Odile Rablat, pilote solitaire des grands espaces
Article paru dans ULMiste n°8, février 2012
Odile Rablat, pilote solitaire des grands espaces
Si au hasard d’une pause sur une piste en Bourgogne, vous rencontrez une petite femme chevauchant un GTBI, répondant au prénom d’Odile, ne soyez pas étonnés de croiser un être d’une gentillesse et d’une simplicité immenses, au regard lumineux et rieur jouant à cache-cache avec quelques mèches de cheveux châtains rayés d’argent et surtout, n’hésitez pas à engager la conversation car il se peut qu’elle vous narre avec générosité, quelques unes de ses “petites balades” … !
Sachez, pour “l’anecdote”, qu’elle effectua ces trois dernières années, seule, sur son pendulaire DTA, trois périples successifs au Canada, totalisant plus de 35 000 km, sans assistance au sol !
Lectrice assidue de son blog “Envolée au Canada”, je me languissais de son retour car j’avais un tas de questions à lui poser pour ULMiste.
Propos recueillis par Sylviane Chamu
Sylviane : Tu rentres du Canada, après trois grands périples successifs (2009, 2010, 2011, 36 500 km en tout) sur un pendulaire, en solo et sans assistance, mais quand et comment le vol est-il entré dans ta vie ?
Odile : Toute petite j’en rêvais. Quand j’allais en pension à l’âge de six ans, nous passions devant une pancarte qui indiquait «aérodrome», c’était comme un aimant pour moi, mais nous n’avons jamais pris le temps de suivre la pancarte… Mon père, qui était mécanicien, mais pas d’avions, nous parlait souvent, avec les yeux brillants d’admiration, des moteurs en étoile. Et puis j’ai eu un petit frère qui est devenu pilote de planeurs, puis d’avions, puis d’avions de chasse. Une de mes sœurs a aussi été tentée par le planeur. Moi, j’ai eu la chance de travailler un peu avec l’armée vers l’âge de 32 ans, ce qui m’a permis de sauter en parachute, une fois, pour voir si j’étais capable, par simple défi personnel. J’ai trouvé cela tellement extraordinaire que j’ai recommencé, une fois, puis une autre… puis 185 fois ! Ensuite, je me suis consacrée à ma famille qui en avait bien besoin. Vingt ans plus tard, quand mes enfants ont été autonomes, j’ai eu envie de refaire du parachutisme, mais sans le soutien de l’armée, c’était impossible financièrement pour mon porte-monnaie. Alors j’ai essayé le parapente en 2002. Je me suis lassée de ne pas pouvoir aller où je voulais quand je voulais ! Et avec un moteur dans le dos, ça serait comment ? Avec mon ami, nous sommes allés apprendre le paramoteur avec Philippe Jorgeaguet en Auvergne. Que d’émotions ! La pire pour moi, fut de voir un jour d’entrainement chez Philippe, mon ami faire son premier vol solo alors que deux mirages arrivaient exactement sur sa trajectoire, à sa hauteur… un coup d’aile sur la tranche au dernier moment a évité la collision ! Je pleurais d’effroi ; comme les secondes peuvent paraître longues et courtes à la fois ! Ensuite, nous avons volé ensemble quelques fois et un accident me l’a ravi. Pour lutter contre la déprime, j’ai continué de voler en solitaire et parfois accompagnée par un de nos amis. Je me souviens du 1er janvier qui a suivi son décès. Je voulais faire le vol du nouvel an. Seule, personne n’était disponible. La météo n’était pas très favorable, mais un créneau de deux heures dans la matinée était possible. Quand tout a été prêt, le moteur n’a jamais voulu démarrer parce que ma batterie s’était déchargée, je n’avais pas pensé à la recharger systématiquement. Donc je me rendais compte que si je n’étais pas autonome, je ne volerai quasiment jamais. Je devais penser à tout, savoir tout faire. Quand il faut compter sur les autres en plus de ses propres obligations, le défi devient vite impossible. Alors j’ai commencé à me déplacer seule, ma voiture était toujours chargée de mon paramoteur, où que j’aille.
