sans terminer le TT. C’était à Muret, à l’aéroclub Jean Mermoz. J’étais toujours étudiant et n’avais pas de sous pour continuer. Puis, gros break jusqu’en 2004. Entretemps, je me suis mis à travailler, dans le matériel médical. L’un de mes clients était et est toujours président de l’aéroclub de Montauban. Il m’a invité à venir voir ce qu’est l’ULM, vu que l’avion ne correspondait pas à ce que je voulais. Je n’ai plus quitté l’ULM depuis.
Quel type d’ULM ?
Un Skyranger.
A Montauban, c’est évident !
J’ai donc recommencé à voler, en 2004, avec Daniel Carrière. En 2009, j’ai sauté le pas de la propriété en achetant un Storch Jabiru, que j’ai gardé trois ans, jusqu’en 2012. Je n’ai eu que du bonheur avec cette machine. Puis, en 2012, je l’ai revendu pour préparer le projet de la classe 6. A l’été 2012, j’ai également passé mon brevet pendulaire à Castelsarrasin sur Cosmos Phase II, sans malheureusement pratiquer depuis. J’ai découvert un nouveau plaisir, que je ne connaissais pas du tout, celui d’être la face à l’air. Je n’avais jamais volé que dans une cabine. Je n’ai pas pratiqué depuis par choix financier, et peu de clubs louent en pendulaire… mais j’ai très peu d’expérience, j’ai mis un peu en suspens, mais je suis sûr que j’y reviendrai !
Une fois la classe 6 en place, le démarrage des formations a pris du temps. Entre février 2012 et le moment où il y a eu un premier instructeur disponible, avec une machine, il s’est passé 6 à 8 mois. Je voulais démarrer dès le départ en ULM et non pas sur certifié comme d’autres l’ont fait.
J’ai donc commencé ma formation avec Hubert Laquièze de Hubair’kit, en juin 2013, pour finir en juillet 2014. Ça a pris un peu de temps, il était basé à Arcachon, mais j’attendais qu’il vienne faire ses stages à St Ex (Montpezat).
Je suis donc breveté depuis juillet de cette année, mais j’avais acheté la machine en avril.
Revenons au trois-axes : pourquoi avais-tu choisi un Storch, étais-ce par hasard ?
Cette machine me plaisait beaucoup, après l’avoir essayée. J’y trouvais des repères d’hélico, via la visibilité extraordinaire que cet appareil offre. De plus, j’aimais particulièrement ses commandes, homogènes et réactives. J’avais donc poussé le club de Castelsarrasin vers lequel j’avais entretemps migré pour des raisons pratiques, à acheter un Storch, sur lequel j’ai beaucoup volé, avant d’acheter le mien. Je n’ai eu que du plaisir avec ma machine, sur laquelle j’ai volé 160 heures.
160 heures en deux ans, tu as beaucoup volé ! Tu arrives à concilier travail, vie de famille et ULM ?
Complètement ! Mais je suis un peu le « pilotaillon du dimanche », qui sautille d’un terrain à l’autre pour aller dire bonjour et boire un café. Maximum une heure et demi de la base. Je consacre à l’ULM une demi-journée ou une journée par week-end et cela ne pose pas de problème à ma famille.
Concernant la classe 6, quiconque est connecté à internet a compris que tu es passionné, une sorte d’encyclopédie !
Tu me flattes, arrête !
Et donc, cet attrait pour la classe 6 est venu de tes premiers vols en hélicoptère lourd, on imagine ?
Oui, bien sûr, mais pas seulement ! Mais il faut dire qu’en 2004, quand j’ai découvert l’ULM, l’état d’esprit m’a plu tout de suite ! Large palette de pilotes, de toutes origines et conditions, tous types de machines à tous les prix, ce que l’on ne trouve pas dans l’aviation certifiée. Avant tout, c’est l’ULM qui m’a plu. En 2004, je ne pouvais imaginer que l’hélico rentrerait dans l’ULM un jour.
Quand on a commencé à en parler, les vieux démons sont revenus à la charge ! Mais je m’étais découvert « ULM » avant tout.
Donc, pour toi, la question de « l’ULMité » de la classe 6 ne se pose pas ?
C’est un ULM, sans souci !
Que penses-tu de la formation ?
