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Fly to Dakar (septembre 2002)

Exculisivté Web

 

Fly to Dakar : Espagne, les tracesseries commencent...

 

Jeudi 5 septembre 2002 : Albacete - Beas de Segura : 1 h 50

 

Pierre-Jean le Camus

 

 

Le biplace Air Création décolle le premier, cependant que je m'aligne. Après un interminable roulage, le voilà qui monte de trois mètres, y stagne un moment, redescend un peu, fait un écart pour éviter le hangar en plein axe, puis entame une laborieuse montée. A mon tour ! Ca se passe mieux, par chance. Depuis Manresa et notre investissement dans des cartes exploitables (un jeu), seul l'équipage pilote en est pourvu, l'autre lui accordant toute sa confiance. Ainsi, avec la paresse qui me caractérise, je délègue avec délectation la nav du moment. Nous sommes copieusement secoués, comme nous l'avons rarement été jusqu'à aujourd'hui.  De plus, le sol est uniformément recouvert d'oliviers, sur des centaines de milliers d'hectares. Pas terrible en cas de panne, c'est un arbre à la pousse lente, ce qui donne, comme tu le sais, un bois très dur. La tension monte, mes bras brûlent des efforts continus que je dois fournir pour tenir la machine. J'en ai assez. Il faut dire aussi que nous avons déjà pas mal volé depuis ce matin.

 

Au bout d'une heure et demie, je cherche à me poser, malgré les réticences de Pascal. Mais j'en ai marre, et peste copieusement contre Stéphane, qui a décidé qu'il fallait avancer à tout prix. Soudain, alors que, ne suivant pas mon log inexistant, je croyais en être loin, apparaissent les immenses pistes de Beas. C'est ici qu'ont eu lieu les derniers World Air  Games, sorte de pendant aérien des JO. Envoyé là en reportage, j'y fus fort impressionné par les installations, que je voulais revoir et montrer à mes collègues. Quelle déception ! Tout est désert, que dis-je, mort ! Personne, rien. En regardant à travers les fenêtres, nous voyons même encore les panneaux d'affichage des résultats, qui datent pourtant de plus d'un an. Il paraît que l'Europe a mis des millions dans cette affaire…tout le monde s'installe en position dormitive à laquelle je m'abandonne un instant, puis bientôt je m'en vais chercher de l'information, ou âme qui vive. Il convient de préciser que cet aérodrome se situe en plein milieu de rien du tout. Un vague panneau est accroché sur les grillages, côté extérieur. Il me faut les escalader pour passer à la liberté. Je songe un instant à cette position jamais connue, et me dis qu'il n'y a guère qu'un aéronef qui puisse ainsi me porter directement à l'intérieur d'une clôture. Un numéro de téléphone figure sur cette affichette.

Je me hasarde d'un coup de portable. C'est l'instructeur local qui me répond, mais il ne vient que le week-end, vit à 60 kilomètres de là, "si, pero nosotros, nos vamos a Dakar". Sésame magique, qui ouvre bien des portes. "Ah, bon, alors attendez, mon fils doit traîner dans le coin - merci beaucoup". En moins de deux minutes survient un jeune homme manifestement oisif qui nous mène à la station la moins éloignée (bien 8 kilomètres), puis disparaît aussi vite, après avoir partagé avec nous l'un des pamplemousses qui attendent patiemment leur destin dans la console du DTA. Etant quasiment dépourvu d'instrument, j'ai en effet aménagé une trappe qui permet de conserver quelques denrées dans cet inutile évidement. 

Beas - Cordoba : 2 h 05

 

Nous avons déjà bien volé, mais la journée n'est pas finie. D'autant qu'il est exclu que nous passions la nuit ici, il n'y a strictement rien ! Cordoba est une grande ville, nous y serons bien mieux. Encore près de 200 kilomètres ! 200 kilomètres d'oliviers… nous avons heureusement un vent plutôt favorable, et parviendrons bientôt sur cette ville. Je n'aime pas trop faire route à l'est en fin de journée, le soleil de face n'arrangeant pas trop la visibilité, donc la prise de repères. Rappelons que nous naviguons "à l'ancienne", à la carte. Heureusement, la route Nationale lV a la même destination que nous, et accepte que nous la suivions.

