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Sortons de vrille ! 

Article paru dans ULMiste n°7, décembre 2011

 

Mets du pied... mais pas trop !

 

Depuis quelques années, les statistiques d’accidents nous montrent que les défaillances de matériel (les ruptures structurelles qui ont imprimé dans l’esprit du grand public la mauvaise réputation de l’ULM à l’époque de sa genèse) sont de moins en moins en cause. Mais, des erreurs de pilotage sont désormais plus couramment à l’origine d’accidents en 3 axes : décrochage, vol dissymétrique, vrille, perte de contrôle... comme en avion.

 

Jean-Christophe Verdié

photos René Viguié

 

Fort de ce constat et à l’instar d’autres comités régionaux, le CRIDF (Comité Régional d’Ile De France) s’est attelé en 2011 à mettre en place des actions concrètes pour sensibiliser les pilotes 3 axes. A cet effet, deux sessions pédagogiques ont été organisées les 10 Avril à Nangis et 4 juin à la Ferté Gaucher à l’aide d’un avion dédié à l’instruction voltige (le Cap10) et avec Michel Krall, instructeur voltige avion à l’aéroclub Marcel Dassault Voltige de Nangis. L’information a été diffusée aux 53 clubs ULM d’Ile de France. Quoi ? Comment ? De l’avion ? Mais on est supposé causer de l’ULM ici en ces pages pourtant ! Certes, certes, mais rappelons que les évolutions que l’on peut qualifier comme appartenant à la voltige sont strictement exclues du domaine de vol autorisé à la plupart des ULM par la réglementation. Ces sessions pédagogiques dont le principe démonstratif est de confronter le pilote à des attitudes de vol inusuelles se font donc à bord d’un appareil certifié pour la voltige et avec un instructeur qualifié voltige.

La séance coûte 80 €, et est subventionnée à hauteur de 30 € par le CRIDF, ce qui laisse 50 € à la charge des pilotes ULM participants.

Mohammed Azzouni, Président du CRIDF fortement impliqué dans la sécurité des vols, lui-même pilote assidu d’un Avid Flyer, insiste sur le fait qu’il s’agit là d’une action pédagogique inscrite dans la durée, dont il faudra pouvoir mesurer les bienfaits sur le long terme et pas d’une simple occasion de faire “un tour de manège”. De fait, le programme est centré sur des situations de vol normales qui par une qualité de pilotage défaillante à un instant donné, dégénèrent subitement en situations de vol inusuelles, voire critiques. Il se rapproche du programme dit “des mises en garde” connu en perfectionnement avion.

Ici l’esprit de la séance n’est pas du tout de pratiquer la voltige, mais de montrer très concrètement dans de bonnes conditions de sécurité avec suffisamment d’eau sous la quille aux pilotes 3 axes comment arrivent les sketches qui malheureusement nourrissent les statistiques d’accident et surtout de leur démontrer comment un pilotage de qualité normale suffit à limiter efficacement les conséquences de ces situations.

 

Votre serviteur, qui a participé de manière impromptue à la seconde séance (04 juin LFFG) vous livre ici ses impressions In Vivo :

 

Action !

 

Samedi 04 juin matin, à l’aérodrome de la Ferté Gaucher, les yeux pas encore tout à fait ouverts, j’aperçois un Cap10  bleu et blanc à l’atterrissage. Un peu plus tard dans la matinée, après un grand café en guise de starter, je me rapproche du hangar pour constater un agglutinement des pilotes ULM autour de l’avion. Aurai-je loupé un truc ou une info ? Eh oui, aujourd’hui, c’est la séance en Cap10 organisée par le Comité Régional d’Ile de France. Oups, comment ai-je pu louper ça, vite, je fonds sur le président pour voir si il y a encore moyen de participer, réponse positive, course vers mes affaires pour troquer mes tongs contre une paires de chausses un peu plus compatibles avec le pilotage d’un Cap10.