Au départ, nombre d’instructeurs, désireux de démarrer leur business rapidement, proposaient de voler d’abord sur du certifié en attendant que la classe 6 soit opérationnelle. Je voulais faire de l’ULM avant tout. Hélico, certes, mais ULM. J’en avais parlé à Philippe Boucherat qui m’a un jour appelé en m’annonçant qu’un gars très bien, instructeur classe 6, proposait des stages sur son terrain avec un Kompress. J’ai donc commencé ma formation. Il a fallu ensuite concilier mon emploi du temps et le sien. Ses stages étaient pleins (et le sont toujours). Il y avait très peu d’élèves ab-initio comme moi, mais essentiellement des pilotes hélico qui venaient se faire transformer. Le tout s’est donc fait sur une période assez longue.
Combien d’heures pour le brevet ?
27 ou 28 heures. Essentiellement de la mania. Avec mes 450 heures environ de trois-axes, la navigation était acquise. Hubert est un excellent instructeur, je n’ai que des éloges à formuler. Pilote hélicoptère et instructeur ULM avec l’état d’esprit ULM, et qui connait sur le bout des doigts le Kompress. Tous ceux qui sont passés par lui sont très contents.
Parmi les élèves, il y avait donc beaucoup de pilotes hélico qui venaient passer leur brevet ULM ?
Avec Hubert, j’ai été un des premiers ab-inito. Mais oui, il y avait beaucoup d’anciens pilotes hélicos certifiés qui venaient passer l’ULM. C’est, je pense, la cible première des constructeurs. C’est un peu dommage, car à mon sens la classe 6 n’est pas forcément que ça. Il commence à y avoir des ab-initio. Mais les choses changent doucement, on voit maintenant des gens (venant du milieu ULM) qui sont propriétaires de leur machine et passent leur brevet.
L’autogire ne t’a jamais attiré ?
Non, mais peut-être à regret. Par méconnaissance sans doute, je suis passé à côté de l’autogire comme pendant des années j’étais passé à côté du pendulaire. J’ai essayé une fois sur un biplace côte-côte fermé, je n’ai pas été plus interpelé que ça. On n’a pas les sensations de l’hélico. Dans « l’autogire du sud-ouest », c’est-à -dire les petites machines monoplaces de construction amateur, ce qui les attire c’est le vol la face à l’air, le vol plaisir du soir, ce qui m’a attiré vers le pendulaire. J’aurais pu tout aussi bien le découvrir par l’autogire. J’y viendrai peut-être un jour, rien ne dit que les finances suivront toujours pour la classe 6. Mais si j’ai un choix à faire, je reviendrai plus volontiers vers le pendulaire que vers le trois-axes. En gardant la classe 6 !
Est-ce que le fait de venir du trois-axes est un plus pour l’hélico ?
Déjà , il n’y a pas le théorique commun à passer. La navigation est acquise, etc., donc bien sûr c’est un plus, cela permet de rester concentrer sur le pilotage pur de l’hélico. Et contrairement à ce que l’on pense, en palier le vol n’est pas si différent.
Puis tu t’es mis à la recherche de ta propre machine.
Oui, dès les prémisses je me suis intéressé au sujet. Il y avait déjà des gens qui avaient franchi le pas sous régime italien. J’en ai rencontré, pour voir les machines, notamment un, dans l’Aveyron qui a un Angel (Kompress monoplace à moteur deux-temps 582, NDLR). J’en suis tombé complètement amoureux ! La machine vole depuis 1991, ce qui prouve que ça peut fonctionner ! Il y a tout de même eu 260 Kompress et 130 Angel qui ont été produits, on n’est pas dans quelque-chose de nouveau !
Un Angel d’occasion (il n’est plus produit), ainsi que le Mosquito par exemple, montrent que l’on peut trouver dans la classe 6 cette large palette de prix que l’on trouve dans les autres classes d’ULM. En 1991, l’Angel se vendait 220 000 FF, il n’a pas beaucoup décoté, mais reste accessible. La classe 6 peut donc réunir cette même palette de pilotes que l’on trouve ailleurs. Selon que l’on vole en Racer ou en Tanarg, on ne fait pas la même chose, mais on vole en pendulaire. C’est pareil en classe 6. Certes, l’Angel n’est pas rapide, son 582 consomme beaucoup, mais c’est le même esprit que le pilote de Racer.
Le prix d’un Racer n’est tout de même pas celui d’un Angel.
J’en ai bien conscience, la fourchette basse est décalée vers le haut, mais je veux répondre à ceux qui considèrent que la classe 6 est forcément réservée à des gens très riches.
Il y a bien longtemps que l’on a compris que l’ULM n’est pas une aviation pas chère.