J’ai rencontré une autre personne qui aurait pu m’aider et m’encourager. Mais mes progrès et mes velléités d’indépendance l’importunaient. Il me rognait les ailes. Alors, même si j’avais pu avoir des expériences de vol importantes grâce à lui, j’ai décidé de vivre seule plutôt que mal accompagnée.
Maintenant, je me fais aider, je pose des questions, j’apprends tous les jours un peu, je compte sur moi et puis j’ai appris à demander des services. En cela, le voyage a du bon. Il me semble que le fait d’être une femme seule fait gagner beaucoup de respect.
J’ai fait mon premier vol en pendulaire dans le sud, près de Béziers où j’allais voler en paramoteur avec les conseils de Didier Salinas. Je n’ai jamais été très douée, il me faut de la persévérance, de l’entraînement, des heures et des heures d’effort. Ce premier vol, en place arrière avec Pierre-Emmanuel Leclere, ne m’a pas vraiment impressionnée, seulement plus rapide que ce que je connaissais. C’est plusieurs années plus tard, en 2006, que j’ai commencé à m’y intéresser du fait que le paramoteur m’était de plus en plus difficile à porter durant la course, sauf à attendre… le vent parfait.
J’ai appris au club de Pouilly-en-Auxois, avec Jean-Yves Clair. Là encore, j’ai pris mon temps ! J’aime les clubs parce qu’ils permettent de rencontrer des personnes, d’échanger, de s’amuser… je pouvais profiter du club pour faire mon apprentissage, parler de mes découvertes, questionner mes incompréhensions, apprendre et aussi voyager. C’est pour cela que j’appartiens à plusieurs clubs et que j’ai même fait partie du comité régional Bourgogne durant plusieurs années. Je suis juste déçue de ne pas entraîner plus au voyage.
Sylviane : n’as-tu pas essayé le multiaxe ?
Odile : Si, j’ai bien essayé le multiaxe aussi. Mais ma progression s’est trouvée d’autant plus ralentie que je ne m’y plaisais pas vraiment. L’exigüité, la proximité immédiate de l’instructeur, le manque d’air, la visibilité réduite, le confinement ne me rassurent pas, parasitent mon attention. J’ai arrêté et maintenant, je ne me consacre plus qu’au pendulaire. Pour moi, actuellement, c’est l’idéal du vol. La vision ne peut pas être plus importante, surtout sans carénage, le vent nous place dans les éléments, on peut se mouvoir avec le contact physique de l’air, tous les sens sont en éveil, y compris l’odorat. J’adore passer dans le parfum des forêts au printemps, il peut parfois monter très haut quand il fait chaud. Cette année, j’ai senti le kérosène d’un avion dans le sillage duquel j’allais passer, la chance, c’est de pouvoir le dire aujourd’hui ! En pendulaire, on ne subit pas le froid de la même manière qu’en multiaxe, même si l’activité n’est pas beaucoup plus importante.
J’ai passé ma qualification radio en 2006 aussi et j’ai acheté une occasion qui m’a permis d’aller de plus en plus loin, d’est en ouest, au sud, au nord. Ma qualification emport de passager dans la poche, seule, je partais en vacances en Bretagne en vol ! Toujours à la carte. Je prenais le temps de passer voir amis, famille sur le trajet ; et pour le retour, il fallait calculer avec la météo ! Entretemps, mon pendulaire était hébergé par un club à Scaer ou à Morlaix, j’allais voler quand le temps et les activités estivales le permettaient. Et je faisais découvrir le pendulaire à qui voulait.
Sylviane : On sent au travers de ces mots que l’hexagone sera très vite trop étroit ! Alors, comment et pourquoi le Canada ?