Briefing, puis il est temps de s’équiper d’un parachute qui fait office de dossier et de grimper dans la machine. Ce beau jouet en bois d’arbre dérivé à l’origine d’un avion de construction amateur (le Super Emeraude) aligne 180 chevaux. Ca décolle presque aussi correctement qu’un ULM 3 axes bien que cela demeure un peu poussif en montée malgré la puissance conséquente. Une fois l’altitude de travail atteinte, on passe aux choses sérieuses : ça commence par un décrochage en ligne droite en palier, réduction de la puissance, action à cabrer progressive pour ne pas s’enfoncer, le manche devient flou et désagréable, on maintient l’axe aux palonniers tout en douceur et ça décroche bien dans l’axe, franchement mais sans violence. On laisse le badin ressortir du coma, puis on applique une ressource souple pour se remettre en ligne de vol. On refait la même manœuvre avec comme objectif de réagir dès les prémisses (assiette cabrée, badin asthmatique, commandes molles, avion instable en roulis et lacet) justement pour interrompre le processus avant le décrochage effectif et l’abattée qui s’en suit : il s’agit de se remettre en configuration de vol normale en minimisant la perte de hauteur : pas d’action en roulis qui pourrait faire décrocher subitement l’aile dont on lèverait l’aileron, contrôle doux et mesuré aux pieds pour garder l’axe et la symétrie de vol, application de la puissance, on rend la main progressivement au fur et à mesure que le badin se ragaillardit et que l’on se remet en ligne de vol. En réagissant ainsi rapidement mais sereinement, on peut éviter l’abattée et limiter la perte de hauteur à quelques mètres.

Le virage engagé : qu’il est traître celui-là car physiquement, on ne ressent rien, pas de G, pas de secousses : on est par exemple en train de naviguer depuis un bon bout de temps, doucement la monotonie s’installe, on bidouille les boutons d’une radio ou d’un GPS aux menus récalcitrants qui focalise notre attention et notre champ de vision quelques secondes. Lorsqu’on remet le nez au-dessus du tableau de bord, surprise ! L’horizon, s’est enfui dans un coin du pare-brise en cherchant la verticalité, le badin fricote avec la VNE voire plus si affinités et on n’a rien senti venir. Le réflexe de tirer sur le manche pour redresser ne conduirait qu’à resserrer le virage et donc appliquer brutalement un sévère facteur de charge sur un appareil déjà très proche de ses limites structurelles du fait de sa survitesse : rupture quasi assurée, ou, si par miracle ça tient (mais ne comptons pas trop dessus!), un très probable violent décrochage qu’il faut ensuite pouvoir rattraper. Ici, le traitement adéquat qui est nous est rappelé, est de réduire les gaz, remettre les ailes à plat, et ressource tout en douceur. En somme, une très bonne révision de manœuvres normalement effectuées en instruction trois-axes.

On enchaîne ensuite sur des éléments que l’on n’a normalement pas eu l’occasion d’expérimenter à bord d’un ULM.

Sortie de mise en vol dos involontaire : comme pour le virage engagé, il faut lutter contre l’envie première de tirer simplement sur le manche pour revenir à l’endroit par une demie boucle (vitesse & facteur de charge au-delà de la résistance structurelle d’un appareil non conçu pour la voltige). C’est dans cette situation d’autant plus déconcertante qu’une fois sur le dos, on se sent pendouiller dans son harnais, le dos ne touche plus le siège, les pieds quittent les palonniers assez « naturellement ». On ne se sent relié à l’avion plus que par le manche, j’ai un instant eu l’impression, irrationnelle, que si je desserrai un peu les doigts, j’allai passer à travers la verrière, direction le plancher des vaches. Bref, c’est très inhabituel et pas franchement agréable. La méthode de retour à la normale est simple : on pousse sur le manche pour empêcher l’appareil de plonger et on remet à l’endroit aux ailerons. Mais il faut l’expérimenter au moins une fois en vrai, pour avoir une chance de pouvoir le restituer le jour où ça tourne en eau de boudin… tant le décalage de la situation par rapport à nos acquis « de pilote du dimanche » fait que la simple théorie n’est que d’un secours limité au cœur de ces situations particulières.

Suivent quelques vrilles, dont la première m’a un peu secoué et surtout définitivement réveillé : c’est un grand coup de pied aux fesses qui envoie l’estomac dans les talons au moment où ça déclenche. Les suivantes passeront beaucoup mieux. Là aussi, il faut le vivre, pour assimiler « physiquement » l’identification de la situation,  la méthode de retour à la normale est simple : manche au neutre, pied à contre à fond, puis ressource… souple… comme toujours… c’est bien, il y en a qui suivent...

 

Dernier virage

 

Enfin, un exercice que j’ai trouvé extrêmement instructif et à mon sens le plus démonstratif : on simule, à une altitude confortable, le fameux et fatal décrochage en dernier virage. Nous savons tous cela, c’est écrit en gros, en large et en travers dans tous les manuels de vol : le décrochage en dernier virage, ça tue.

