L'accidentologie 2015 vue par l'ISAL... puis par ULMiste ! (exclusivité web)
Article paru le 19 mars 2015 (exclusivité web)
L'accidentologie 2015 vue par l'ISAL… puis par ULMiste !
L'ISAL, Institut pour la sécurité de l'aviation légère, émanation de le DGAC, a mis en ligne une vidéo proposant une analyse rapide des accidents comparés des différentes activités de l'aviation légère de loisirs sur l'année 2015, hors hélicoptère pour l'aviation certifiée. En voici le lien, son visionnage préalable (si ce n'est déjà fait), facilitera la lecture de notre réaction : https://vimeo.com/155647068
Alain Jamet, le présentateur et animateur de l'ISAL, est instructeur avion, fonctionnaire de la DGAC et pilote inspecteur. Ses compétences n'ont pas à être remises en causes et notre respect envers lui est total. Néanmoins, son approche et ses conclusions nous semblent passablement discutables et c'est cette discussion que nous entendons générer ici.
Remarques générales
A 00:50, il est dit : "à peu près tout le monde considère le deux-roues motorisé comme une activité dangereuse". Nous estimons ici utile d'apporter une précision d'ordre sémantique. Le danger est ce contre quoi on ne peut se prémunir. Le risque est ce que l'on peut maîtriser. Ainsi, par exemple, se promener à découvert dans une scène de guerre est dangereux, car on n'a guère de défense. Voler est une activité à risque : on sait que cela peut éventuellement devenir dangereux, si notre comportement n'est pas adapté aux situations auxquelles nous nous exposons… ou pas. Ainsi, si la moto était une activité dangereuse, elle serait interdite au plus grand nombre dans l'espace public, époque oblige.
La présentation pose l'accidentologie de la moto comme mètre étalon des analyses qui s'en suivent. La moto tuerait 1 pratiquant sur 5 000 chaque année. Nous n'avons pas pu recouper ce chiffre, mais admettons qu'il soit vrai pour la suite de nos observations.
A 03:50, on nous précise que "27 instructeurs sont impliqués dans des accidents, 19 dans des accidents mortels, ce qui pose la question de leur compétence et de leur devoir d'exemplarité". Il faut ici établir un distinguo clair entre les vols d'instruction et les vols avec instructeur à bord. Ce n'est pas la même chose. Non, un instructeur n'a pas de "devoir d'exemplarité" lorsqu'il n'opère pas dans le cadre de ses fonctions. Si mon cardiologue est fumeur (chose peu rare), est-il moins compétent lorsqu'il m'explique que ma tuyauterie est encrassée ? Il ne me semble pas… en revanche, les accidents survenus en instruction posent des questions et nous n'avons pas attendu 2015 pour les poser aux responsables eux-mêmes, à savoir la DGAC ! Cette même DGAC, qui permet qu'en aviation certifiée l'on devienne instructeur avec 200 heures de vol (donc, rien), peut toujours s'interroger, en effet, sur le degré de compétence qu'elle-même attend de ses formateurs.
07:05 : "L'ULM est le plus à risque parce-que les pilotes indépendants, épris d'indépendance". Il y a ici une part de vérité dans le postulat émis. Toutefois, l'ULM, en tant qu'entité plein et entière, n'a pas grande signification et l'objet du présent papier est précisément de le démontrer.
Approche générale
Il est ici proposé un comparatif entre certaines activités de l'aviation légère certifiée et l'aviation à moteur non certifiée, l'ULM. Cette base de travail nous semble d'emblée contestable. Outre que les hélicoptères ne sont pas inclus dans l'aviation certifiée, cependant qu'ils le sont dans l'ULM, il nous paraît contestable de ne pas faire le même travail pour l'ULM, à savoir dissocier les classes. Ou, à l'inverse, amalgamer également l'aviation certifiée, en y incluant les hélicoptères ou en les excluant de l'ULM. Ainsi, on comparerait un peu moins des torchons et des serviettes. C'est ce que nous allons faire ici.
Postulat de départ
Mr Jamet commence par nous donner les chiffres de l'accidentologie et de la mortalité de 2015, que nous posons, tels qu'il les livre, dans le tableau suivant :
Puis il établit un ratio entre les morts et le nombre de pratiquants :
Il y a un léger problème ici : le nombre de pratiquants de l'ULM est une parfaite inconnue ! En aviation certifiée, il est difficile de pratiquer en dehors du cadre des fédérations délégataires, FFA pour l'avion et FFVV pour le planeur (puisque ce sont les deux seules activités retenues) et, de plus, la licence est limitée dans le temps, ce qui permet à la DGAC d'avoir connaissance du nombre de licences actives, correspondant au nombre de pratiquants. En ULM en revanche, bien que la FFPlUM rencontre une forte adhésion, nombre de pratiquants volent en dehors de toute "chapelle", dans leur coin et la licence est acquise à vie, ce qui est du reste rappelé dans la vidéo pour invoquer le fait, envisageable, que ce serait une des causes de l'accidentologie préoccupante (car elle l'est dans sa globalité en 2015, il ne s'agit pas ici de le contester !).
L'ISAL n'a donc pu se baser que sur les seuls nombres d'adhérents aux fédérations délégataires, ce qui est un choix, mais qui aurait du être précisé. Voici un tableau avec ces données telles que nous pouvons les trouver sur le site de la DGAC, chiffres 2014 pour les licences, adhérents, nombre de machines et chiffres 2013 pour le nombre d'heures déclarées par les fédérations. Nous avons posé les chiffres par adhérents aux fédérations, puis, avec une pointe de curiosité teintée d'une mauvaise foi ironique, par nombre de titres valides. Or, comme chacun sait, en ULM la licence est acquise à vie !