Odile : Le déclic a eu lieu un jour précis, le mardi 28 octobre 2008. Ce jour-là, il faisait beau. C’était un jour de semaine, je travaillais. Toute l’année, j’avais couru après les journées de beau temps pour voler. Mais j’avais l’impression qu’il faisait beau quand j’étais au travail et mauvais quand j’étais enfin libre. Je n’avais volé que 120h dans l’année et je n’étais pas encore rassasiée. J’ai quitté le travail vers 15h, sauté dans ma voiture toujours remplie de mon matériel, pris de l’essence en route et je m’étais rendue à la base où était mon pendulaire. Une heure de route. C’est un petit hangar isolé dans les cultures en Côte-d’Or. Commence alors le déménagement habituel, ouvrir les portes successives, sortir les appareils devant le mien, laisser le mien dehors, rentrer les autres, refermer la porte du hangar, prévol, habillage, et enfin décollage. Le bonheur immédiat du vol, l’élévation au-dessus des soucis de la vie. Le silence de l’au-dessus, la paix immédiate et la vue de tout ce qui vit en dessous. Les voitures aux phares allumés, les tracteurs qui finissent leurs travaux des champs, la ville qui commence à allumer ses lampadaires. Le soleil est déjà très bas. Je rencontre deux Mirage, puis un ravitailleur ou un bel avion du même genre. J’avais oublié que le mardi est le jour entièrement dédié aux vols de l’armée, et Dijon est tout proche avec sa base aérienne. Le soleil passe derrière le plateau. Je me pose après seulement vingt minutes de vol. Déménagement inverse. Siphonage de l’essence pour éviter les vols. Fermeture des portes. Et retour, une heure. Durant cette heure, mes réflexions se sont envenimées de colère, l’injustice de n’avoir jamais le temps, de trop travailler, de trop d’astreintes aussi, m’a bientôt submergée. Mais seule, je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Alors le ridicule de la situation m’a conduite à me poser la question de la solution. Que fallait-il pour y remédier ? Du temps et de l’espace. Le temps, la solution était vite trouvée puisque j’avais économisé des congés durant des années où mon travail me prenait plus que de coutume. L’espace, c’était autre chose. J’avais déjà beaucoup voyagé en France, et elle paraissait toute petite malgré les 75 km/h de mon aile. Quant aux difficultés d’y circuler avec toutes les zones réservées aux uns et aux autres, j’avoue que c’est un casse-tête permanent. La langue est un problème partout. J’ai tout d’abord pensé aux pays chauds et peu volés. Mais je respecte les populations qui pensent différemment de nous. Alors, qu’une femme aille dans les pays où les moteurs sont réservés aux hommes me paraît être une offense. Qui plus est si la pauvreté est présente partout.
Aller ailleurs présente aussi la nécessité de la langue anglaise pour les relations radio. Bien sûr, on peut apprendre. Mais il faut aussi comprendre. Je ne parlais pas anglais à ce point. Et pas mieux l’espagnol. Alors, d’un seul coup, l’évidence m’est apparue. Le Canada. Le Canada a deux langues officielles et des territoires gigantesques. Un pays dix-huit fois plus grand que le nôtre et deux fois moins peuplé ! Enfin, un pays où réside mon fils.
Sylviane : Je suppose que la préparation d’une telle expédition ne fut pas chose simple : quelles difficultés a-t-il fallu surmonter entre ce 28 octobre 2008 et ton premier décollage vers les grands espaces ?