On applique le petit scenario suivant en prenant un axe de piste fictif avec des repères sol et avec bien sûr une grosse réserve d’eau sous la quille :

On le sait tous, qu’il faut voler avec la bille au centre, mais lors d’un virage en descente, on a tendance à se sentir plutôt en sécurité : à incidence et inclinaison faibles, on a la vitesse, on peut même être tenté de serrer un peu beaucoup le virage, surtout si un vent de travers tend à nous faire dépasser l’axe de piste. Du coup une fois qu’on a incliné comme un goret pour essayer de rattraper l’axe de piste, l’appareil s’enfonce comme une enclume et vu qu’on ne fait toujours pas dans la finesse, on va tirer comme un ours pour compenser. A ce moment précis on patauge dans un cocktail 100% perdant : pas de hauteur (dernier virage), pas de puissance appliquée, vitesse faible, forte inclinaison, forte incidence et comme on se rend compte que tout n’est pas en train de se passer sereinement, on pilote encore un peu plus mal, les yeux rivés sur cette foutue piste qui ne veut pas s’aligner, on ne voit plus ni le badin, ni la bille, le contrôle du pilotage est médiocre, celui de la symétrie de vol encore pire, un petit peu de pied en trop à l’intérieur du virage provoque un décrochage asymétrique et un départ en vrille instantané. On réitère la manœuvre plusieurs fois avec comme objectif de rattraper le coup le plus vite possible (avec la perte de hauteur minimale) dès que la vrille se déclenche. En étant aux aguets, en réagissant immédiatement (pas de temps de réaction dû à la surprise), de surcroît avec un avion de voltige dont les commandes sont plus efficaces que celles des appareils standards, j’ai pu constater que j’ai à chaque fois perdu plus de 400 pieds. Alors, en comptant la surprise, le temps de réaction, des commandes d’une efficacité normale, on perdrait plutôt 600 ou 700 pieds. C’est pour cela que le décrochage en dernier virage est totalement irrécupérable, je le savais, comme nous tous, mais je n’en ai pris pleinement conscience, par l’expérience, que ce 4 juin 2011, et depuis, ça a incontestablement influé sur mon pilotage.

 

Alors, à quoi ça sert ?

 

C’est ici que l’on voit l’intérêt fondamental de ce type de stage : concrétiser par l’expérience pratique des connaissances que l’on n’a que par la théorie, ces connaissances uniquement théoriques dont je vous assure qu’elles ne vous seront pas exploitables à l’instant ou l’horizon bascule brutalement ou que le facteur de charge vous scotche au fond du siège : dans ces circonstances, les capacités cognitives d’un pilote non entraîné voltige se figent et il n’est sûrement pas en mesure de se souvenir du troisième paragraphe de la page cent dix neuf d’un quelconque manuel et encore moins de le mettre en application efficace dans le quart de seconde qui suit. Avoir l’occasion d’expérimenter ces situations en toute sécurité avec un appareil adapté et un instructeur voltige, c’est se forger « la mémoire du corps » de ces situations de vol inusuelles : nous avons vu que les manœuvres de sorties sont peu complexes, l’enjeu de la gestion de ces situations réside beaucoup plus dans leur identification juste et immédiate, réflexe, que dans la difficulté technique de la manœuvre à exécuter pour en sortir. Chaque pilote qui effectue ce stage met de son côté des chances supplémentaires d’avoir plus rapidement la réaction adaptée le jour où ça part en vrac et ainsi de pouvoir raconter sa mésaventure aux copains. L’autre point à noter est la constante de toutes ces manœuvres de sortie : douceur et souplesse : des actions brutales ne feront qu’aggraver les efforts sur la structure et la situation.

 

Pour la suite

 

Le Comité Régional d’Ile de France qui veut inscrire cette action dans la durée, organisera d’autres dates en 2012 à partir du printemps. D’autres Comités Régionaux ont des initiatives similaires. Guettez les sites web fédéraux et l’affichage dans vos clubs pour ne pas les manquer. Si rien n’est prévu dans votre région, rien ne vous empêche de contacter le club voltige avion le plus proche et d’organiser vous-même une petite séance avec un instructeur. Ce petit investissement de quelques dizaines d’euros vaudra plus que son pesant d’or le jour où ça ne se passera pas comme prévu.

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