Bien sûr. On ne peut pas faire un diagramme qui peut se superposer au pendulaire, mais dans l’esprit, on trouve aussi une large fourchette. Pour le prix de mon Storch, je suis passé à l’Angel. Mais je suis aussi passé d’un biplace à moteur quatre-temps, confortable, qui croise à 160 km/h, à un hélico monoplace au domaine de vol beaucoup plus restrictif. C’est mon choix et je passe mon temps à me justifier sur ce point auprès de pilotes qui me prennent un peu de haut.
Voici une occasion de t’en justifier une bonne fois pour toutes auprès de milliers d’entre eux, tout en sachant que tu n’a pas tellement à te justifier !
Oui, je suis content de le dire. Je me suis « allumé » avec pas mal de mecs auxquels je dis « tu as tel budget, tu en fais ce que tu veux. Moi aussi ! »
Le Mosquito ne t’attirait pas ?
Si, si, si. La problématique de l’Angel est qu’il n’est plus fabriqué. 130 ont été construits, mais depuis 1998, il n’est plus suivi par Helisport ni Alixa (le distributeur France). J’ai donc du passer par un dossier amateur. L’Angel est moins cher que le Mosquito, mais la difficulté est d’en trouver un. Si je n’avais pas trouvé d’Angel, j’aurais opté pour un Mosquito. Mais il est plus cher. Il représente à mes yeux vraiment la classe 6 dans ce qu’elle a de plus ULM. Mais il faut le construire en kit et c’est assez long. Ou alors l’acheter tout monté mais le prix s’envole.
Et tu ne voulais pas le monter toi-même ?
Non, je n’ai aucune compétence pour ça !
Et pour l’entretien de ton Angel, comment ça se passe ?
Bonne question ! Dans la mesure où le constructeur n’assure plus le suivi, nous nous sommes regroupés avec quelques propriétaires et futurs propriétaires pour nous organiser. Mais au-delà , la problématique globale de la classe 6 est qu’il n’y a pas de compétences spécifiques à ces machines-là , en dehors des fabricants. Contrairement aux autres classes, qui proposent des ateliers un peu partout, voire même itinérants. C’est la grosse inconnue. Mais je suis conscient qu’il y a des éléments butoirs sur lesquels je ne pourrai pas faire l’impasse.
Ce problème est propre à l’Angel, sur les autres types d’hélicos ULM, les constructeurs suivent.
Oui mais ce suivi coute cher ! Certaines machines, le Kompress par exemple, sont soumises à un suivi d’entretien strict…et couteux ! Sans possibilité de comparaison des coûts d’entretien avec d’autres structures susceptibles d’assurer le même suivi. Dans ce domaine du suivi des machines, personnellement, je suis en attente d’autres acteurs (ayant acquis ces compétences) qui permettraient une vrai concurrence. Mais je fais tout de même un pas dans l’inconnu, en espérant que des compétences suivront. L’équivalent d’un Pascal Mallet dans la classe 6.
Sais-tu combien de classe 6 sont identifiés à cette heure ?
Selon mes estimations, près de 70, sans compter par exemple les Kompress encore enregistrés en Italie et les appareils en CNSK. Une cinquantaine de Kompress, six ou sept Ranabot, autant de LH212 et une dizaine de H3. Six ou sept Angel, dont quatre identifiés. Six Mosquito identifiés et une quinzaine en cours de montage.
Sais-tu pourquoi certains restent sous régime italien ?
Ce sont essentiellement des Kompress… je pense que certains rechignent à passer le brevet ULM français… mais je ne sais pas vraiment pourquoi.
En restant sous régime italien, qui ne fixe aucune masse à vide, ils n’ont pas besoin d’alléger la machine.
Ah oui, alors, là , peut-être, cela expliquerait certains Fama Kiss 209 présents en France et sous registre italien, mais sincèrement je n’en sais rien.
Combien d’heures as-tu désormais avec ton Angel ?
C’est tout récent, elle est identifiée depuis 15 jours (enregistrement effectué mi-septembre 2014, NDLR). J’ai donc effectué dix heures d’essais en vol et deux heures et demi depuis.
Par rapport au Kompress sur lequel tu as appris ?
Je le trouve nettement plus facile ! Hubert, mon instructeur, est venu essayer la machine, en est descendu et m’a dit « maintenant c’est à toi ! » Dès la mise en stationnaire, je l’ai trouvée très stable et facile. D’une grande simplicité de pilotage. Je ne connais pas le Mosquito, mais il paraît que c’est du même acabit. Outre le Kompress, j’ai volé sur le H3, je n’ai donc pas une grande expérience, mais je trouve l’Angel facile.