Odile : La préparation est un temps terrible et magique à la fois. Terrible, car il est source d’angoisses régulières. La peur de se tromper soi-même, la peur de ne pas y arriver, la peur de ne pas être prêt, celle de ne pas faire les bons choix, celle aussi d’interrompre, de décevoir tous ceux qui ont cru en moi, en l’idée folle… Certaines personnes écrasent, flagellent. Du copain qui assène : au Canada, il n’y a rien à voir ; à la fonctionnaire de l’aviation civile qui s’énerve en affirmant qu’il faut au moins cinq ans avant d’obtenir une autorisation pour le Canada, alors que je suis à trois semaines du départ. Heureusement que de nombreux autres moments viennent rassurer, consolider la préparation. Je me souviens du temps qu’il m’a fallu avant même de pouvoir en parler à mes enfants, tellement je redoutais leur réaction. Et au contraire, chacun a été émerveillé et heureux d’un tel défi pour moi-même, sachant parler de ses craintes aussi. Chacun à sa manière m’a aidée et soutenue durant cette préparation. Et c’est ainsi que des moments merveilleux succèdent aux grands doutes. Ces preuves d’amour de ceux qu’on aime et qui vous aiment sont les plus beaux moments, les plus forts. Ceux qui portent, jusqu’au départ. C’est ainsi que j’ai eu envie de partager ce voyage avec ceux qui allaient rester mais qui s’investissaient dans sa réalisation. Céline, ma fille, s’est lancée dans l’aventure en apprenant à faire un site pour l’occasion, grâce à la complicité de Dominique Cardinal, chargé d’informatique à la médiathèque de sa ville.
La préparation nécessite un travail de tous les instants. Il faut lire beaucoup, dans tous les azimuts, surtout ne pas se cantonner au sujet. Ma bibliographie est impressionnante, j’ai même laissé tomber tellement elle me prenait de temps à la rédiger régulièrement. De l’aventure en général, en tous genres, de la civilisation du Canada, de son histoire, de la réglementation canadienne en général et en particulier en matière aéronautique, des aventures extrêmes, la faune, la flore, le climat, la météo locale, les procédures radios en anglais, les cartes aéronautiques… enfin, tout ce qui a trait de près et de loin à son voyage. Même quand je volais, ce n’était plus comme avant, je travaillais quelque chose de particulier à chaque fois.
J’ai connu une étape importante en réalisant une demande de subvention. L’obligation d’écrire son projet, de mettre des mots, de lui donner un sens compréhensible pour d’autres, inconnus, permet d’avancer d’un bond.
Le fait d’en parler permet aussi de faire des rencontres, des connaissances multiples mais aussi de devoir se familiariser avec des techniques nouvelles comme la photo par exemple. J’ai bénéficié de soutiens extraordinaires, de connaissances nouvelles qui m’ont aidée à concevoir certaines parties spécifiques du projet, ou certains thèmes de préparation. J’ai le soutien de DTA qui me fait connaitre Bernard Rouer, le revendeur exclusif au Canada notamment, mais aussi Olivier Aubert et Christophe Gruault. La fédé me met en relation avec Thierry Barbier, me prête une balise 406 portable. Un médecin urgentiste passionné de montagne, et d’Himalaya, me consacre du temps à préparer la trousse d’urgence composée sur l’idée que je me faisais du pays et de ses difficultés. Sylvain Parmentier me prête les cassettes audio pour apprendre les procédures radio en anglais. Bernard Dechaume me confectionne des piquets spéciaux, etc.
L’intérêt de la préparation, réside uniquement dans le fait de diminuer le nombre des aléas en ayant prévu les parades de presque tout ce qui est prévisible. Plus la préparation aura balayé large, mieux on peut se consacrer à résoudre les problèmes quand ils arrivent sans être submergé et leur donner une mauvaise réponse. C’est aussi bon pour savoir comment planter sa tente là où habitent les ours, que pour voler dans des conditions qui deviennent extrêmes ou pour ne pas mourir de froid en vol. L’enrichissement personnel est toujours étonnant, plus on en sait et plus l’immensité de ce qu’on ne connait pas se découvre.
La préparation, c’est la fête avant la fête, comme lorsqu’on prépare Noël plusieurs mois à l’avance, la fête prend une dimension extraordinaire, c’est ainsi que je suis partie en voyage dès ce 28 octobre !
...à suivre.
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