Nous retombons à peu près sur les chiffres de l'ISAL en matière de ratio "pratiquants"/morts. L'ISAL doit avoir accès à des chiffres plus récents que ceux que publie la DGAC, ce qui expliquerait les faibles écarts observés. Notons tout de même qu'en dépit du nombre (ici posé par une malsaine curiosité, encore une fois), très élevé des licences valides en ULM en 2014 (71 295 !), les chiffres donnés par cette approche ne sont toujours pas favorables à l'ULM : 1 mort pour 1 584 "pratiquants" contre 6 000 en planeur et 1 711 en avion.
Il y a un autre problème dans cette approche : les accidents, en aviation légère, ne touchent pas que des adhérents aux fédérations. Nous l'avons vu pour l'ULM, mais, de façon globale, quid des passagers ? En parachutisme, il est imposé de prendre une licence fédérale (à la journée), pour effectuer un saut en tandem. Les (rares) accidents ne touchent donc de fait que des adhérents. Mais en aviation, ce n'est pas le cas. Comparer le nombre d'accidents au nombre de "pratiquants" en ne retenant parmi ceux-ci que les adhérents aux fédérations (et même aux licences valides), n'est donc scientifiquement pas valide. Et ceci, du reste, est défavorable à l'avion en premier chef : un avion six places peut tuer 5 non adhérents ou non titrés en plus de son pilote, qui compte pour six dans le calcul final…
En restant sur ces chiffres, voyons le degré de risque comparé des activités ici retenues et de la moto :
En 2015 (car pour rappel n'est ici observée que cette seule année, nous irons plus loin), l'avion tue près de deux fois plus que la moto. Le planeur deux fois moins et l'ULM 15 fois plus !
Si nous acceptions les postulats de départ, ces chiffres devraient nous faire réfléchir et, à ULMiste, nous n'en avons pas attendu la publication !
Mais allons plus loin dans les réflexions, par exemple en observant la petite case discrète et jusqu'ici ignorée : "heures de vol".
En restant sur les chiffres officiels publiés par la DGAC et les données présentées dans la vidéo de l'ISAL, observons la dernière colonne du tableau ci-dessus : les "pratiquants" de l'avion volent 14 h par an ; les planeurs 20 ; les ULM 46 h, soit plus que les avions et planeurs réunis ! Voici un axe de recherche intéressant. Le ratio "hdv / morts" (quatrième colonne), s'il n'est toujours pas favorable à l'ULM (nous travaillons ici sans aucun parti pris), établit des données beaucoup moins spectaculaires que les données livrées par l'ISAL dans sa vidéo. Cette dernière établit un ratio de 1 mort pour 2 600 pratiquants en avion contre 1 mort pour 333 pratiquants en ULM, soit un rapport de quasiment 1 à 8 en défaveur de l'ULM. Rapporté à l'heure de vol (selon les chiffres officiels publiés par la DGAC), on parvient à 1 mort pour 32 372 hdv en avion contre 1 mort pour 14 973 hdv en ULM, soit un rapport de quasiment 1 à 2, toujours en défaveur de l'ULM. Entre "1 à 8" et "1 à 2", il y a comme une légère nuance…
Nous observons également, en colonne 6, que le nombre de morts rapporté au nombre de machines, s'il n'est toujours pas favorable à l'ULM, est encore moins spectaculaire : 1 mort pour 413 avions contre 1 mort pour 334 ULM.
Avant d'aller plus loin, revenons sur le nombre de morts. Selon nos connaissances et recherches, le nombre total de morts en ULM en 2015 est à relativiser quelque peu. En effet, il est avéré par les enquêtes qu'il y a deux cas de suicides en 2015 : un en pendulaire et un en multiaxes. Ce ne sont donc pas des accidents. Il y eut aussi au moins deux malaises (ce qui ne constitue donc pas à proprement parler un accident d'aviation), mais nous n'écarterons pas ces cas, il est impossible de les prouver. Nous retirons donc deux morts dans la colonne "ULM", les suicidés.
Conjectures
Ça ne change pas grand-chose, mais soyons précis.
Nous avons vu que l'ISAL distingue l'avion du planeur alors qu'elle amalgame les ULM. Avant de tout dissocier, commençons par amalgamer l'aviation certifiée, puis retirons de l'ULM les 66 hélicos ULM officiellement comptabilisés en 2014 (puisqu'ils ne sont pas comptabilisés dans le certifié), ainsi que leurs 46 hdv annuelles (moyenne annuelle officielle que nous conserverons pour la présente étude), et retirons également 66 adhérents à l'ULM.
Nous avons ici un commencement de tableau comparatif exhaustif et raisonnable : avion et planeur certifié versus ULM hors classe 6 hélico. Nous observons que la moyenne annuelle des heures de vol de l'aviation certifiée, rapport entre les heures de vol déclarées et le nombre total de "pratiquants" est de 15 h, contre 46 pour l'ULM. Malgré cela, les ratios ne sont toujours pas favorables à l'ULM. Quand on entend dire, comme argument ultime, que l'ULM tue autant que l'aviation certifiée, c'est donc faux… sur l'année 2015. Poursuivons la démonstration :
- Avion : 38,53% des hdv : 26,98% des morts
- Planeur : 14,31% des hdv : 1,59% des morts
- ULM : 47,17% des hdv : 71,43% des morts !
Amalgamons l'aviation certifiée, ce sera encore plus parlant, hélas…