Et le H3, qu’en as-tu pensé ?
Je n’ai fait que deux petits vols avec et je ne pense pas être légitime pour en parler. Je pense que la conception est bien pensée, j’aime bien sa bouille, mais je ne suis pas très technique et ne puis donc critiquer vraiment la construction. J’ai eu un peu de mal par rapport au manche, la machine est assez sensible. Je n’ai pas noté de manque de puissance contrairement à ce qui en est dit. Avec la nouvelle bulle et le nouveau moteur, je pense que ça devrait marcher pas mal.
Comment vois-tu l’avenir de la classe 6 ?
Pour le moment, je trouve qu’elle n’a pas encore trouvé son centre de gravité. Le marché semble s’orienter vers les biplaces qui correspondent à la demande des écoles et des transfuges de l’hélico certifié. Mais j’attends une offre plus large, de machines plus accessibles en termes de coût. Je ne rêve pas d’un biplace à 40 000 €, je sais que ce ne sera pas possible, mais j’espère que ce que moi j’ai fais, plein de gens pourront le faire.
Pour le moment il n’y a que quatre fabricants sur le marché : Helisport, LCA, Dynali et Mosquito. Donc quatre machines dans la fourchette haute et une seule dans la fourchette basse (le Mosquito). Elle a le mérite d’exister, mais j’attends du nouveau. J’aimerais que l’offre ne tourne pas que sur le haut de gamme. Je suis un peu dans l’utopie…
Et j’aimerais aussi que la classe 6 puisse toucher davantage de pilotes issus du mouvement ULM. Mais pour qu’il y ait un avenir, il faut aussi travailler au développement de compétences techniques pour l’entretien. Un autre point noir est le coût de la formation…
Ce point sera sans doute incompressible, puisque lié aux coûts de fonctionnement des machines.
Une trentaine d’heures à 300 €, ça représente un budget, environ 8 000 € pour ma part.
On n’est pas loin de l’hélico certifié, mais comme en trois-axes on n’est pas loin, voire au-dessus des coûts de l’aviation certifiée…
Oui, sauf qu’en certifié il y a un minimum d’heures à effectuer et que ce n’est pas compressible, point (un brevet PPLH coute au mieux 15 000 euros). De plus, l’hélico certifié ne t’amène que dans un certain moule et il est quasiment impossible (pour moi en tout cas) d’envisager l’achat d’une machine. Tandis qu’ne classe 6 ULM, on peut avoir un projet d’acquisition derrière, malgré des budgets différents.
Globalement, comment es-tu accueilli dans les clubs ULM ?
Assez bien, avec beaucoup de curiosité. Je pense que les mentalités évoluent. L’agressivité et le rejet observés au début tendent à s’estomper. Mais cela a eu le mérite de nous regrouper et nous retrouver « entre nous », sans connotation péjorative. Nous avons pu nous « fédérer » et nous sentir un peu moins seuls, grâce au rejet initial. Le fait que je démontre qu’il existe des machines à 40 000 € suscite de l’intérêt. La communication s’est beaucoup trop focalisée sur les machines haut de gamme que l’on voit sur les salons… si je puis me permettre une suggestion, ULMiste devrait davantage parler de machines comme le Mosquito, qui reste « ULM » dans son accessibilité, une fois le coût de la formation absorbé.
J’ai été assez étonné que ULMiste me demande cet entretien, mais finalement je me suis dit que ce serait l’occasion de développer une fois pour toutes mon argumentation. Je me suis tellement fait allumer ! Il existe autre chose que le Kompress, même si je serais ravi d’en posséder un ! Mais mon Angel me suffit ! Mon Storch, par exemple, était surdimensionné pour ce que j’en faisais. J’aime me balader en local, aller voir les clubs alentour, prendre un café et retour maison. L’Angel est parfaitement adapté !
Nombre de pilotes rejettent ce genre de machines et le dénigrent, comme ils dénigrent les trois-axes ou pendulaires haut de gamme simplement parce-qu’ils n’en ont pas les moyens, donc par frustration. A ceux qui disent « telle machine à train rentrant pas variable qui croise à 240 km/h n’est pas un ULM », je leur demande ce qu’ils en feraient si on le leur offrait : « tu le brûles ou tu le gardes ? »
On va tous le garder, évidemment !
Il me semble bien…
Il y a plein de profils différents et il ne faut pas tout résumer à des questions de coûts ou de pratique. C’est la richesse de l’ULM et la classe 6 n’a pas de raison d’y déroger.
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