 

En fin de vol, je m'offre une petite séance de vol basse hauteur, le sol étant devenu plus accueillant. Nous n'avons pas la fréquence radio de Cordoba, mais cet aérodrome relativement important fonctionnant en auto-information, la parlote n'est pas indispensable. Nous nous parquons d'autorité près d'une aire gazonnée, afin de poser nos ailes sur ce doux revêtement. Les locaux attendront malignement que nous en ayons terminé pour nous avertir que des arroseurs sortent de terre la nuit, ce qui pourrait être fâcheux pour nos voilures. Bon, déplacement du matériel, qui dormira donc sur le dur. Quant à nous, un taxi nous mène à l'hôtel Colon, le premier que nous fréquentions depuis notre départ. Stéphane, comptable de l'opération, donne son aval après un rapide calcul. Douches bénéfiques, derniers coups de téléphone depuis l'Europe, puis nous allons manger une pizza en terrasse au coin de la rue. Les filles qui passent dans la rue sont belles, qui nous énervent d'autant plus qu'il nous faut subir les manières peu viriles du serveur.

Nous buvons moult bières pour noyer notre désarroi, mais hélas cette chose-là sait nager. Nous décidons de nous lever tôt, le Maroc est tout proche, notre  impatience d'Afrique puissante. Le bureau de piste n'ouvre qu'à huit heures.

Nous sommes donc là à huit heures. Il nous faut négocier un posé à Jerez, encore pour des formalités douanières. Le problème, c'est que les aérodromes contrôlés sont interdits aux ULM en Espagne. Mais il existe une astuce, qui consiste à coller l'indicatif radio en "Fox-Juliet" sur le flanc de la machine, en reniant sa nature ulmique. Or, si la supercherie fonctionne sur les appareils trois-axes ayant l'allure d'avions, un pendulaire n'a aucune chance. Juan-Manuel, fort dynamique et gentil préposé du bureau de piste, se démène comme un diable, passant des dizaines de coups de fil pour essayer de trouver une issue à cette absurde situation.

En attendant, nous allons faire les pleins d'Avgaz à la pompe, après d'âpres discussions avec le pompiste : la taxe varie selon que l'on achète moins ou plus de 80 litres. Nous avons besoin de 100 litres : 50 par machine. Or, c'est ici que le bât blesse, notre pompiste affirme qu'il s'agit de 80 litres par appareil, avec un œil narquois.

L'histoire de Dakar ne prend pas, tant pis, nous paierons plein pot. Retour au bureau de piste, rien à faire, Juan-Manuel n'a pas su convaincre ses correspondants, et Jerez ne veut pas de nous. Nous nous concertons. La situation est très simple : nous sommes censés faire tamponner notre carnet ATA à chaque frontière, sans quoi, de retour en France, il nous sera impossible de récupérer nos machines auprès de la douane. Nous sommes en règle pour la France, et nous pourrons l'être à Dakar. Or, ici, nous ne le serons jamais. Eh bien soit, nous allons déclarer, au retour, que nous avons fait un vol Agen - Dakar sans escale. De plus, cela va nous supprimer toute contrainte sur les futures frontières. Hésitations, doutes, perplexité. Et m…rde, font ch… OK, on va faire ça. C'était gonflé, mais le pire, mon ami, c'est que cette grotesque supercherie a fonctionné. En ce sens, nous sommes administrativement recordmen du monde ! Qui d'autre peut se targuer d'avoir rejoint Agen à Dakar en vol sans escale en ULM pendulaire, en biplace, avec un moteur deux temps ? Hein ? Et attends, c'est pas tout, on a fait ça en 14 jours, mon pote. Ouais, en 14 jours ! ! ! 

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